PAR YANN GUERCHANIK
L’aire d’accueil pour les gens du voyage de La Joux-des-Ponts se fera-t-elle un jour? Sans doute pas sous la forme annoncée. En 2011, l’extension de l’aire de repos autoroutière à Sâles apparaissait comme la solution clé en main. Fribourg allait enfin disposer d’une place de stationnement pour les gitans. Le projet avait été mis sur orbite par Georges Godel, alors directeur de l’Aménagement. Une année plus tard, il accusait un retard important. Pas de mise en service avant 2015, prévenait-on à l’Office fédéral des routes (OFROU).
En réalité, le projet initial a très vite pris du plomb dans l’aile. D’après nos informations, une autre solution est actuellement échafaudée, qui prévoit deux parcelles de part et d’autre de l’autoroute. Le problème vient du fait qu’il faut aménager l’aire d’accueil non seulement pour les gens du voyage, mais également pour les chauffeurs routiers.
Côté Jura, on planche donc sur une cinquantaine de places de stationnement pour les poids lourds. Côté Préalpes, cinq ou six places du même type sont prévues en plus d’un «espace multifonctionnel» qui s’étendra sur un terrain avoisinant. Ce dernier sera occupé exclusivement par l’un ou l’autre groupe. Jamais les gens du voyage et les camionneurs ne pourront en disposer en même temps.
Priorité aux camionneurs
Pour l’OFROU, l’agrandissement de cette aire, idéalement placée sur l’A12, est avant tout destinée aux camionneurs. Son utilisation par les gens du voyage n’est consentie qu’après cette exigence. L’Office fédéral est donc très vite tombé sur un os. Difficile en effet de faire cohabiter ces deux groupes dans un même espace: quand les camionneurs ont besoin d’une aire pour dormir, les gens du voyage l’utilisent pour vivre et y mener leurs activités quotidiennes.
La police cantonale s’était même rapidement alarmée des problèmes de proximité qu’une telle situation ne manquerait pas d’engendrer. Bref, le projet capotait et d’aucuns murmuraient même que cette aire d’accueil ressemblait à la peau de l’ours que l’on vend avant d’avoir tué la bête.
Sans garantie pour 2015
D’après nos sources, le dernier projet qui prévoit l’extension de deux parcelles va bon train. Le projet sera concrètement déposé auprès du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) durant le premier semestre 2014. A temps pour une mise en service en 2015? L’échéance n’est pas garantie.
Porte-parole de l’OFROU, Olivier Floc’hic n’est «pas en mesure de répondre» à nos questions pour le moment. Du côté du canton et de la Direction de l’aménagement, de l’environnement et des constructions (DAEC), difficile d’en dire plus également. Le conseiller d’Etat Maurice Ropraz est actuellement saisi de deux questions parlementaires sur le sujet.
«Je vais préparer une réponse prochainement, déclare le ministre fribourgeois. A ce stade, les pourparlers continuent entre les différents services et une réalisation pour 2015 reste jouable.» Pour en avoir fait lui-même l’expérience lorsqu’il était préfet de la Gruyère, Maurice Ropraz assure qu’il «est parfaitement conscient des problèmes que suscite l’accueil des gens du voyage pour les communes et les préfets».
Situations tendues
Sur le terrain en effet, la situation est souvent difficile à gérer. «Nous sommes chaque fois mis devant le fait accompli», tonne Willy Schorderet. En mai dernier, le préfet de la Glâne s’était adressé au Conseil d’Etat pour savoir qui payerait les factures après une occupation à la Montagne de Lussy.
Le préfet de la Gruyère Patrice Borcard déplore quant à lui un sentiment d’impuissance: «Notre marge de manœuvre est étroite. La situation devient intenable. Je sens de plus en plus de fatigue du côté de la police. Les agents sont malmenés, insultés. Dernièrement, l’un d’entre eux a manqué de se faire écraser. Je ne sais pas combien de temps cela va durer avant qu’un incident se produise.»
Alors que l’aire d’accueil de La Joux-des-Ponts n’en finit pas de se faire attendre, les deux préfets en appellent à des solutions provisoires. Notamment que le Gouvernement s’organise pour que des terrains privés soient mis à disposition et qu’il définisse qui doit prendre en charge leur remise en état.
A l’approche de l’hiver, les occupations par les gens du voyage se terminent. Mais les autorités locales savent bien que cela repartira de plus belle dès l’arrivée du printemps.
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Bulle barricade ses terrains
Portiques, barrières, digues et buissons. Pour rappel, la ville de Bulle a décidé récemment de poser des équipements afin d’empêcher l’accès aux caravanes sur le parking de la Pâla et sur la place du stand de tir (rue de l’Etang). Quant au terrain du Russalet (rue Auguste-Majeux), en mains privées, des discussions étaient en cours pour en faire de même. C’est finalement la commune qui prendra à sa charge ces installations également. Bulle déboursera quelque 50000 francs pour protéger ces trois terrains.
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Vingt-deux occupations recensées en 2013
Du début de l’année au mois de septembre, la police a recensé 21 installations de gens du voyage dans le canton. On peut ajouter encore l’occupation qui a eu lieu cette semaine au parking de la Pâla, à Bulle. Dans le Sud fribourgeois, on décompte sept cas à Bulle (trois du côté d’Auguste-Majeux, trois à la Pâla et un à la rue de l’Etang), un cas à la Montagne de Lussy et un cas à Semsales.
Au-delà des occupations recensées, il faut encore considérer au moins une dizaine de tentatives avortées. «Nous sommes en dessous de l’année 2012 durant laquelle nous avions recensé trente et une installations», indique le porte-parole de la police Pierre-André Waeber. «Il faut dire que Fribourg est sévère. Nous dénonçons systématiquement toutes les infractions.» Il faut noter aussi que Bulle procède à la fermeture systématique des terrains concernés.
Si l’aire d’accueil de La Joux-des-Ponts est tant attendue c’est qu’en plus d’une solution permanente, elle représente un argument de poids dans les négociations que les autorités doivent livrer avec les gens du voyage. «Voilà ce qui est prévu», pourront-elles arguer plutôt que d’improviser un discours à chaque occupation de terrain. Pour le canton, c’est aussi une affaire de crédibilité vis-à-vis des voisins qui se plaignent que Fribourg, sans aire d’accueil, n’assume pas sa part du problème.
Néanmoins, une aire d’accueil n’est pas la panacée. Tout ne sera pas réglé pour autant. Le canton de Vaud en possède deux et l’installation des gens du voyage est encore et toujours une source de division et de conflits. YG
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