PAR THIBAUD GUISAN
«Ce n’est pas un coup de tête.» Adrien Buntschu est serein. A 23 ans, le Tourain a décidé d’arrêter le VTT de compétition. Un choix qui étonne: le Gruérien vient de vivre une première saison réussie en élites.
Etudiant en économie à l’Université de Fribourg – il entamera sa troisième année la semaine prochaine – Adrien Buntschu dispute ce samedi sa dernière course, lors de l’Open Bike Haute-Gruyère à Grandvillard. Histoire de marquer le coup, il courra en tandem, avec son frère jumeau Grégoire. Interview.
Adrien Buntschu, quel sera votre sentiment au départ de l’Open Bike?
Ça va faire bizarre. Mais j’ai bien réfléchi. Le plus dur était de faire mon choix, car je n’aime pas l’incertitude. J’ai la chance de pouvoir décider d’arrêter. Je n’y suis pas contraint par une blessure.
Arrêter la compétition à seulement 23 ans, ça étonne. Pourquoi cette décision?
Je m’étais fixé cette saison pour franchir un palier et j’avais le rêve de passer professionnel la saison prochaine. Le but n’était pas de gagner des mille et des cents financièrement. Mais, sportivement, il me semblait avoir besoin d’une structure qui me permette de côtoyer d’autres pros, en camp d’entraînement et en compé-tition. J’ai eu deux ou trois contacts avec des teams, mais ils n’ont pas autant d’argent qu’on peut le croire. Les contacts étaient avancés avec une structure. Ça ne s’est pas fait. J’étais déçu. Il y aurait eu une ouverture, mais seulement dans un ou deux ans. Je n’avais pas envie de m’accrocher à cet espoir, car les jeunes poussent derrière. J’ai pris ma décision fin août.
Ressentiez-vous une baisse de motivation?
J’arrête justement avant d’éprouver de la lassitude. Je ne suis pas dégoûté par le vélo. Mais quand tu te poses la question, c’est que la flamme n’est peut-être plus là à 100%. A l’âge de 10 ans, je faisais déjà des courses. Ça fait cinq ans que le vélo est une priorité. Or, il y a d’autres plaisirs dans la vie, comme les voyages, les sorties, les amis, les études et les expériences professionnelles. C’est là dessus que j’ai rogné toutes ces dernières années.
Quelle était votre charge d’entraînement?
Environ 600 heures dans l’année, avec le vélo, la course à pied et le gainage. Je ne m’accordais qu’une pause d’un
mois, en octobre. Par semaine, ça représentait douze heures et demie en moyenne. Mais, avec les déplacements, les courses, les massages, l’ostéopathie, on peut doubler et on arrive à vingt-cinq heures par semaine.
Vous deviez pourtant avoir une marge de progression?
Oui et c’est ça qui m’a fait hésiter au début. Au niveau de l’endurance et de l’expérience, je pouvais m’améliorer. Je pouvais aussi jouer sur de petits détails, comme faire de la force au fitness ou opérer quelques changements au niveau de la nutrition.
Comment jugez-vous votre saison?
Je n’ai jamais été aussi affûté. Je pense que c’est ma meilleure saison et j’ai la chance d’arrêter là-dessus. En termes de résultats, on me voyait moins, car je n’ai pas fait de podiums. Mais, en Coupe de Suisse des longues distance, qui était ma priorité cette année, je me suis classé entre la 7e et la 13e place. Ce sont de bons résultats, car le niveau est très costaud. Je termine aussi 20e du Grand Raid. J’étais content et déçu à la fois, car j’espérais descendre sous les sept heures (n.d.l.r.: il a couru en 7 h 04). J’ai crevé dans la dernière descente, mais cette course n’est pas assez technique et un peu longue pour moi.
Quel est le meilleur résultat?
Ma 9e place aux championnats de Suisse de marathon, en juin dernier. Elle a plus de valeur que ma victoire au classement général de la Coupe de Suisse des moyennes distances en 2012. La concurrence était plus forte.
