PAR JEROME GACHET
La tuberculose: son nom fait ressortir des peurs ancestrales. La découverte, en mars 2013, d’un cas de tuberculose bovine dans un troupeau du Gibloux sarinois a choqué le monde agricole et interpellé les scientifiques: comment est-ce possible? Comment la tuberculose bovine, pratiquement éradiquée en Suisse, est-elle réapparue dans le canton de Fribourg? Lors des cinquante dernières années, elle n’a resurgi qu’à de rares occasions, notamment en 1998 en Appenzell.
Dès l’annonce de sa présence dans le canton, les hypothèses vont bon train. La piste que suivent actuellement les spécialistes paraît incroyable. Selon toute vraisemblance, le germe de la tuberculose bovine (Mycobacterium bovis) qui a frappé une vingtaine de vaches fribourgeoises s’est caché durant plusieurs dizaines d’années dans un corps humain avant d’opérer son retour dans le règne animal.
L’un des spécialistes de la question, le Dr Jean-Pierre Zellweger, en est convaincu: «La transmission de l’homme au bétail est de très loin l’hypothèse la plus plausible pour expliquer cette réapparition.»
Médecin conseil pour la Ligue pulmonaire suisse, ce Fribourgeois de Villars-sur-Glâne a écarté pratiquement toutes les autres possibilités. Il se lance dans son argumentation: «La tuberculose bovine peut atteindre les poumons, mais parfois aussi d’autres organes comme les glandes mammaires. Les vaches pouvaient ainsi transmettre la bactérie dans le lait. Ainsi, un homme qui buvait du lait contaminé courait le risque d’être infecté par voie digestive et pouvait développer la tuberculose. Avant les années 1950, une grande partie des cas de tuberculose due au germe bovin touchait le système digestif.»
Avec les progrès de la science et grâce à des contrôles sanitaires toujours plus performants, cette forme a pratiquement disparu dans les pays industrialisés. «On ne recense que quelques cas chaque année en Suisse, presque toujours chez des personnes âgées ou qui ont vécu dans des pays où cette forme de tuberculose existe encore.» L’explication est simple: «Ces individus ont été infectés durant leur enfance, probablement par le lait, et ont passé toute leur vie avec le germe sans s’en rendre compte.»
Il faut dire que l’intrus est discret, habilement neutralisé par le système immunitaire. «Mais quand ce dernier faiblit, en raison d’un âge avancé ou de problèmes de santé, la maladie peut se développer», poursuit Jean-Pierre Zellweger. C’est le début des ennuis: la tuberculose déploie ses symptômes, se répand dans l’organisme et devient contagieuse par la voie aérienne si les poumons sont touchés.
Le bovin moins contagieux
Les chercheurs ont aussi constaté que la transmission est beaucoup plus facile de l’être humain vers la vache que l’inverse. D’abord parce qu’il n’est plus possible de l’attraper par les produits laitiers ou la viande. Ensuite parce que le bovin a plus de peine à expulser les bactéries hors de son corps comme le fait l’homme en éternuant ou en toussant. Une vache peut certes en contaminer une autre, mais à la condition de rester en contact prolongé. Condition rarement remplie avec l’être humain.
Les pièces du puzzle s’assemblent. Un autre élément accrédite la thèse du Dr Zellweger: la vache du troupeau giblousien qui a développé la maladie – elle a été détectée après l’abattage – est née en Suisse et n’est pas sortie du pays durant les onze ans de son existence. Le germe n’a donc pas pu tomber de nulle part.
Tout colle
Le plus spectaculaire, c’est que l’on va peut-être réussir à déterminer la personne qui a hébergé la bactérie durant des décennies avant de la retransmettre à son insu. Le Service du médecin cantonal a en effet retrouvé le dossier d’une dame atteinte de tuberculose à germe bovin décédée il y a quelques années à un âge avancé. Tout colle: il s’avère qu’elle a souffert de la maladie à la fin de sa vie et qu’elle a été en contact avec la fameuse vache, alors âgée de 7 ou 8 ans.
Par chance, le matériel biologique a été conservé, ce qui permettra de comparer l’ADN du germe en question de la personne et celui de l’animal.
Le Dr Zellweger attend les résultats avec une grande impatience. Si les souches sont semblables, bingo! Il a de bonnes raisons d’y croire. Et même si ce n’est pas le cas, son hypothèse conservera toute sa pertinence. «La transmission s’est peut-être faite par un visiteur ou un ouvrier provenant d’une région où l’on trouve encore ces bacilles bovins. Ce sera difficile à prouver, mais, encore une fois, tout laisse penser que la transmission s’est faite par l’homme.»
