Quand Steiert et Siggen jouent les têtes d’affiche

| jeu, 12. sep. 2013
Coup d’œil intempestif sur les affiches de campagne des deux candidats. Entre les lignes, une lecture des visages et des figures de style. Jean-François Steiert et Jean-Pierre Siggen s’affichent chacun à leur manière.

PAR YANN GUERCHANIK


A dix jours de l’élection complémentaire, les candidats nagent en pleine campagne, à coups de slogans et de commentaires, entre bain de foule et coupes de champagne. Steiert et Siggen font feu de tout bois, ils se canardent pour devenir le nouveau shérif de Fribourg.
Pourtant, sur les murs de la ville, les deux cow-boys ont l’air candides. Même qu’on dirait des citoyens nés de la dernière pluie. Pendant quelques jours, leurs affiches électorales remplacent les annoncent publicitaires. Les slogans, eux, ne changent pas. Ils disent la même chose, c’est-à-dire presque rien.
«Le meilleur pour vos enfants et Fribourg», clame Steiert. «Avec le cœur et la raison», rétorque Siggen. Le contraire nous aurait étonnés: «Steiert, le pire pour vos enfants et pour Fribourg»; «Siggen, avec les pieds et la sottise». La preuve que ces slogans ne proposent pas grand-chose, on ne peut pas les contredire.


Pathos et bonne humeur
Bien sûr, il y a du «matériel de campagne» qui en dit plus long, avec des arguments et tout et tout. Mais quand il s’agit de prendre le quidam à son insu, on n’ose pas trop concurrencer le baril de lessive. Eviter le clivage à tout prix. Ne rien dire qui pourrait vouloir dire quelque chose. Faire des bulles.
Pour un candidat, l’essentiel est d’être reconnu. Le citoyen doit être le moins surpris possible au moment de découvrir les petites listes bleues. Quand il fait son choix, c’est l’étincelle, doublée d’une lueur de sympathie que lui aura inspirée l’un ou l’autre des candidats. Ainsi éclairé, il vote dans le pathos et la bonne humeur.
Mais regardons ces affiches de plus près. D’abord, on constate que Steiert et Siggen ont tout bon. Légèrement de profil, ils regardent à droite, autrement dit vers l’avenir. Parce qu’on lit de gauche à droite, on a tendance à situer le futur de ce côté-ci de l’image. Les candidats à gauche, leurs slogans à droite, leurs propos comme autant de promesses pour des lendemains qui chantent.


Le candidat au grand cœur
«Avec le cœur et la raison», nous dit Siggen. Le dit-il vraiment? La phrase n’a pas plus de référent qu’elle a un verbe ou un sujet. Ça pourrait tout aussi bien venir de son parti le PDC. La préposition «avec» marque à la fois le rapport, la simultanéité et la manière. Siggen a du cœur et de la raison. Avec Siggen, on a les deux en même temps. Voter Siggen, c’est voter avec son cœur et sa raison.
En tous les cas, on reconnaît bien là les démocrates-chrétiens qui cherchent à réussir le grand écart entre une aile sociale et une aile libérale. Allier le cœur avec la raison économique, c’est aussi une manière toute giscardienne de s’attaquer aux socialistes et à leur monopole du cœur.


