PAR THIBAUD GUISAN ET JEROME GACHET

«C’est un coup sur le moral.» André Firmann se dit «déçu». Son entreprise, les Ateliers Firmann à Bulle, ne produira plus les plaques minéralogiques du canton de Fribourg. «Nous le faisions depuis 1934», glisse celui qui codirige l’entreprise familiale avec son fils Julien.
La cause du choc: une mise en soumission sur les marchés publics pour la production d’environ 30000 plaques par an, de juillet 2013 à décembre 2016. Lancée le 18 janvier dernier par l’Office de la circulation et de la navigation (OCN) fribourgeois, la procédure s’est officiellement close hier avec la notification de l’adjudication dans la Feuille officielle. L’heureux élu est la société Steinemann Schilder à Hofstetten (ZH). Le contrat entre le fabricant bullois et l’OCN sera rompu au 30 juin 2013.
Au total, quatre entreprises ont soumissionné, pour des montants variant de 158000 à 174000 francs. Les critères retenus: le prix (80% de pondération), la qualité (10%) et le fait d’avoir travaillé pour un autre canton (10%). «Nous reprochons à l’OCN d’avoir établi un appel d’offres où le prix avait autant de poids», note André Firmann.
Le directeur dit avoir soumissionné pour environ 174000 francs. «Pour cela, nous avons fait de gros efforts. Nous étions prêts à produire à prix coûtant. Le vainqueur a soumissionné 15000 francs en dessous: c’est du dumping!» André Firmann assure que «Steinemann est une boîte aux lettres d’une grande entreprise allemande désireuse de conquérir le marché suisse. Elle produit environ 20 millions de plaques par an dans le monde entier. Elle est prête à perdre de l’argent pour obtenir les marchés.»
Les Ateliers Firmann ne feront toutefois pas recours contre l’adjudication.

Pas de devoir moral
L’OCN est un établissement autonome de droit public de l’Etat de Fribourg. N’a-t-il pas un devoir – au moins moral – de se fournir dans le canton? «Je suis déçu, parce que nous travaillons depuis longtemps avec Firmann, note Marc Rossier, directeur de l’OCN. Mais si nous devons penser aux entreprises fribourgeoises, nous devons aussi penser aux contribuables fribourgeois.»
Le directeur de l’OCN précise que, passé 250000 francs, l’OCN est obligé de lancer une procédure de marché public. «En 2010 et en 2011, nous avons rendu attentifs les Ateliers Firmann qu’ils s’approchaient de cette limite. Ils ont fait un effort de l’ordre de 10%. Mais, en 2012, ils se sont retrouvés au-dessus.
Dans l’appel d’offres, Marc Rossier se défend d’avoir défavorisé l’entreprise bulloise. «La souplesse dans les commandes et les frais de livraison à la charge de l’entreprise entraient aussi en ligne de compte. Or, ces conditions étaient favorables aux Ateliers Firmann.»
De son côté, André Firmann estime primordial que le label suisse soit garanti pour la production de plaques minéralogiques. «Et ce pour des motifs sécuritaires, dans un pays où les plaques sont délivrées à vie. Seuls les fabricants suisses peuvent être facilement contrôlés pour assurer la traçabilité en personnel et sur la matière.»
L’OCN assure que toute la production sera faite en Suisse. «Pour cette commande, Steinemann Schilder s’associe à une société établie dans le Jura», informe Marc Rossier.

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Par an, 200000 plaques
Les Ateliers Firmann produisent environ 200000 plaques minéralogiques par an: pour les cantons de Fribourg (depuis 1934), de Neuchâtel (1950), du Tessin (1972) et de Genève (1998) ainsi que pour l’armée suisse. S’y ajoutent environ 120000 plaques semi-finies fabriquées en sous-traitance.
Avec la perte de son client historique, l’entreprise bulloise craint-elle que d’autres suivent la même tendance? «Les cantons avec qui nous traitons aiment travailler avec nous. Je suis confiant», répond André Firmann. Reste que le directeur a fait ses calculs. La production des plaques fribourgeoises représente l’équivalent de six mois et demi de travail pour un employé. Dès lors, l’atelier, qui emploie 19 collaborateurs, pourrait-il licencier? «Non, mais il faudra trouver d’autres débouchés.»
A ce jour, la production de plaques représente 25% du chiffre de l’entreprise (environ 6 millions au total). «On perdra environ 10% sur ce secteur.» Pour le reste, les Ateliers Firmann assurent 30 à 35% de leur chiffre d’affaires grâce à la serrurerie du bâtiment, 20% par la production de matériel annexe aux glissières de routes (en sous-
traitance), 5% par la fabrication de cloches (créneau historique dès la fondation de l’entreprise en 1906) et le solde par la production de matériel pour les abris PC.
En tout, c’est plus d’un million de plaques minéralogiques fribourgeoises qui auront été produites à Bulle jusqu’à la fin juin 2013. TG