PAR VALENTIN CASTELLA
Il y a des classiques qui ne meurent jamais. A l’heure où l’on peut transpirer sur un tapis roulant tout en tweetant devant la télévision, certaines activités, aussi basiques soient-elles, parviennent à se maintenir sur le devant de la scène. C’est notamment le cas de la course à pied, et plus spécialement des épreu-ves de longues distances. Depuis quelques années en effet, de nouvelles courses fleurissent un peu partout et le nombre
de participants augmente à tel point que cette activité semble retrouver son allure reluisante des années 1980.
Seulement dans le canton et la région, trois épreuves estampillées moyennes et longues distances ont récemment vu le jour: le Trail du Barlatay à L’Etivaz (82 km), le Trail Event des Paccots (42 km) et le semi-marathon de Fribourg (21,1 km). Afin de suivre le mouvement, d’autres événements ont opéré une transformation drastique, à l’image de la Gruyère Running (19,3 km), anciennement connu sous le nom du Tour d’Hauteville, ou de la Gastlosenlauf (10,5 km), dont le parcours a été rendu plus difficile que les années précédentes, lorsque les coureurs participaient à la Berglauf.
Autre preuve: la nette croissance du nombre de participants à la classique Morat-Fribourg. Après avoir souffert à la fin des années 1990, le recul des inscriptions avait atteint 5793 participants en 1998, bien loin du record de 1985 (16338), l’épreuve historique a retrouvé son lustre d’antan en atteignant les 10000 inscriptions l’année dernière. Président de la Fédération fribourgeoise d’athlétisme, Daniel Weber confirme: «Nous avons en effet constaté un regain d’intérêt pour les gros événements et les courses de longues distances. Ces cinq dernières années, la participation a augmenté d’environ 10%.»
C’est donc sans surprise que le filon a été exploité, comme l’explique Jean-Paul Henry, directeur de course du Trail du Barlatay, qui vivra, samedi, sa deuxième édition. «On savait que c’était le bon moment pour se lancer. Actuellement, il existe un effet de mode qui nous permet de connaître un certain succès en doublant le nombre d’inscriptions en une année.»
Les raisons du succès
Pour expliquer cet engouement, plusieurs arguments prévalent. Le premier est l’envie de tester ses limites: «Actuellement, les gens éprouvent moins le désir de se mesurer à d’autres concurrents, mais à voir jusqu’où ils peuvent aller», reprend Jean-Paul Henry. Autre raison: le succès entraîne le succès: «L’effet de masse qui existe actuellement provoque une certaine dynamique, décrit Laurent Meuwly, directeur technique de Morat-Fribourg. Cela motive les coureurs à tenter l’aventure. Ils peuvent ainsi être fiers d’avoir participé à tel ou tel événement.»
Pour Daniel Weber cet effet de masse a été provoqué: «Les organisateurs des grosses épreuves, telles que Sierre-Zinal, Morat-Fribourg, l’Escalade ou même la Corrida bulloise ont effectué de gros efforts au niveau des infrastructures, du marketing et de l’événementiel. Ils ont réussi à créer une fête autour de la course.»
Un simple effet de mode?
Et puis, à l’heure des produits bio, de la recherche de l’authenticité et de la quête du bien-être en pleine nature, une activité aussi saine que la course à pied ne pouvait que tirer son épingle du jeu. Sans oublier qu’elle peut se pratiquer sans grands frais «par n’importe quel temps, n’importe où et n’importe quand», résume Daniel Weber.
La question est maintenant de savoir si cette mode est passagère ou si elle va s’inscrire dans la durée. Son avenir passera sans doute par une organisation sans faille: «Si Morat-Fribourg a connu une diminution de participants, c’est parce que les coureurs ne bénéficiaient plus d’un certain confort analyse Laurent Meuwly. En Suisse, le standing est élevé. Les gens sont habitués à ce que tout soit parfait.»
Les insatisfaits ne reviendront donc plus, d’autant plus que les épreuves de ce genre sont légion: «A long terme, organiser une dizaine d’événements dans un si petit rayon n’est pas viable, constate Jean-Paul Henry. Les épreuves qui perdureront seront celles qui bénéficient d’un ancrage régional, commémoratif ou historique. Il faudra également que des règlements soient établis pour clarifier certains points.»
Réglementations, association internationale: le succès des courses de longues distances, notamment des trails, va-t-il finalement rattraper et écraser l’esprit initial de ces épreuves, qui prône la recherche de nouveaux défis, la sensation de liberté et de solitude en pleine nature? Une réponse sera émise dans quelques années, lorsque le recul aura permis de savoir si cette nouvelle mode n’était qu’une passade ou bien une évolution de la course à pied.
