Elle rassemble depuis 80 ans

| sam, 05. oct. 2013
La course commémorative fête ses 80 ans dimanche. La course à pied est le sport le plus simple du monde. Quatre générations racontent leur Morat-Fribourg. Anecdotes d’un autre temps et regards sur aujourd’hui.

PAR KARINE ALLEMANN

Le 22 juin 1476, du côté de Morat. La bataille fait rage depuis le début de l’année entre Charles le Téméraire, duc de Bourgogne et les Confédérés. Longtemps moins nombreux, ceux-ci tiennent bon malgré les canons du duc et le siège de dizaines de milliers de soldats. Après un premier succès helvétique le 2 mars à Grandson, qui met Charles le Téméraire en rage, les Confédérés réunis à Morat attaquent les troupes bourguignonnes par surprise.

Bientôt encerclés, les envahisseurs paniquent et s’enfuient, certains se noieront dans le lac. On dit que l’armée suisse ne fait aucun prisonnier. Ce 22 juin-là, donc, un Confédéré saisit une bran-che de tilleul sur le champ de bataille et court annoncer la bonne nouvelle à Fribourg. Il s’effondre en face de l’Hôtel de Ville, branche à la main, sur ce qui deviendra la place du Tilleul. Un tilleul, toujours C’est là que se jouait l’arrivée de la course commémorative Morat-Fribourg jusqu’en 1977.

Pour fluidifier le passage des milliers de coureurs, les organisateurs ont déplacé l’arrivée en haut de la route des Alpes. Dimanche, la course mythique fêtera ses huitante ans et, comme chaque année, un rameau de tilleul sera remis au vainqueur juste avant de franchir la ligne d’arrivée. Parmi les 12000 coureurs attendus, quatre générations se côtoieront. Certains atteignent bientôt les 50 participations, d’autres ont découvert la course il y a tout juste une année. Un coureur par génération évoque celle qui a déjà 80 ans.



«Aller encourager papa était une tradition»

Noémie Fragnière, née en 1990, prendra dimanche sont troisième départ (meilleur temps 1 h 28). La course, elle l’a découverte grâce à son papa Benoît, organisateur des meetings à Bulle. «Aller encourager papa avec ma sœur et ma maman était une tradition familiale, explique l’étudiante en français et en anglais. Je cours depuis l’âge de 7 ans au SA Bulle. Alors, ça me démangeait de me lancer une fois.» Ce sera chose faite en 2009. L’aspect historique de la course, Noémie Fragnière le connaît: «Mon père m’a expliqué tout ça (rires). Il trouvait que c’était important de connaître cette histoire.»

Comment la jeune femme analyse-t-elle l’évolution de ce sport? «Malheureusement, beaucoup de monde arrête à l’adolescence, surtout chez les filles. En ce qui concerne l’athlétisme, je n’ai jamais vu une telle frénésie que celle constatée depuis l’avènement d’Usain Bolt. Mais, au niveau régional, un bon coureur émerge peut-être tous les cinq ans. Actuellement, heureusement qu’il y a Pascal Ungersböck. En tant qu’entraîneure, je trouve que les stades restent bien vides. Les gens préfèrent aller s’amuser à une course populaire plutôt que pratiquer l’athlétisme en stade, qui n’est peut-être pas assez fun. Par contre, la course à pied s’est vraiment démocratisée et elle a de beaux jours devant elle.»


«L’année de la grande catastrophe»

En 34 participations déjà, Benoît Fragnière (1959) a connu les temps forts, mais aussi les années galères. «Quand j’ai déménagé à Fribourg, dans ma jeunesse, je suis allé voir la montée de la Sonnaz. J’ai été fasciné par le coureur Werner Dössegger, qui a gagné neuf fois Morat-Fribourg. Sa facilité à la montée et son sourire généreux dans l’effort étaient incroyables. J’ai dû attendre d’avoir 18 ans pour pouvoir la courir.»

Comment explique-t-il ce succès populaire? «C’est une référence. Quand on discute avec un autre coureur, on parle toujours de son temps à Morat-Fribourg. C’est beaucoup plus parlant qu’un chrono sur 10000 m. Morat-Fribourg, tout le monde l’a fait une fois.» En 1988, Benoît Fragnière a réalisé son meilleur chrono: 1 h 02. Le Bullois a connu tous les grands moments de la course. Notamment le déménagement à la place Georges-Python, en 1977, lors de sa première participation. «C’était pour des raisons de fluidité. Dès que la course a dépassé les 4000 participants, l’arrivée au Tilleul était une gabegie complète. Ils ne savaient pas où évacuer les coureurs.»

L’édition 1985 établit le record de participation, avec 16388 classés. «Je me rappelle très bien de ces longs trains qui arrivaient en gare de Morat et de cette vague humaine qui se dirigeait vers l’arrivée. L’image était assez folle.» Puis il y a eu le record négatif, en 1998, avec seulement 5793 classés. «Il y a eu l’année de la grande catastrophe, qui a fait beaucoup de mal à la course. Cette année-là, une fête de musique était organisée à Morat. Alors les organisateurs ont prévu la remise des dossards à Muntelier. Les trains nous déposaient en pleine campagne, puis il fallait se débrouiller pour faire les 4 km pour arriver au départ. Les organisateurs étaient totalement débordés. Ça a été une vraie débâcle. Ils ont perdu 7000 coureurs quasiment d’un coup parce que les gens disaient qu’ils ne voulaient plus revenir dans cette galère. Cette mauvaise réputation a traîné des années dans la tête des coureurs.»

