PAR DOMINIQUE MEYLAN
L’extension des heures d’ouverture des magasins n’a pas encore été formellement acceptée à Berne, mais les tendances semblent déjà bien établies au niveau fribourgeois. Les grands distributeurs sont favorables, les commerçants traditionnels opposés, même si une frange reste indécise. Les syndicats dénoncent une nouvelle attaque contre les conditions de travail des vendeurs. Avec cette proposition, les heures d’ouverture seraient harmonisées dans toute la Suisse jusqu’à 20 h en semaine et 19 h le samedi.
Trade Fribourg, l’association des grandes entreprises de commerce de détail, par la voix de son président Alain Deschenaux, se dit clairement favorable. Ce dernier se réfère à une étude de la BCF, selon laquelle les heures d’ouverture actuelles génèrent des pertes économiques et des préjudices en termes d’emplois pour le canton.
La Fédération cantonale fribourgeoise du commerce indépendant de détail (FCFCID) se prononcera sur cette extension lors de son assemblée fin avril. Son comité directeur est toutefois favorable à l’élargissement des heures d’ouverture «de façon générale», rapporte son secrétaire général Jean-Jacques Marti. Même s’il avoue qu’un positionnement clair et unique de sa fédération est difficile, tant les commerces représentés sont hétérogènes.
Président de l’Association des commerçants du canton de Fribourg (ACCF), une entité issue de l’Association des commerçants de la Gruyère et de la Veveyse, Didier Clément est opposé à cette libéralisation. Selon lui, un gros avantage serait donné à la grande distribution, au détriment des commerçants traditionnels, incapables de s’aligner.
Les syndicats, aussi, y voient une manœuvre de la grande distribution, largement représentée par des lobbies à Berne. «C’est un jeu terrible où l’objectif est de faire travailler les gens et de faire dépenser les consommateurs», commente Armand Jaquier.
Conditions de travail
Selon le secrétaire régional au syndicat Unia, cette libéralisation représenterait une lourde dégradation des conditions de travail. «Toute une partie de la société n’aurait plus le droit à une vie de famille», estime Armand Jaquier, pour qui les femmes seraient les premières touchées. Les contrats signés dans le commerce de détail dévient de plus en plus vers des temps partiels. Mais les patrons exigent une grande disponibilité de la part de leurs employés, bloquant toute perspective de compléter un temps de travail.
Le camp opposé réfute les critiques. «Même si les heures d’ouverture augmentent, les employés ne pourront pas travailler plus longtemps, note Jean-Jacques Marti. La Loi sur le travail les protège.» Le secrétaire général de la FCFCID admet toutefois que cette extension pourrait poser problème pour un petit patron, qui tiendrait, seul ou avec son conjoint, une boutique. S’il veut suivre les horaires des grandes surfaces, il devra s’imposer d’exténuantes journées de travail.
«Certains employés se sentiront peut-être pénalisés, affirme Alain Deschenaux, mais d’autres seront contents.» Selon le président de Trade Fribourg, un magasin comme Coop Pronto à la gare de Fribourg, ouvert tard le soir, n’a aucun mal à recruter des employés. «Beaucoup ont envie de travailler en dehors des horaires habituels.»
Personnel qualifié
Didier Clément en appelle à des sentiments humains et pas au seul souci du profit: «Les commerçants traditionnels ne veulent pas gagner quelques centaines de francs supplémentaires par mois au détriment de la qualité de vie de leur personnel.» Le problème serait encore plus complexe. Les boutiques spécialisées misent sur leur expertise et les relations avec les clients. Elles ont besoin de personnel qualifié et pas seulement d’étudiants qui cherchent à arrondir leurs fins de mois. «On ne peut pas demander à ces personnes de travailler dix ou douze heures par jour», avance Didier Clément.
Si l’extension est acceptée, les magasins ne seront pas obligés d’ouvrir jusqu’à 20 h en semaine et 19 h le samedi. Selon Jean-Jacques Marti, les commerçants pourraient même s’entendre sur leurs horaires à l’échelle d’un quartier ou même d’une ville comme Romont. «Ce qui est important, c’est de s’adapter à la demande, estime le secrétaire général de la FCFCID. Tout le monde y gagnerait.» Alain Deschenaux ajoute que les grands distributeurs ne constituent pas la seule concurrence pour les petits commerçants: internet, les cantons limitrophes ou même les pays voisins attirent aussi les clients.
Didier Clément n’est pas convaincu, loin de là: selon lui, la grande distribution cherche bel et bien à gagner des parts de marché sur le dos des indépendants. Le président de l’ACCF a imaginé une autre variante, qui s’adapterait à l’évolution de la société invoquée par les grandes surfaces: accorder aux petits patrons la possibilité d’ouvrir leur épicerie le soir, pour autant qu’ils travaillent eux-mêmes et ne pénalisent pas leurs employés. «Ainsi, on offrirait un avantage aux commerces traditionnels.»
Pour le canton, la fermeture des commerces à 19 h le samedi constitue le véritable enjeu. Cette harmonisation permettrait de freiner le tourisme des consommateurs. Cette heure n’est d’ailleurs pas remise en cause par les grands distributeurs. «Nous ne voulons pas une américanisation de la société», promet Alain Deschenaux. Pas question d’ouvrir la nuit ou le dimanche.
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Plusieurs motions sur la table
C’est un déni de démocratie, se plaignent les opposants à cette extension des heures d’ouverture des magasins. Les dernières votations leur donnent raison. Le peuple a refusé la grande majorité des propositions allant dans le sens d’une libéralisation. Pour ne citer qu’un exemple, les Fribourgeois se sont opposés en 2009 à la fermeture des magasins à 17 h le samedi. Alain Deschenaux, président de Trade Fribourg, y voit pourtant un avantage: «Aujourd’hui, tout est sur la table. Nous pouvons mener une discussion de fond.»
Les propositions, issues de la droite, se sont multipliées ces derniers mois. A Berne, les Chambres ont accepté deux motions poussant le Conseil fédéral à empoigner ce dossier. Le sénateur démocrate-chrétien tessinois Filippo Lombardi est l’auteur du texte proposant une harmonisation des horaires dans toute la Suisse. Cette motion doit encore être formellement avalisée par le Conseil des Etats, avant d’être traitée par le Gouvernement.
Un autre projet, déposé par Fabio Abate, pousse à assouplir les conditions de travail dominical dans les régions touristiques. Simultanément, l’alliance pour le dimanche a déposé la semaine dernière à Berne un référendum, pour lequel elle a récolté 85000 signatures. Elle s’oppose à une autre proposition des Chambres: libéraliser les horaires des magasins de stations-service situés le long des axes de circulation fortement fréquentés. DM
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