Est-ce une décision définitive ou vous reverra-t-on dans les courses régionales?
Je ne me vois pas remettre un dossard. Le but est de continuer à pratiquer du sport, mais différemment. Je vais pouvoir vivre davantage au rythme des saisons. De février à fin septembre, je ne faisais que du vélo. Je vais pouvoir faire un peu plus de ski de randonnée en hiver plutôt que du home-trainer. Je suis aussi amateur de course à pied et de natation. Et j’aurai du plaisir à faire du vélo pendant quatre heures, sans penser à structurer ma sortie par des exercices.
Que vous a apporté le vélo?
C’est une des meilleures écoles de vie. On apprend la discipline, la rigueur, la détermination. Ce sont des valeurs qu’on peut transposer dans son quotidien toute sa vie. On apprend à se remettre en question. Le vélo, ça te renforce aussi mentalement. L’hiver, quand tu vas faire tes sorties d’endurance, il faut être dur au mal, avoir un côté guerrier. En plus, le vélo m’a permis de rencontrer plein de personnes et de voyager.
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Penne polonais, talus africains
De sa «carrière» de vététiste – il est le premier à ajouter les guillemets au terme carrière – Adrien Buntschu retient aussi des voyages. Cet été, le Tourain est parti en Pologne, pour disputer une course par étapes, courue avec son pote genevois Benoît Beaud. «Le challenge comprenait un prologue et cinq étapes d’environ quatre heures. Le parcours était hypertechnique. C’était aussi intéressant de rouler à deux.»
Le duo a remporté deux étapes, mais Benoît Beaud a abandonné lors de l’avant-dernière étape. «J’ai terminé seul, car je me préparais pour le Grand Raid. Mais, surtout, ça m’a permis de faire connaissance avec d’autres coureurs. On côtoyait des Américains, des Tchèques, des Allemands. C’est une belle expérience. Au bout de la quatrième étape, on avait des pâtes pour le souper à l’hôtel. Mais il devait y avoir au maximum vingt penne dans l’assiette. On était morts de faim. Du coup, avec d’autres coureurs, on est allé au village acheter du pain, du nutella et du saumon fumé. On a mangé tout ça dans une chambre d’hôtel. C’était drôle.»
Adrien Buntschu a aussi découvert les routes du Cameroun l’an dernier, en disputant le Grand Prix Chantal Biya. Une course à étapes sur route UCI de cinq jours. «On était cinq, avec trois Jurassiens et un Tessinois. J’ai rencontré des coureurs du Cameroun, de Côte d’Ivoire, mais aussi des Hollandais ou des Slovaques.»
Avec le maillot à pois
Adrien Buntschu finira meilleur grimpeur de l’épreuve. «Je portais le maillot à pois, comme au Tour de France, sourit le Gruérien. Le parcours était vallonné, mais, pour moi, les montées, c’était presque des talus. Durant la même période, il y avait les championnats du monde de marathon VTT pour lesquels j’étais qualifié. Mais je n’ai pas regretté d’avoir été en Afrique. C’était une expérience unique. Parfois, au bord de la route, des gars vendaient de la viande de brousse, illégalement. Tu voyais des morceaux de gazelle ou du serpent… Il fallait aussi éviter des nids de poule de deux mètres sur deux mètres. Les étapes partaient souvent avec dix minutes de retard, le temps de faire évacuer le trafic ou que tous les commissaires soient au rendez-vous. J’ai aussi été frappé par la pauvreté. Tu te dis que tu as de la chance.»
Des rencontres, le Gruérien en a aussi fait en Australie. «J’y ai passé huit mois, de novembre à juin, après l’armée et avant de commencer l’Uni. Je suivais des cours de langue. J’avais pris mon VTT et j’ai rencontré des triathlètes australiens. J’allais rouler avec eux le matin de 6 h à 8 h et, le week-end, il m’ont amené à des courses. Grâce au vélo, j’ai pu nouer des liens avec des locaux, ce qui n’est pas forcément évident quand on est dans une école de langue.» TG
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