PAR KARINE ALLEMANN
«Je me souviendrai toute ma vie de la première fois où Madeline est venue à la piscine. Elle avait neuf ans et demi et voulait s’entraîner avec nous. Comme je savais qu’elle faisait de la gym artistique, je lui ai demandé ce qu’elle désirait vraiment faire avec le plongeon. Elle m’a répondu: “Je veux aller aux jeux Olympiques. Et j’ai compris qu’avec la gym je n’y arriverais pas.”» C’était il y a cinq ans, à la piscine du Levant, à Fribourg. Depuis, l’entraîneure Carmen Stritt-Burk accompagne la jeune fille un peu partout en Suisse et, désormais, à l’étranger. A tout juste 14 ans, l’adolescente de Pont-la-Ville compte déjà deux podiums lors de compétitions internationales. Elle vise une qualification pour les championnats d’Europe juniors, cet été en Pologne.
Pour ce faire, elle s’astreint à un programme d’entraînement impressionnant: quatre séances avec son club Fribourg-Natation, les lundis et mercredis après-midi à Neuchâtel ou à Berne, une séance de préparation physique le mardi à midi et des entraînements avec son père, sur «la planche à sec» qu’il a fait construire et de laquelle la jeune fille s’élance dans le vide, retenue par une longe.
Mardi, nous avons suivi la jeune fille une bonne partie de la journée. Histoire d’en apprendre un peu plus sur elle: ses motivations, ses coups de blues et ce qu’elle aime par-dessus tout. On découvre un petit bout de femme de 152 cm tout en muscles, en détermination et en talent. Sans oublier la touche d’humour qui rappelle que Madeline Coquoz est une charmante petite adolescente, pas une machine à s’entraîner.
Mardi, donc, après l’école le matin – elle est en deuxième année secondaire à Fribourg – direction la salle polyvalente de Pont-la-Ville, mise à disposition par la commune. Elle y retrouve son préparateur physique Laurent Meuwly. «On travaille son développement global», explique celui qui est notamment entraîneur de l’équipe de Suisse féminine du 4 x 100 m, qualifié pour les JO de Londres. «Comme Madeline est encore jeune, si on ne faisait que du spécifique lié au plongeon, on travaillerait toujours les mêmes muscles et cela pourrait être dangereux pour sa santé.»
C’est à la demande des parents que Laurent Meuwly a accepté de suivre l’athlète depuis le mois de novembre: «L’énorme point fort de Madeline, c’est sa capacité à mettre le sport au centre. C’est très impressionnant. Et cette envie de progresser, tout cela vient d’elle, pas d’une quelconque pression de l’entourage.»
De retour à l’école à 14 h 20, Madeline se rend à pied à la piscine vers 16 h 15. En général, elle attend seule, dans l’entrée, l’heure de l’entraînement. «Ça me coûterait un peu cher d’aller chaque fois boire un verre à la buvette, explique-t-elle. Mais, le jeudi, une super gentille dame m’offre un sirop et me laisse rester en haut.»
On profite des quarante minutes d’attente pour pipeletter un peu avec l’adolescente, qui bénéficie des aménagements scolaires du programme Sport Art Formation (SAF). Ses facilités à l’école rendent ses absences répétées plus faciles à négocier.
«Avoir une bonne copine»
Avec son programme intensif, Madeline n’a pas le temps de voir ses copains de classe en dehors. Comment vit-elle cette différence, à une époque où le cauchemar des ados est justement de se retrouver en marge? «Parfois, j’aimerais bien avoir une bonne copine avec qui parler. Mais, la plupart du temps, ça ne m’embête pas trop. Quand je vais à Eindhoven pour une compétition, c’est tellement génial, je connais plein de monde. Je me dis que mes copains de classe vivent des choses, et moi je vis d’autres choses.»
Contrairement à un sport d’équipe, c’est souvent bien seule que Madeline s’entraîne. «Parfois, je me demande ce que je fais dans cette piscine un peu pourrie, seule, au froid, à me prendre des plats. Mais...» Mais la jeune fille aime la compétition. Rien qu’à ce mot, ses yeux brillent. «Au bout de la planche, l’adrénaline monte. Et quand tu es en l’air, tu es vraiment dans les airs! J’aime ce côté acrobatique. Et j’ai le goût de la perfection. Si je m’énerve, ce n’est pas contre les autres, mais contre moi. J’aime être contente de moi.»
Il est 17 h 25, Madeline doit filer se changer pour le début de l’entraînement. Elle y retrouve Carmen Stritt-Burk. La coach de Fribourg-Natation connaît bien le milieu international pour avoir participé à quatre jeux Olympiques. Deux fois comme speakerine française dans la piscine et deux fois comme juge, à Pékin et à Londres. Quelles qualités voit-elle chez sa plongeuse? «Sa volonté! Et, physiquement, elle a une force explosive extraordinaire. Elle est très rapide dans les rotations.»
Jusqu’à 19 h 30, Madeline Coquoz enchaîne les plongeons. Dans trois semaines, lors de la compétition des Six nations, elle visera les 288 points à 1 m et 310 points à 3 m pour se qualifier automatiquement pour les championnats d’Europe juniors. Elle a déjà réussi 284 et 302 points à Eindhoven, où elle a décroché une troisième place en janvier. Pour continuer de progresser, la Gruérienne devra bien quitter Fribourg un jour pour un des trois centres nationaux à Zurich, Lausanne ou Genève.
«Monter sur les podiums»
Personne ne sait si, dans huit ans, Madeline Coquoz s’élancera d’un plongeoir olympique. Le chemin est encore long. Mais une chose est sûre: aujourd’hui, la jeune fille fait tout pour y parvenir.
Un grand entraîneur de basket a dit que, pour être performant, un jeune ne devait pas faire ce qu’il aime, mais apprendre à aimer ce qu’il fait. Quand on demande à Madeline si elle aime s’entraîner, elle répond: «Oui, parce que je sais que ça me rend meilleure. Et après, je peux monter sur les podiums.»
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La famille s’en mêle
Pour réussir dans le sport, un athlète doit pouvoir compter sur le soutien de ses parents. La famille Coquoz est forcément impliquée. Le papa, Alexandre, ancien plongeur, entraîne sa fille sur la «planche à sec». Il est aussi juge en concours. «Mais je n’ai pas le droit de juger Madeline», précise-t-il quand il vient chercher sa fille à la sortie de l’entraînement, mardi vers 19 h 30.
La maman, Nathalie, a abandonné son travail auprès d’un perruquier pour les personnes en chimiothérapie. «Avec tous les trajets pour amener Madeline aux entraînements et notre cadette Elise aux cours d’équitation, ce n’était plus possible.» Mais la mère de famille s’implique dans la vie du village en tant que conseillère communale.
Financièrement, combien coûte une saison? «Environ 12000 francs. Nous avons la chance que mon mari, qui dirige son entreprise, gagne bien sa vie. Mais nous avons aussi besoin de soutiens, de la Loro-Sport, de l’Aide suisse aux athlètes et de quelques sponsors. Quand Madeline participe à une compétition à l’étranger, c’est 1000 francs à chaque fois.» KA
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