La déclaration d’amour au scalpel d’un Anglais à la Suisse

| mar, 10. sep. 2013
Diccon Bewes est anglais et vit à Berne depuis 2004. Il a écrit le bouquin sur la Suisse qu’il rêvait de trouver à son arrivée: Le suissologue. "La Gruyère" l’a invité à une vraie fondue…

PAR JEAN GODEL


Cet homme a écrit que Gruyères est la ville la plus «kitsch» de Suisse et que les «locaux» (nous, donc!) sont choqués à la vue d’un touriste touchant des lèvres sa fourchette à fondue avant de la replonger dans la «marmite». Au gruyère «caoutchouteux», ce fâcheux, anglais de surcroît, préfère l’appenzeller, le «vrai» fromage suisse. Pire, cet olibrius ose prétendre que la fondue moitié-moitié est à base de gruyère et… d’emmental! Pourtant, c’est l’un des meilleurs connaisseurs de la Suisse et l’un de ses plus efficaces ambassadeurs.
Qu’on ne s’y trompe pas: Diccon Bewes a commis un livre savoureux sur la Suisse. Best-seller et livre de l’année selon le Financial Times à sa parution en Angleterre en 2010, l’ouvrage connaît désormais une traduction française, soutenue par Pro Helvetia, aux Editions Helvetiq: Le suissologue. Pour lui faire reprendre ses esprits, La Gruyère lui a offert une vraie fondue, au vacherin donc, au restaurant Le Fribourgeois, à Bulle. «Une révélation!» avouera-t-il à l’issue de la séance de rattrapage.


Roman d’initiation
Le suissologue est un guide atypique, non exhaustif et aux choix subjectifs, qui se lit comme un roman d’initiation à l’usage des étrangers autant que des autochtones. Le procédé est connu: un regard extérieur comme révélateur de nos génies et travers, souvent insoupçonnés de nous-mêmes.
Mais Diccon Bewes a pour lui une longue expérience d’écrivain voyageur pour magazines, et surtout un ton britannique, donc acidulé, parfaitement assumé. Une sorte de Mix&Remix des mots qui, en quelques traits bien vus, dresse un portrait féroce, mais jamais irrespectueux, de son pays d’adoption.
Solide sur les faits, nonobstant les menues fredaines déjà relevées, son opus est corrosif, certes, mais surtout d’une drôlerie purement jouissive. Une biographie sans fard de la Suisse, savoureuse, affectueuse, jamais savante. «J’ai écrit le livre sur la Suisse que je n’ai pas trouvé dans les librairies», explique cet homme qui a appris l’allemand à l’Ecole-club Migros, preuve de sa bonne intégration.
Le coup de griffe peut être vif. Ainsi sur Gruyères, ce village à la rue unique «assez large pour un match de football». Un bourg ravissant, certes, mais souffrant de monoculture fromagère, sur les menus comme dans les boutiques: «J’ai l’impression d’être dans le quartier de Chinatown à Londres, essayant de trouver un restaurant qui propose quelque chose de différent.»
Mais le plus terrible est à venir, quand notre Anglo-Saxon, au contact glacial d’une serveuse, s’en prend à la qualité de l’accueil, à Gruyères comme ailleurs: «Visiblement, nourrir tant de monde toute l’année fait oublier à certains les principes de base d’un service accueillant.» Entre deux coups de fourchette, Diccon Bewes persiste et signe: «Le niveau du service en Suisse est choquant quand on sait le nombre d’écoles hôtelières que vous avez!»


Patrimoine génétique
Contraint à aucune retenue, ce qui l’amène parfois à forcer le trait – le Genevois, ce calviniste dont les yeux «ont cessé de briller» – l’auteur décortique notre patrimoine génétique. Ainsi ce passage hilarant sur notre manie, aux apéros, de se présenter à toute l’assemblée.
Il s’amuse, s’enthousiasme, égratigne aussi. Mais avec Christoph Blocher, il cogne. En Suisse depuis 2004, Diccon Bewes a observé la montée en puissance de l’UDC et la radicalisation de son discours. Et la fameuse affiche du mouton noir l’a effrayé. «Non seulement l’illustration était choquante, mais les couleurs rouge, blanc et noir rappelaient celles du drapeau nazi!»
«Ce qui m’a le plus choqué, persiste-t-il devant sa fondue bulloise, c’est la réaction des Suisses qui ne voyaient là qu’une simple affiche!» Pourtant, le système politique helvétique a montré sa force en faisant tomber Blocher: «Son erreur, c’est d’avoir voulu figurer sur les affiches de l’UDC en 2007. On ne fait pas ça en Suisse! Un pour tous, tous pour un: Blocher a transgressé le pacte et il est tombé.»
Le suissologue parcourt le pays en tous sens, de Genève au Heidiland saint-gallois en passant par la Gruyère et la Suisse centrale. Des origines communautaires au Made in Switzerland en passant par la neutralité durant la Seconde Guerre mondiale. Avec, toujours, ce regard franc, sans complaisance, propre aux plus solides amitiés.
L’auteur est désormais un conférencier très recherché. A la télévision alémanique ou aux JO de Londres, l’an dernier, où il a officié comme l’un de nos ambassadeurs culturels. Des médias, des grandes entreprises ou des écoles hôtelières suisses s’arrachent ses avis. Et même Suisse Tourisme, avide d’améliorer l’accueil de nos hôtes. Pas de doute, l’homme a du job.


Diccon Bewes, Le suissologue, Helvetiq, 320 pages

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