PAR JEREMY RICO
«T’es à qui toi?» A cette question délicieusement désuète, Danielle Geinoz-Murith a une réponse toute prête: «Je suis une Murith à Max à Jean à l’Edouard.» A l’évidence, la bibliothécaire du Collège du Sud de Bulle connaît bien sa généalogie. Mieux, elle la conserve depuis de nombreuses années, soigneusement répertoriée sur des fiches. «Tous ces documents appartenaient à mon père. Lui-même les avait reçus d’un abbé, dans les années 1980. Cet abbé en avait fait cadeau à tous les Murith de la région.»
Car la Bulloise n’a pas mené elle-même de recherche généalogique. Elle a les résultats du travail de ses ancêtres, dont l’abbé Joseph Murith. Missionnaire au Brésil dans les années 1960, le religieux profitait de ses passages en territoire helvétique pour mener des recherches sur sa famille. Mise à jour durant vingt ans, la généalogie voit ses branches s’arrêter en 1985. Date à laquelle l’abbé Murith clôt son travail.
Sur internet
Depuis, personne n’a repris le flambeau. Seul le beau-frère de Danielle Geinoz-Murith, généalogiste amateur, y a consacré du temps. «J’ai numérisé et publié sur internet tous les documents de l’abbé Murith», explique Jean Pharisa. Le tout est disponible sur www.pharisa.ch. Agrémenté de plusieurs anecdotes inédites, livrées par des internautes.
En tout, l’abbé a répertorié plus de 800 Murith, du XVIe siècle jusqu’en 1985. «Le plus ancien s’appelait Rodolphe, détaille Danielle Geinoz-Murith.» Selon l’abbé Joseph Murith, la première mention de cet ancêtre daterait de 1569, à Morlon.
Un nom caméléon
Mais Rodolphe n’est certainement pas le premier Murith. Et pour cause. Le patronyme n’a cessé d’évoluer à travers les siècles: Morrit, Mory, Mury, Moret, Mûrit. Un exemple: un acte de naissance de 1673 fixe la naissance d’un certain Jean-Pierre Moret, à Morlon. En 1697, le même Jean-Pierre se marie, sous le nom de Murith cette fois.
Selon l’hypothèse de l’abbé Joseph Murith, le nom de famille puiserait ses origines autour du XIIe siècle, dans le Vully. A cheval sur la frontière des cantons de Vaud et Fribourg, le village de Mur aurait donné son nom à la famille. Les armoiries de la commune, similaires aux Murith – avec notamment une muraille – viendraient étayer la thèse de l’abbé.
En élargissant les orthographes du patronyme, des traces de la famille existent bien avant Rodolphe. En 1327, un acte fixe déjà la présence de treize Moret à Morlon. «Les orthographes n’ont été fixées que par une loi cantonale, en 1849, explique Jean Pharisa. Dès ce moment, les Murith de la Gruyère ont gardé l’orthographe que l’on connaît encore aujourd’hui.»
De Morlon à Gruyères
Mais la famille a une particularité, géographique cette fois. Originaire du lieu-dit Clos-ès-Morets, à Morlon, elle n’a cessé de faire des allées et venues entre ce village et Gruyères. A tel point qu’il est difficile d’établir précisément des dates d’arrivée ou de départ.
Ainsi, elle aurait vécu à Morlon dès 1327, avant de rejoindre la cité comtale aux alentours de 1500. Quelques-uns de ses membres seraient ensuite revenus sur leur terre d’origine, vers 1600, puis retournés à Gruyères cent ans plus tard. A force de voyages, les Murith ont même obtenu des droits de bourgeoisie dans les deux communes. «Il reste aujourd’hui dix branches de la famille, compte Danielle Geinoz-Murith. A Morlon, il n’y en a presque plus. La plupart des Murith gruériens sont originaires de Gruyères. Certaines branches sont même parties plus loin, à Genève par exemple.»
Bientôt des recherches
Au terme de sa généalogie, l’abbé Joseph Murith avouait espérer qu’un de ses descendants reprenne le flambeau. A 62 ans, Danielle Geinoz-Murith se porte d’ores et déjà candidate. «Pour l’instant, je n’ai pas le temps nécessaire. Mais dans deux ans je serai à la retraite. J’espère pouvoir m’y atteler.»
La Bulloise se verrait bien compléter la généalogie familiale, stoppée en 1985. Mais pas seule. «Je compte sur l’aide de mon beau-frère. C’est lui le spécialiste.» Avec Jean Pharisa, la généalogiste en herbe est entre de bonnes mains. Le retraité est rompu aux archives. Il a déjà mené de nombreuses recherches. Sur les Pharisa bien sûr, mais également sur les Geinoz, les Jaquet et les Magnin.
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L’odyssée brésilienne de Jean et Joseph
On connaît Ulysse et son Odyssée qui raconte le retour du héros vers l’île d’Ithaque, après la guerre de Troie. Chez les Murith, une autre odyssée tient le haut de l’affiche: celle de Jean et Joseph Murith, partis au Brésil en 1920. Egalement numérisé par Jean Pharisa, le récit s’étale sur une dizaine de pages. Il découle des souvenirs d’Auguste Murith, ancien syndic de Gruyères et président du Grand Conseil, et des carnets de route de Joseph lui-même.
La folle aventure des deux frères agriculteurs démarre en 1919. A la suite d’une erreur judiciaire, Joseph purge huit jours de prison au château de Bulle. Innocent, le Gruérien est choqué du traitement qu’on lui réserve dans sa région natale. Il décide de quitter l’Europe, en compagnie de son frère, Jean.
Aidée par un certain comte Da Silva, la paire rejoint le Brésil en septembre 1920. Après quinze jours passés en mer, ils arrivent devant le Pain de sucre de Rio de Janeiro. Puis finalement à Brotas, à 300 kilomètres de Santos. Des buissons, des broussailles et des forêts vierges. L’endroit ne ressemble pas aux Préalpes. Mais il accueillera la production de fromage des deux Gruériens.
Engagés par la famille De Barros, ils obtiennent 40 vaches laitières et 300 poses de pâturage. Les deux frères découvrent alors l’agriculture brésilienne, l’usage du lasso et des vaches qui refusent de donner leur lait. Au fil des semaines, l’entreprise finit tout de même par fructifier. Le fromage devient bon, malgré les températures tropicales.
Violent conflit financier
En 1921, un conflit financier sonne pourtant le glas de leurs espoirs brésiliens. En cause: la vente de la production laitière à une maison concurrente de celle de leur administrateur. Pris en otages alors qu’ils traient leurs vaches, les deux frères sont battus par quatre individus. Blessés mais vivants, Jean et Joseph trouvent secours auprès de la police brésilienne, qui arrête rapidement les coupables. Mais un procès truqué réduit à néant toutes les accusations.
Inquiets pour leur vie, Jean et Joseph s’empressent de prendre le premier transatlantique. Direction la Suisse, qu’ils rejoignent en 1922. L’odyssée des Murith n’a presque rien à envier à celle d’Ulysse. JR
Commentaires
José Carlos F.B... (non vérifié)
sam, 10 aoû. 2013
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