PAR CHRISTOPHE DUTOIT
La balade va durer deux heures. Ou un peu plus si le spectateur se prend à flâner dans les ruelles pittoresques de Rossinière ou à s’attabler sur une terrasse pour y déshydrater sa soif de rêverie. Jusqu’au 22 septembre, le festival de photographie Alt. +1000 déroule sa troisième édition dans les granges du village. Visite virtuelle avec sa directrice Nathalie Herschdorfer, à l’issue du vernissage de samedi dernier.
Comme à son habitude, le festival expose à la fois les lauréats de son concours et des artistes invités, sur la thématique de l’altitude, au sens le plus large du terme. Cet été, douze expositions balisent ainsi un itinéraire au cœur de la photographie contemporaine, un laboratoire d’idées parfois saugrenues, parfois pertinentes, qui dévoilent la richesse de la création actuelle en matière d’images.
Commençons la randonnée avec les cinq lauréats. Le Mexicain Pablo Lopez Luz (1979) a photographié la ville de Mexico, située à 2200 mètres, depuis un avion biplace. Il montre le gigantisme de ce tissu urbain qui dévore les derniers espaces de végétation disponibles agrippés à de rares collines.
Toujours à bord d’un avion, la Chinoise Wang Lin (1973) officiait comme hôtesse de l’air dans une compagnie intérieure. «Quinze minutes après le décollage et avant l’atterrissage, j’avais pris l’habitude de m’asseoir sur un siège réservé à l’équipage, raconte-t-elle. Et j’observais les paysages extérieurs à travers le hublot de vingt centimètres de diamètre.» Ses tirages, des diptyques de carrés superposés, montrent avec poésie des ciels ennuagés sur fond bleu et des mégapoles embrouillardées. Sans doute le travail le plus enthousiasmant du festival. Et ce, bien que la photographe ait été congédiée par son employeur à cause de ses images…
Parmi les autres lauréats, on retrouve de jeunes créateurs suisses, à l’image de Valentina Sutter (1989), qui s’est immiscée dans les fêtes guindées du Gstaad Palace, mais aussi dans la bâtisse en dehors de la haute saison, pour marquer un contrechamp à cette «altitude sociale». Ancien étudiant de l’Ecal, Cyril Porchet (1984) joue, quant à lui, avec les plafonds peints d’églises baroques, dans un noir et blanc qui renforce encore le trompe-l’œil et l’absence de repères spatiaux. Enfin, le collectif finlandais Maanantai Collective expose sa série Nine nameless mountains, qui fait également l’objet d’une publication.
Affiche au prix de 5 francs
Face à ces jeunes pousses de la photographie, Nathalie Herschdorfer a programmé sept artistes invités, à la fois en continuité et en contrepoint. Honneur au plus âgé, Georg Gerster (1928), qui fut durant plusieurs décennies à l’origine des publicités de Swissair. Vous savez, ces affiches de vues aériennes qui décoraient les agences de voyages… «Gerster n’a jamais été reconnu pour son travail, alors qu’il a débuté bien avant Yann Arthus-Bertrand», explique la directrice du festival. A Rossinière, on pourra ainsi découvrir une série d’affiches originales, que l’on pouvait jadis acquérir pour 5 francs…
A l’opposé, les étudiants de la Chung-Ang University de Séoul ont planché sur la notion d’altitude, bien que la capitale sud-coréenne soit affranchie de toute montagne. Dans une vidéo hilarante, un élève saute d’un tabouret posé sur une table, comme pour donner du sens à cette pesanteur si capricieuse. Plus loin, un autre a disposé des cubes en granit, à empiler en faisant un vœu…
Au chapitre des travaux les plus intéressants, on relèvera la série Tracés du Genevois Nicolas Crispini (1961). «Depuis vingt ans, je me frotte aux cailloux pour m’y user.» Dans ce travail en cours, le photographe s’accompagne d’un GPS qui enregistre la dénivellation parcourue durant sa journée de prises de vue. «Mon corps dessine comme un crayon la silhouette d’une montagne, que je superpose à l’image choisie, car il ne peut en rester qu’une seule par journée de travail.» Ses montagnes rocailleuses flirtent alors avec l’abstraction, avec une épure de couleurs et de formes qui font penser à des haïkus photographiques.
Plus loin, on rencontre encore une image très contemplative de la Suissesse Esther Mathis (1985), une montagne enrobée de bru-mes, un roc vaporeux aux confins du monochrome. A l’inverse, l’Américaine Penelope Umbrico (1957) trafi-que des images glanées sur internet et bidouille avec son iPhone des coloris guimauve et des effets kitschissimes. «Elle est très inspirée par La mélodie du bonheur, le film avec Julie Andrews. Elle fait partie des plasticiens qui expérimentent l’aspect joyeux de la photographie», analyse Nathalie Herschdorfer.
Un Afghanistan si photogénique
Toujours dans cette veine ultracolorée, le photographe anglais Simon Norfolk (1963) projette sa série A disaster season, qu’il vient à peine d’achever ce printemps en Afghanistan. Récent lauréat du Prix Pictet, l’ancien photographe de guerre a saisi le passage des saisons dans la vallée du Bamiyan, théâtre de catastrophes naturelles et de destructions talibanes. Une région pourtant si photogénique…
Enfin, ce parcours photographique s’achève avec la série Transmission de l’Anglais Dan Holdsworth (1974), qui modélise des paysages informatiques d’après des données géologiques réel-les, prises dans l’Ouest américain. En résultent des images en dégradés de gris, à la fois synthétiques et esthétisantes, qui devraient être du plus bel effet pour décorer un loft new-yorkais.
Rossinière, Alt.+1000, jusqu’au 22 septembre, ma-di, 11 h-18 h 30.
Infos: www.plus1000.ch
Le catalogue High altitude est disponible aux Editions 5 Continents
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