La course réunit traditionnellement un beau plateau d’athlètes, étrangers pour la plupart. Beaucoup de coureurs populaires se fichent un peu de l’avant de la course. Quel regard jette Benoît Fragnière sur la présence des élites? «Personnellement, je suis très euphorique de les voir. On les côtoie à l’échauffement et avec un peu de chance on peut voir partir ces coureurs. Après, tu peux comparer la marge qu’il existe entre toi et eux. Mais ce n’est en aucun cas une frustration pour moi, c’est juste histoire d’apprécier leur performance. Surtout qu’ils ont le même matériel que nous, c’est-à-dire de bonnes baskets. Ce n’est pas une question de moteur de voiture.»


«Courir me fait beaucoup de bien»

Nadia Sudan (1974) a participé à son premier Morat-Fribourg l’année dernière. «J’ai beaucoup couru entre 15 et 20 ans. Puis je me suis mariée, je suis devenue maman, avec en plus mon travail, je n’ai plus eu tellement de temps. J’ai recommencé avec une amie il y a trois ans, pour participer à la Corrida bulloise. Depuis, je m’entraîne toujours plus régulièrement. Mais je n’avais jamais fait une aussi longue distance. Ma première arrivée à Fribourg, l’année dernière, a été une grande émotion.»

Qu’est-ce que Morat-Fribourg a de particulier? «L’ambiance, au départ de Morat, et tout au long du parcours, est très sympa! Il y a du monde partout pour nous encourager. Tant que ma santé le permettra, je ne vais pas m’arrêter de courir. Et puis, il faut dire que l’organisation de Morat-Fribourg est impeccable!» «Je reviens toute neuve» Nadia Sudan de féliciter: «On peut vraiment remercier tous les organisateurs de courses, les bénévoles, qui proposent autant de manifestations toute l’année. C’est génial d’avoir autant de courses à disposition. A force, on finit par connaître les gens qu’on voit toujours aux arrivées et aux départs. A titre personnel, courir me fait beaucoup de bien. C’est un moyen de lâcher prise. Quand je reviens, je suis toute neuve!»


«Les coureurs ont marché sur la fanfare»

Né en 1938, cinq ans après la première édition, Jean-Claude Clément a connu l’ancien tracé, avant le pont de l’autoroute au Lavapesson, le trophée de 4 kg que recevait chaque participant, puis l’écusson de Morat-Fribourg, que les coureurs cousaient, fièrement alignés sur leur training. Avant l’instauration des départs en bloc, le Brocois a aussi connu les grandes bousculades. «On était tellement compressés pour passer la petite porte de Morat que, parfois, les pieds ne touchaient même pas terre!» Et puis, il y a eu les musiciens piétinés par des coureurs pressés. «A l’époque, la fanfare jouait devant le peloton. Une fois, les coureurs sont partis tellement vite qu’ils ont bousculé les musiciens et leur ont carrément marché dessus!» Jean-Claude Clément, personnage incontournable du ski fribourgeois, a aussi vécu les années où des femmes, interdites de Morat-Fribourg jusqu’en 1977, choisissaient de courir sous un nom d’emprunt. Il explique l’extraordinaire succès populaire par les bons résultats des coureurs fribourgeois ou romands. «Il y a eu Yves Jeannotat, puis Pierre Page, premier vainqueur fribourgeois (n.d.l.r.: en 1977). Tous les journaux en ont parlé, alors ça donnait envie d’y participer. Plus tard, des coureurs gruériens comme Pierre-André Gobet, Pierre-André Kolly ou Jef Cuennet étaient dans les vingt premiers.»

Un pari à Vounetz, à Nouvel-An Sportif de toujours, Jean-Claude Clément n’a tenté Morat-Fribourg qu’à l’âge de 27 ans, après un pari tenu à Vounetz avec ses amis Kinet Dupasquier et Gaston Gillard, le jour du Nouvel-An. «On était les trois seuls Gruériens. A l’époque, tout le monde n’avait pas la voiture. Rien que pour aller à Morat, c’était déjà toute une expédition. Je n’y connaissais rien à la course à pied. Après la première fois, je me suis dit plus jamais!» Mais cette première édition sera suivie par 47 autres. Seule une hernie discale l’a stoppé un jour après 500 m de course – «j’étais genou à terre, plié en deux. J’ai dû aller tout seul à la gare, où le premier train pour Fribourg était annulé…» – et un bassin «fracturé à la Granvillardine» en 2006 l’ont empêché d’y prendre part. Son meilleur chrono: 1 h 04. Le retraité a encore rallié Fribourg en 1 h 33 l’année dernière, à 74 ans. Dimanche, il en sera à 49 éditions. Malgré un genou en compote et des problèmes d’arthrose au dos, le chiffre 50 lui tend les bras. «J’aimerais bien arriver à 50, forcément. Et après, pas sûr que je m’arrête. Tant que je peux trottiner…»

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