PAR YANN GUERCHANIK
Des barrières en bois établissent un périmètre de sécurité tout autour de l’échafaudage destiné aux bâches publicitaires. «S’il venait à tomber, personne ne serait dessous», explique Gabriel Kolly. Le président du comité d’organisation de la 29e Rencontre des jeunesses gruériennes – qui débute ce jeudi à Corbières – a tiré les leçons du passé. L’été 2011, durant le giron du Châtelard, l’effondrement d’une structure semblable avait grièvement blessé un jeune homme.
Edition après édition, les jeunesses organisatrices se transmettent un dossier de sécurité constamment mis à jour. Chaque zone de la manifestation est réfléchie avant d’être avalisée par la police, les pompiers et les ambulanciers. Au fil des ans, la préfecture a resserré la surveillance. Les girons ne ressemblent plus aux joyeux souks des débuts.
Membre du comité de cette 29e Rencontre et responsable de la sécurité, Henri-Pierre Blanchard est sans appel: «Les choses sont incomparables! En 2001, on était que deux ou trois à se charger de la sécurité. On n’engageait pas d’entreprise spécialisée. L’essentiel était de surveiller un peu les jeux.» Les temps ont changé, la tendance est à l’hypersécurité. Mais, il n’y a pas que cela.
Des fêtes pharaoniques
Avant tout, ce sont les dimensions de la fête qui ont évolué: les rencontres sont devenues des manifestations gigantesques. Elles ne se déroulent plus sur un jour, mais sur quatre et leurs infrastructures sont comparables aux grands festivals. En 2011, le giron d’Epagny a placé la barre très haut: avec des chars colossaux, une tonnelle de plus de 10000 m2 et une fête répartie sur 120000 m2.
Alors président du comité, Didier Castella se souvient qu’il avait même dû freiner certains jeunes et en appeler à leur sens des responsabilités. «Ils voulaient faire toujours plus grands!» Première conséquence de ce surdimensionnement: on trouve désormais davantage d’adultes au sein des comités. Pour preuve, Henri-Pierre Blanchard, vice-syndic de Corbières, a 61 ans.
A l’époque, il paraissait déjà extraordinaire que des jeunes de vingt ans arrivent à bout d’une manifestation qui pesait une centaine de milliers de francs. Pour la rencontre de Corbières, c’est huit fois plus qui est mis dans la balance. «On a besoin de gens plus âgés qui ont de l’expérience et un certain charisme, confie le jeune Guillaume Berset, responsable des festivités. Rien que pour discuter avec les autorités, on est ainsi davantage pris au sérieux.»
Car les autorités ont l’œil de plus en plus attentif sur ces fêtes monstres. Les préfets des districts du Sud viennent, par exemple, d’édicter un règlement qui revoit sérieusement l’encadrement des campings (La Gruyère du 20 juin).
Parmi les hantises, les accidents comme celui qui s’est produit la semaine passée à la Fête fédérale de gymnastique, à la suite de la tempête qui s’est abattue sur Bienne. «Cela a fait réagir les autorités gruériennes, confie Gabriel Kolly. On a eu des séances avec des responsables sanitaires où il a beaucoup été question de normes.»
Normes et improvisation
Une rencontre de jeunesses navigue entre professionnalisme et amateurisme. Des agents de sécurité mandatés (ils seront 18 à Corbières), des Samaritains, des pompiers et autre personnel assermenté côtoient une foule de bénévoles qui savent plus ou moins ce qu’ils font. Du bout des lèvres, tout président avouera que les phases les plus délicates sont le montage et le démontage.
Une fois montées, les vastes cantines sont passées au peigne fin par l’ECAB. Des sorties de secours à la distance entre les tables, tout est inspecté. Même chose pour l’immense tonnelle qui sert depuis trois girons et dont on pourrait presque imaginer qu’elle fasse l’objet d’une mise à l’enquête. Le montage et le démontage n’en demeurent pas moins les moments de tous les dangers, d’autant qu’il est souvent difficile de faire respecter les normes en vigueur sur les chantiers professionnels.
La précipitation à cause d’un timing serré, l’inexpérience, la fatigue accumulée au moment du démontage sont autant de facteurs de risques. L’entreprise qui loue la cantine dépêche sur place un unique spécialiste chargé de jouer les chefs d’orchestre, mais ce sont des centaines de volontaires qui mettent la main aux marteaux ou sur le volant des machines. A l’inverse, une manifestation comme le Comptoir gruérien mandate une entreprise spécialisée et des architectes pour l’ensemble des opérations.
