Par Yann Guerchanik et Jean Godel
Né en 1943 dans une Gruyère encore très rurale, observateur attentif et grand connaisseur des rouages de la politique fédérale,
Raymond Gremaud a travaillé durant trente-cinq ans à Berne en tant que journaliste parlementaire. Mais ce Gruérien a également été très impliqué dans la vie de son district, notamment en présidant l’Association gruérienne pour le costume et les coutumes de 1985 à 2011 et en organisant, à deux reprises, la fête de la Poya, en 1989 et 2000.
Avez-vous participé à d’autres Poyas avant 1989?
Raymond Gremaud: Je les ai toutes faites. Les premières comme louveteau avec les scouts; je vendais des insignes. Comme j’ai toujours été assez proche de mon oncle Henri Gremaud qui les organisait dans les années 1960 (n.d.l.r.: Henri Gremaud a créé la Poya d’Estavannens avec André Corboz en 1956) et que j’avais du temps et une voiture, ce qui était rare, j’ai fait quelques tournées avec lui pour placer les Almanach de Chalamala dans les villages. Ainsi, j’ai appris à connaître les gens sur lesquels il pouvait compter et qui se donnaient tant de peine.
A propos de l’édition de 1976, la dernière avant celles que vous avez organisées, Jean-Jacques Glasson disait que c’était la dernière des premières Poyas…
Oui, c’est juste. C’était la dernière qui avait conservé le même scénario: la messe, le jeu scénique, le pique-nique et le cortège. Après, on s’est retrouvés dans une nouvelle ère: les enjeux financiers ont suscité le changement. Et puis, il faut dire que la manifestation a grandi à chaque édition.
A contrario, en quoi la Poya de 1989 était-elle la première d’une nouvelle ère?
Il n’était plus possible d’utiliser les granges comme lieux de rassemblement, en raison des nouvelles normes incendie. Il a fallu penser à des tentes. Et, pour amortir tout ce matériel coûteux et contraignant, l’idée est venue de faire se dérouler la manifestation sur deux jours. Il a donc fallu trouver un projet pour le jour supplémentaire.
Je me promène souvent dans les campagnes suisses et françaises. Un jour, j’avais été frappé par les reliquats de l’agriculture de l’époque du cheval entreposés autour des fermes. Je me suis dit alors que c’était le dernier moment pour réunir et exposer les objets qui témoignent de l’agriculture d’avant le tracteur. En accord avec cette idée de reproduire l’agriculture au temps du cheval, on a aussi choisi de présenter les vieux métiers.
Et pour l’édition de 2000?
Moi qui vais souvent en France, je rêvais de montrer différentes races de vaches, que l’on ne voit pas chez nous. Là-bas, il y a aussi une culture très particulière selon les régions, notamment dans le domaine de la musique. Je voulais faire venir d’autres races de vaches et leur associer la musique des régions où on les trouve.
La Poya de 2000 s’inscrit donc en opposition avec celle de 1976 qui célébrait l’art pastoral de la Gruyère, son passé en train de disparaître?
Je n’y vois pas une opposition, car je suis persuadé que le passé nourrit le présent. La mémoire nous enrichit. Si on la perd, on n’est plus grand-chose. Plus la mémoire est forte, plus on a de force pour faire du neuf. Après, il faut savoir avancer. Et je voulais montrer qu’il existe un monde avec d’autres races, un monde très vivant, marqué notamment par la course au progrès. A ceux qui se moquaient gentiment en disant: «Qu’est-ce que tu nous amènes là?», je répondais: «J’amène de nouvelles vaches et vous, qu’avez-vous fait? Les Fribourgeoises, il n’en reste plus une seule.»
Au risque de tourner la page d’un monde pastoral?
Il n’y a pas moins de costumes d’armaillis, pas moins de chalets occupés, pas moins de bêtes qui vont à la montagne. Au contraire, ces produits-là prennent une valeur particulière.
Il n’y avait aucune revendication dans la Poya de 2000?
Pour ce nouveau siècle, le message à faire passer était surtout de montrer qu’on n’était pas seuls et qu’il ne fallait pas avoir peur d’ouvrir les portes. Peu après la fête, en 2002, il y avait eu la votation sur l’adhésion de la Suisse à l’ONU. La population d’Estavannens avait été massivement positive à ce sujet. Ils étaient fiers d’apparaître comme un monde ouvert et non pas fermé sur lui-même.
Malgré tout, les aspects traditionnels des Poyas demeurent, même pour celle de 2000…
Tout à fait. Le cortège reste le clou du spectacle. Personnellement, j’ai beaucoup aimé la messe de 1989, par le curé de Grandvillard. En s’adressant à un monde qu’il savait païen, il demandait aux gens de prier et de se rassembler avec une grandeur d’âme et une lucidité fantastiques. Il fallait trouver un exemple d’ouverture et d’accueil des autres et il a très bien su le faire.
Le message religieux est-il passé?
L’atmosphère déteint sur les gens. Tout le monde est tranquille, à l’écoute, devant un panorama magnifique. Que cherche tout un chacun? En quelque sorte à se débarrasser du futile pour penser à un autre niveau. Dans le mythe de la Poya, de la montée, de la montagne, il y a quelque chose de pur, de calme, de plus haut, tout simplement. Un besoin presque spirituel de se ressourcer, de trouver son repaire ou ses repères…
La fête de la Poya, Estavannens 1956-2000, Musée gruérien, Editions Alphil, 2013.
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