PAR THIBAUD GUISAN
Fribourg se penche sur la santé des patrons de petites et moyennes entreprises (PME). La Haute Ecole de gestion (HEG) lance aujourd’hui officiellement un observatoire suisse sur la problématique. Interview de son responsable, Mathias Rossi, professeur d’organisation et de ressources humaines, au sein de l’Institut entrepreneuriat et PME de la HEG.
D’où vient cette idée d’observatoire?
D’un constat: on sait pas mal de choses sur le lien entre la santé des salariés et leurs conditions de travail, mais on a très peu de données sur les dirigeants de PME. L’objectif est de saisir cette réalité, avec un suivi d’une centaine de chefs d’entreprise de toute la Suisse. Ensuite, il devrait être possible de déceler les situations à risque et de proposer des mesures préventives. Nous allons collaborer avec des psychologues du travail.
Notre observatoire fait partie d’un réseau, Amarok, initié par nos collègues de Montpellier, sous la direction du professeur Olivier Torrès. Nous en sommes la filiale suisse. Une antenne a aussi été créée au Japon. Le but est d’établir des comparaisons internationales.
La Suisse compte plus de 300000 PME (jusqu’à 250 employés) représentant plus de 99% des entreprises du pays. A première vue, est-il bon pour la santé de lancer son affaire?
Il y a des facteurs positifs. La fonction de dirigeant de PME procure un sentiment d’optimisme. Le patron est souvent endurant. Il est capable de rebondir en cas de coup dur. Son rôle lui confère aussi une impression de maîtrise: il gère ses collaborateurs, ses horaires. Par contre, il y a aussi des facteurs négatifs, liés à la surcharge de travail, au stress, à une certaine solitude et à la difficulté à concilier vie professionnelle et vie familiale. Notre but est de voir vers quel côté penche le plus la balance. On espère évidemment que la création d’entreprises débouche davantage sur des facteurs valorisants. Car l’Etat, la société et les instituts de formation comme la HEG encouragent l’entrepreneuriat.
Pierre Morand (de l’entreprise de construction métallique R. Morand & Fils SA à la Tour-de-Trême) a marqué les esprits en confiant avoir subi un burn-out. D’autres patrons souffrent-ils en silence?
Oui, énormément sans doute. Le patron de PME dissimule souvent ses soucis de santé derrière une image de leader et de battant. Il dit souvent qu’il n’a pas le temps d’être malade. Les outils de prévention peinent à toucher cette population. Pour les employés, il existe des échelles d’évaluation du stress ou des programmes d’ergonomie. Le dirigeant de PME a tendance à proposer ces outils à ses collaborateurs, mais il est rare qu’il les applique à lui-même. Il a tendance à s’oublier. Les patrons vont moins chez le médecin que les salariés alors qu’en général, ils présentent davantage de comportements à risque. Ils font moins de sport et moins attention à ce qu’ils mangent.
La santé de l’entrepreneur influence-t-elle la santé de son entreprise?
Oui, particulièrement dans les petites sociétés. Contrairement à une multinationale, il existe un lien très fort: un patron de PME qui tombe gravement malade peut mettre en péril son entreprise.
A l’inverse, la mauvaise santé d’une entreprise nuit-elle à l’entrepreneur?
Pas forcément. C’est l’une de nos premières découvertes. Nous avons étudié l’effet du stress lié à une mauvaise situation de l’entreprise. Il y a des patrons qui vont aller plus mal, qui vont perdre le sommeil et se nourrir encore plus mal. Pour d’autres, au contraire, l’optimisme et la volonté de se battre pour la marche des affaires vont prendre le dessus.
Les salariés et les cadres sont aussi exposés à du stress et à une surcharge de travail. Quelles pathologies particulières touchent le patron de PME?
L’incertitude est l’élément le plus fort à gérer. De plus en plus de PME naviguent à vue, à quelques semaines ou quelques mois. Ensuite, contrairement au salarié, le chef de PME n’a pas de structure qui l’encadre. Il porte souvent seul son entreprise. Il est relativement isolé. La proximité avec les collaborateurs a aussi été soulignée dans les premiers entretiens qu’on a menés. Le licenciement d’un collaborateur est revenu très souvent comme une expérience très difficile à vivre émotionnellement.
Y a-t-il des secteurs d’activité plus touchés que d’autres?
On essaiera de le déterminer. Mais le stress a gagné la plupart des domaines. Une de nos hypothèses: la bureaucratie, de plus en plus lourde, participe à ce stress, à une insatisfaction professionnelle. Les normes, les réglementations ne sont pas le cœur du métier de l’entrepreneur, qui veut privilégier l’innovation et les contacts avec ses clients.
Quels remèdes favorisent la bonne santé des patrons de PME?
Ce sera aussi à déterminer. D’une manière générale, apprendre à se fixer des priorités et à déléguer sont favorables.
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