Pour autant, les opérations nécessaires à la fête ne tiennent pas du concours de circonstances. Beaucoup de bénévoles exercent les compétences qui sont les leurs dans la vie professionnelle. Les tâches sont le plus souvent dévolues à des charpentiers, des électriciens ou encore des conducteurs d’engins. Le vice-président des Rencontres de Corbières, Damien Blanc, est ainsi conducteur de travaux chez JPF.
Responsabilité de chacun
Parmi les infrastructures, les jeux font encore l’objet d’une attention particulière (lire ci-contre). Mais, au-delà des précautions à prendre, il y a des zones d’ombre qui cacheront toujours un danger. Gabriel Kolly le sait bien: «Si l’on voulait écarter le moindre risque, on ne ferait plus rien.»
Au final, une telle manifestation en appellera toujours à la responsabilité individuelle. Quant à son organisation, elle est constitutive d’un vrai savoir-faire, une tradition vivante, pour ainsi dire, qui se transmet au fil du temps.
Le programme de la manifestation dans notre édition de jeudi. Infos sur www.rjg2013.ch
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Spécialité: la sécurisation des jeux de la fête
Sur la place des jeux de la 29e Rencontre des jeunesses gruériennes, se dresse une tour pour le moins imposante. Ce type d’installations, qui font fureur lors des girons, ont un statut particulier. Ils font l’objet d’un suivi de la part d’un ingénieur civil, mais le Bureau de prévention des accidents refuse de les contrôler. La fondation ne saurait en effet poser une expertise sur ce qui passe, au mieux, pour un prototype.
Depuis quelques années, les organisateurs font appel à un spécialiste en la personne de Valentin Monème. Le Bullois de 28 ans a emmagasiné une certaine expérience au cours des cinq fêtes de jeunesses qu’il a couvert en tant que responsable des Samaritains de Bulle et environs. Sans compter qu’il participe, au même titre, à une trentaine de manifestations par année. Le charpentier de métier a également été responsable sécurité de la dernière Fête des musiques de La Tour-de-Trême. Il connaît par cœur les lois, les directives et les normes à respecter.
Conclusions à valeur de conseils
A Corbières, il est exclusivement chargé du contrôle des jeux. «En mettant en place davantage de sécurité, j’avais moins de patients en tant que Samaritain, c’est comme cela que mon intérêt pour les jeux a commencé.» Le Bullois n’intervient qu’une fois l’installation achevée. «Sur place, j’analyse les actions que les participants sont censés entreprendre et j’estime les risques. Je contrôle aussi les normes.»
Valentin Monème connaît la construction de par son métier, mais il est également sur le point de finir sa formation de chargé de sécurité et de santé. Une formation dispensée par la Suva qui débouche sur un brevet fédéral. Ses conclusions ont valeur de conseils, il ne délivre aucun certificat. On fait appelle à lui comme consultant, une tâche qu’il exerce bénévolement. «Les organisateurs sont réceptifs à ce que je leur dis dans la mesure où j’ai un certain vécu par rapport à ce genre de fêtes.»
Quelques-unes de ces actions ont été décisives dans «l’histoire» des jeux. Ainsi, le jeu du toboggan fait beaucoup moins de victimes depuis son intervention. «J’ai proposé qu’on place une barrière afin que les concurrents s’élancent assis, l’un après l’autre. Le jeu est bien plus sûr tout en restant amusant.»
Et puis, le spécialiste le clame volontiers: «Dans ce genre de manifestations, les dangers sont tellement pris en compte que les jeunes y courent moins de risques qu’ailleurs.» En 2012, la première rencontre d’hiver au Moléson avait provoqué la peur chez bon nombre de parents. «Mais la sécurité était parfaitement au point. Il y avait même des gens postés au bas des routes pour que personne ne descende à pied!»
Reste qu’à Moléson, il a fallu tout de même improviser par moments. Président de la fête, Dider Castella se souvient que les pompiers avaient dû intervenir sur un important incendie à Gruyères: «On a dû trouver un autre corps de pompiers de village pour assurer la sécurité de la manifestation.»
L’essentiel consiste à prévoir des mesures d’urgence en cas de problème. Président des Rencontres de Corbières, Gabriel Kolly a prévu, par exemple, d’évacuer la cantine si les rafales de vent atteignaient des limites alarmantes. «J’ai demandé qu’on m’indique précisément ce que la tente pouvait supporter et je suis abonné à plusieurs systèmes d’alerte.»
Patrice Borcard le dit clairement: «Les grandes manifestations bénéficient d’un tel encadrement que les choses s’y passent généralement bien. Dans bon nombre de petites manifestations par contre, on n’a pas toujours conscience des dangers. C’est là qu’il peut y avoir des problèmes importants.» Et le préfet de la Gruyère d’ajouter: «Il faut savoir que les présidents des comités d’organisation ont de grandes responsabilités. Tous ne le réalisent pas forcément, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques.» YG
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