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«Le scénario appenzellois se répète»
Retracer le parcours du bacille depuis une vache dans les années 1950 à un corps humain avec retour à l’animal soixante ans plus tard? Des chercheurs ont déjà réussi cette gageure. Parmi les auteurs de cette étude, Jean-Pierre Zellweger. «Ce qui se passe dans le canton de Fribourg, c’est le scénario appenzellois qui se répète quinze ans plus tard», expose le spécialiste. Entre 1998 et 1999, une vingtaine de vaches d’un même troupeau situé en Appenzell avaient été testées positives au test de Mantoux (test intradermique à la tuberculine) et certaines étaient tombées malades. Les chercheurs avaient ainsi pu déterminer que c’est un ancien paysan, âgé de 72 ans au moment de son décès, qui avait transmis la bactérie à plusieurs vaches de l’exploitation voisine à laquelle il donnait un coup de main. Lui-même avait attrapé la tuberculose bovine durant son enfance en buvant du lait contaminé. En bonne santé durant pratiquement toute sa vie, il avait développé la maladie à la force de l’âge, devenant ainsi contagieux. Les chercheurs ont pu comparer les deux souches à la faveur d’un test génétique, prouvant qu’elles étaient identiques. JG
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Quinze bovins infectés, aucun humain
état des lieux. L’animal semble avoir plus de risques d’attraper la tuberculose bovine que l’être humain: les chiffres obtenus depuis le mois de mars dernier l’attestent. Jusque-là, l’Office fédéral vétérinaire (OFV) annonce qu’en Suisse, 23 bêtes ont fait l’objet d’un test positif et cela dans dix exploitations. Sur l’ensemble du territoire, 6768 bovins provenant de 232 exploitations ont été testés.
163 bêtes éliminées
Dans le seul canton de Fribourg, 2923 bêtes ont effectué ce contrôle, dont 15 se sont avérés positifs. Ce qui est bien moins que les 163 animaux éliminés après examen initial, preuve que l’on n’a pris aucun risque en termes de sécurité. Précision importante: sur les 23 cas détectés en Suisse, rares sont les vaches à avoir développé la maladie. L’épizootie semble sous contrôle, mais le bilan est lourd, même si les propriétaires ont été indemnisés.
Dans cette affaire, l’être humain s’en sort sans dommage. Sur la vingtaine des tests effectués à ce jour, aucun n’est positif. Des résultats rassurants. Mandatée par le médecin cantonal, la Ligue pulmonaire fribourgeoise a mené une étude d’entourage pour la première fois depuis longtemps sur cette souche bovine. «Nous avons testé les personnes qui se trouvaient à proximité des animaux touchés, mais aussi les vétérinaires qui effectuaient les tests intradermiques et les employés des abattoirs», détaille Valérie Bovard, infirmière responsable à la Ligue.
Est-ce à dire que la tuberculose bovine va définitivement disparaître du paysage helvétique? «Les cas sont exceptionnels, explique Jean-Pierre Zellweger, médecin conseil à la Ligue pulmonaire suisse. En revanche, elle peut être importée d’autres pays, en particulier du continent africain.»
Le germe humain de la tuberculose cause davantage de soucis que la souche bovine. Sur les 486 nouveaux cas de tuberculose recensés en Suisse en 2012, la très grande majorité concerne cette forme. Dans le canton de Fribourg, on dénombre une dizaine de cas par année.
Certaines personnes culpabilisent
La Ligue pulmonaire fribourgeoise reste très vigilante. «Cette maladie génère des peurs qui ont traversé les âges. Par le passé, elle fut une cause importante de mortalité. Nous devons gérer cette dimension émotionnelle en insistant sur le fait qu’aujourd’hui, elle se soigne très bien», affirme Rose-Marie Rittener, directrice des Ligues de santé du canton de Fribourg. «Certaines personnes culpabilisent de l’avoir attrapé. Nous devons leur expliquer qu’elles n’y sont pour rien», ajoute Eveline Henninger, infirmière spécialiste de la tuberculose.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) espère en avoir fini avec la tuberculose d’ici à cinquante ans. Rien n’est moins sûr, selon Jean-Pierre Zellweger. «Le grand drame de la tuberculose est que l’évolution est très lente et que la contagion n’intervient que quand la maladie se développe. Il est donc très difficile de la repérer dans un organisme où elle ne produit pas de symptômes.» JG
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