Un père pour Fribourg
«Le meilleur pour vos enfants et pour Fribourg», lit-on du côté de Steiert. Toujours pas de verbe, mais un sujet double et un énonciateur mystère. Le meilleur? Ce qu’il y a de plus valable, ce que l’on souhaite à quelqu’un, en l’occurrence aux petits Fribourgeois et au canton. Notons au passage que mentionner les enfants c’est non seulement évoquer symboliquement l’avenir, c’est aussi une manière pour Steiert de se profiler pour le poste de ministre de l’Education. Ce que ne fait pas Siggen sur son affiche.
Le meilleur, c’est aussi celui que personne ne surpasse, comprenez Jean-François Steiert dans ce cas. Le meilleur pourquoi et pour quoi faire? On ne nous dit rien. En revanche, on nous met les points sur les «i» quand il s’agit de savoir pour qui. Or, ne fallait-il pas dire «Le meilleur pour nos enfants» plutôt que «Le meilleur pour vos enfants»? D’autant que Jean-François Steiert à deux filles.
Peut-être que le meilleur a déjà cours chez les Steiert. Il ne lui reste qu’à souhaiter le meilleur pour les autres. Ou peut-être que c’est le Parti socialiste qui parle: «Le meilleur pour vos enfants, c’est Jean-François Steiert. On a donné Steiert à nos enfants, ils sont très contents. Jean-François Steiert, le père de la nation socialiste. Faites-en un père pour Fribourg.»
Morale de l’histoire: les candidats affichent leur individualité à la télé et dans les journaux, ils restent très partisans quand ils s’affichent sur les murs.

 

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Foin de cravate et moustache à foison
Sur une affiche électorale, l’essentiel est de bien voir le candidat. Son slogan ne compte pas tant que la tête qu’il fait. De son côté, Jean-Pierre Siggen pousse la décontraction assez loin: sourire bouche ouverte, manches retroussées et maxipli de chemise à l’épaule. Une tenue très casual alors que sur le marché de Bulle, le démocrate-chrétien serre des mains en complet cravate.
Le calcul n’est pas mauvais. Sur les murs de la ville, le candidat se distingue par le fait même d’être à l’affiche. Il ne lui reste plus qu’à faire croire qu’il est proche de l’homme de la rue. Mais quand il est dans la rue justement, il doit se différencier de la masse. Il revêt alors le costume qui le distingue en tant que candidat. Ou comment changer de chemise sans retourner sa veste. Et inversement.
De son côté, Jean-François Steiert a un atout extra qui fait crac boum hue: une moustache qui se voit comme l’église au milieu d’un village, mettons Ependes au hasard. De tout temps l’apanage des dictateurs, la moustache est de nos jours aussi tendance que la barbe. Ce dispositif pileux n’est donc pas aussi déraisonnable qu’on pourrait le croire à première vue.
Quoi qu’il en soit, nul doute que Steiert arbore des bacchantes tout ce qu’il y a de plus pacifique. Ses lunettes presque rondes et ses petits yeux rieurs font de lui un moustachu à la Gandhi davantage qu’à la Plekszy-Gladz (dictateur de la Bordurie et adversaire de Tintin). Notons enfin que cette pilosité ostensible conforte l’image de Steiert en père des Fribourgeois (voir ci-dessus). La moustache est typiquement un accessoire paternel. En langage des signes d’ailleurs, on dit «père» en faisant mine de se lisser la moustache.


Arrière-plan bucolique
Un mot enfin sur les visuels en arrière-plan. Alors que le démocrate-chrétien semble étriqué dans un espace bicolore pas très heureux, avec une diagonale qui manque de lui fendre le crâne et de lui esquinter le coude, le socialiste a de la place pour tout un village (Ependes précisément). D’aucuns auront remarqué une référence à l’affiche de François Mitterand en 1981.
Un tel arrière-plan n’a rien d’innocent. En littérature, on appelle ça un locus amoenus, autrement dit un «lieu charmant» qui célèbre à coups de stéréotypes des paysages sereins et fortement embellis. Dans une pub ou sur une affiche politique, ce genre de représentation idéalisée vise à séduire. On contemple un paysage exemplaire apparemment dénué de valeur pragmatique et de préoccupation électorale. On adhère ainsi à des valeurs largement partagées et nous voilà tout euphoriques. C’est la persuasion déguisée en description.
Une précision pour finir. Si nous n’avons pas parlé d’Alfons Gratwohl, c’est qu’avec 1000 francs de budget de campagne (contre 100000 fr. pour Siggen et 50000 fr. pour Steiert), le troisième candidat indépendant n’a pas de grandes affiches sur les murs. Mais il a une moustache et même un peu de barbe. YG

 

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