«Un nouveau symbole social»
Professeur dans le domaine de la psychologie et la méthodologie du sport à l’Université de Berne, Jürg Schmid a étudié la question de l’attrait des sportifs pour les épreuves de longues distances, notamment en course à pied. Il explique les raisons de cet élan qui a, en fait, toujours existé.
Jürg Schmid, pourquoi les sportifs populaires ressentent-ils le besoin de prendre part à des épreuves de plus en plus difficiles?
Il existe différentes explications sociologiques. La première est que la vie de tous les jours devient toujours plus compliquée. Les gens sont de plus en plus surchargés, surtout dans le domaine professionnel. Ils recherchent alors quelque chose de simple, que chacun a la capacité de faire. Tout le monde sait courir ou faire du vélo. De plus, ces épreuves leur permettent de revenir à la base, qui est la nature. Et puis, on peut tout acheter, se refaire le visage grâce à la chirurgie esthétique. Mais on ne peut pas s’offrir un corps sculpté par l’entraînement, des heures d’entraînement ou du temps à consacrer à la pratique sportive. J’ai l’impression qu’un corps en bonne santé représente un nouveau symbole social, comme l’était l’argent ou le fait de posséder une belle et grosse maison auparavant. Et puis, nous vivons dans une société où le danger n’est pas fréquent. Certains s’ennuient et se lancent des défis, sans pour autant mettre leur vie en péril. Ils ne savent pas ce qui va arriver. Leur vie devient alors beaucoup plus intéressante.
C’est pour cette raison que les trails deviennent de plus en plus populaires actuellement?
Dans le monde du sport, il y a toujours eu un développement constant. En 1970, le marathon était un défi immense. Puis, le triathlon a été créé dans les années 1980. Une épreuve encore plus difficile. Cette évolution a toujours existé et nous en venons actuellement à organiser des courses de plusieurs heures en montagne. On essaie toujours d’aller plus loin.
Les sportifs n’ont donc pas cessé de tester leurs limites?
C’est le cas dans n’importe quel domaine de la vie. Si une personne a terminé cinq marathons, elle sera tenté de voir autre chose. Si la race humaine s’est imposée, c’est parce qu’elle est curieuse et qu’elle cherche toujours de nouveaux défis. Que cela soit dans le domaine de la science ou de l’économie. On cherchera toujours à développer un iPad encore plus performant. C’est la même chose pour les sportifs, qui souhaitent trouver de nouvelles activités pour contenter leur éternelle curiosité.
Cette quête peut-elle être néfaste?
Il y a tout juste cinquante ans, on disait que le marathon était une discipline anormale. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les 100 kilomètres de Bienne existaient déjà avant que ces trails deviennent populaires. Mais on en parlait moins, car les gens n’avaient pas forcément envie de s’infliger des heures d’entraînement après avoir travaillé toute la journée en pratiquant des activités physiques. Maintenant, certains peuvent devenir fous s’ils restent coincés dans un bureau toute la journée. Ils ont besoin de se défouler, de bouger. Cela fait simplement partie de l’évolution des habitudes et des pratiques sportives. vac
Les «petites» courses sont-elles menacées?
Comme leurs nouvelles grandes sœurs, les courses plus courtes ou organisées en plaine qui rythment la Coupe fribourgeoise se portent bien. «Elles maintiennent le cap ou le nombre de participants est en légère augmentation», souligne Daniel Weber, qui admet que certaines manches souffrent face aux événements à la popularité plus importante, étant donné que de nombreux coureurs préfèrent maintenant participer à une ou deux épreuves seulement, mais plus festives ou prestigieuses.
Toutefois, les manches que l’on qualifiera de traditionnelles semblent avoir encore de l’avenir. La création, en 2012, du Groupe E Tour, un championnat regroupant cinq épreuves d’une dizaine de kilomètres, démontre que la demande est présente.
Tout semble donc rose dans le petit monde de la course à pied. «Oui, mais», avertit le président de l’Association fribourgeoise d’athlétisme: cette évolution comporte quelques désagréments. «Auparavant, les coureurs faisaient tous partie d’un club. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée. Les gens veulent juste faire ce qu’ils souhaitent, sans contrainte. Ils s’entraînent seuls, se choisissent un ou deux rendez-vous, enfilent leurs baskets, franchissent la ligne d’arrivée et rentrent à la maison. Une course express, comme au fast-food. D’un côté, c’est positif car les pelotons populaires sont bien fournis. Mais, comme beaucoup courent sans bénéficier des infrastructures des clubs, la qualité moyenne a baissé.»
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