Les secouristes paient pour sauver des vies

| mar, 28. mai. 2013
Les colonnes de secours sont régulièrement appelées pour rechercher une personne disparue dans un lieu à l’accès difficile. Pourtant, sans subventions, les sauveteurs doivent délier leur bourse pour leur matériel et leurs exercices.

PAR PRISKA RAUBER

Ils sauvent des vies. Quittent leur lit pour arpenter la montagne glissante, hostile. Retrouvent des personnes disparues, perdues, coincées, blessées, décédées. Descendent en rappel, qu’il vente ou qu’il neige. Marchent parfois sept heures d’affilée. Et paient de leurs poches leur matériel de sauvetage et les exercices qu’ils effectuent une quinzaine de fois l’an, pour continuer à «secourir de la meilleure des manières, dans les meilleurs délais». Soit la mission des membres des colonnes de secours.
«Par rapport à la responsabilité que nous avons, il est vrai que nous ne recevons pas beaucoup de financement, constate Stéphane Rauber, sauveteur au sein de la colonne de secours de la Gruyère. D’autant que nous sommes quasiment les seuls à pouvoir faire ce que nous faisons.» En effet, la colonne de secours est particulièrement sollicitée par ses partenaires – la Rega, la police, les pompiers et même l’Organisation catastrophe du canton de Fribourg (ORCAF) – pour retrouver une personne lorsque les accès sont difficiles. Comme en cas d’avalanches, de chutes et d’accidents de voiture, d’aéronef, de parapente, de mountain-bike et de canyoning. Les endroits escarpés, ça connaît ces sauveteurs.
«Nous avons une très bonne collaboration avec nos partenaires, qui reconnaissent notre travail, se félicite Dominique Mooser, préposé au sauvetage du Club alpin suisse (CAS) section Gruyère. Mais effectivement, par rapport aux pompiers par exemple, ça ne suit pas du point de vue des subventions.» Concrètement, seules les interventions sont payées, par les assurances. Pour leur fonctionnement, les stations de Bulle et de Jaun – qui composent la colonne de secours de la Gruyère – reçoivent 2450 francs par an, versés par le Secours alpin suisse (SAS). Une fondation créée fin 2005, avec pour mission de conclure des accords de prestations avec les cantons, et regroupant la Rega et le CAS. A qui sont historiquement rattachées les colonnes de secours.
 

Redevances en sus
«De ces 2450 francs, il faut toutefois retrancher 500 francs de redevances que nous devons payer à l’OFCOM, pour l’utilisation des radios qui nous servent à communiquer lors d’une intervention», précise, un brin scandalisé, Dominique Mooser. Qui ajoute encore que la section gruérienne du CAS verse également quelque 2000 francs par an à la colonne de secours, à se répartir entre les deux stations.
Pas de quoi défrayer le matériel ni les entraînements des sauveteurs, pourtant pointus. Parmi les septante membres de la colonne gruérienne, certains sont spécialisés dans le sauvetage héliporté, d’autres dans la recherche avec les chiens, en plus de connaissances médicales ou en matière d’escalade.   
«Nous sommes clairement le parent pauvre de la branche du sauvetage, confie Gabriel Pythoud, chef de la station de Bulle. J’ose croire que nous nous sommes rendus indispensables et pourtant, nous ne sommes pas reconnus d’utilité publique.» Alors que la colonne de secours est sans cesse sollicitée. Et de plus en plus (voir ci-dessous): en moyenne vingt-cinq fois par année, même hors des limites du district, jusqu’à Fribourg ou Yverdon.

Qui paie quoi?
Les deux chefs avouent ne pas bien savoir qui paie quoi, à qui. Gabriel Pythoud concède que les colonnes sont sans doute responsables de cet état de fait. «Nous n’actionnons peut-être pas les bons leviers. Il semblerait que ce soit aux communes d’assurer la sécurité sur leur territoire. Alors doivent-elles nous subventionner? Quant au SAS – le secours alpin donc, à ne pas confondre avec le Service d’ambulance de la Sarine! – il est parvenu à conclure certains accords dans quelques cantons, comme Berne ou les Grisons. Mais sur Fribourg, rien ne bouge.»
Renseignements pris, «l’Association régionale de la Gruyère n’a pas pour  fonction, selon ses statuts, de soutenir financièrement une telle structure», indique Patrice Borcard, président de l’ARG. Le canton, par contre, dispose d’un budget pour le secours d’urgence. Quelque 12000 francs par an sont versés au SAS par la Direction de la sécurité et de la justice (DSJ), ce qui correspond à 4 ct. par habitant. A noter que le canton compte encore deux autres colonnes, une à Châtel-St-Denis et l’autre au Lac-Noir.
Les colonnes de secours ne sont donc pas directement soutenues financièrement par le canton. Ce qu’elles souhaiteraient pourtant. Même si politiquement, les cantons ne peuvent verser des subventions aux organisations sportives, précise Nicolas Vez, président de la section romande du Secours alpin suisse. «Ce qui n’empêche pas que des arrangements puissent être convenus entre cantons ou communes et colonnes de secours.»
«La question du financement du secours en montagne par les cantons est un dossier d’actualité», souligne Didier Page, conseiller scientifique au DSJ. En contact avec le SAS, le Service de la protection de la population et des affaires militaires souhaite avant tout qu’une solution commune à tous les cantons, du moins à tous les cantons romands, soit trouvée.

Dossier sur la table
«Une première étape préalable dans cette direction devrait être une prise de position commune au niveau de la Conférence latine des chefs de service de la sécurité civile et militaire», précise Didier Page. Aucun agenda précis n’a toutefois été établi à ce jour concernant une telle prise de position. «Mais, encore une fois, le dossier est sur la table.» En attendant, les sauveteurs poursuivront leurs entraînements réguliers et le renouvellement de leur matériel à leurs frais, pour continuer à «secourir de la meilleure des manières, dans les meilleurs délais».

 

"Merci pour votre altruisme"
«Vous avez fait tout votre possible et nombre d’entre vous ont risqué leur vie et sacrifié leur nuit pour tenter de porter secours à une personne qui était très chère à nos cœurs. Nous aimerions vous faire part de notre profond respect pour votre engagement et votre altruisme. Grâce à vous, d’autres vies pourront être sauvées ou, comme dans notre cas, des corps retrouvés, pour permettre aux familles de faire leur deuil et d’accepter l’inacceptable. Merci pour votre dévouement, votre amabilité et votre disponibilité.»
Dans les «très rares» remerciements qui leur parviennent, les membres de la colonne de secours puisent force et motivation. Non qu’ils en manquent. Mais il n’empêche, certaines interventions leur laissent «de méchantes traces». Ils peuvent alors bénéficier des structures de débriefing de la police, si besoin. «Heureusement, nous ramenons plus de vivants que de morts, confie Gabriel Pythoud, chef de la station de Bulle. Et nous n’avons pas d’attente par rapport à la reconnaissance des personnes secourues. Comme ça, nous ne sommes pas déçus!»
Ni attente, ni jugement. Même devant l’augmentation des interventions, qui s’explique aussi par l’arrivée des smartphones, facilitant l’accès aux secours. «Evidemment, nous ne jugeons jamais. Mais avec du recul, nous nous rendons compte que les natel et leurs applications représentent comme une solution de facilité, explique Dominique Mooser, préposé au sauvetage de la colonne de secours de la Gruyère. C’est certainement inconscient. Mais sans ça, vous y réfléchissez sûrement à deux fois avant de vous embarquer.» pr

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses