PAR KARINE ALLEMANN
Bernard Perroud, c’est une dizaine de championnats du monde de gymnastique artistique en tant qu’entraîneur. Deux jeux Olympiques comme observateur dans la délégation suisse (Munich en 1972 et Los Angeles en 1984) et, surtout, deux gymnastes qualifiées pour les Jeux. Mais le boycott de Moscou en 1980, puis le refus de la Fédération suisse d’envoyer à Séoul une athlète qui avait rempli tous les critères en 1988 ont eu raison de sa motivation.
Le Fribourgeois est sorti de sa retraite en 2009 pour reprendre le centre cantonal bernois jusqu’en 2011. Depuis deux ans maintenant, l’ancien prof de sport domicilié à Prez-vers-Noréaz est entraîneur du GASF (Groupe artistique du Sud fribourgeois), à Romont. Et il a la responsabilité du centre cantonal fribourgeois depuis cet été. Le week-end dernier aux championnats romands, ses filles se sont permis le luxe de battre des gymnastes venues de centres nationaux (lire ci-dessous). Retour sur le parcours d’un insoumis qui a toujours cherché la perfection du geste.
«Je viens du quartier d’Alt, à Fribourg, raconte le tout jeune retraité de 62 ans. Plusieurs joueurs de Gottéron y habitaient et j’ai logiquement commencé le hockey, comme gardien. J’ai même été remplaçant avec la première équipe, qui évoluait en LNB. A 17 ans, un copain m’a proposé de suivre les entraînements de gym avec Fribourg Anciennes. On disait que c’était complémentaire à l’entraînement des gardiens, car il fallait pouvoir faire le grand écart.» Deux ans plus tard, en 1969, le jeune homme est déjà champion cantonal. Il abandonne le hockey sur glace. «J’ai commencé à entraîner un groupe de filles quasiment en même temps que j’ai commencé la gym.»
Le boycott de Moscou
Avec son épouse Claudine, ancienne juge internationale, Bernard Perroud monte (déjà) un centre cantonal à Prez-vers-Noréaz. Il entraîne notamment Claudia Rossier, celle qui deviendra sa première gymnaste à se qualifier pour les Jeux. En 1979 aux Mondiaux de Fort Worth, au Texas, la Fribourgeoise crée la sensation et se qualifie pour la finale du championnat du monde. «Elle avait une rapidité d’exécution et une précision absolument incroyables pour l’époque. L’équipe nationale avait atteint la finale, avec les douze meilleures nations du monde. C’était la première fois que la Suisse était qualifiée directement pour les jeux Olympiques.»
Moscou tend les bras à la gymnaste et à son entraîneur. Mais, contrairement à l’athlétisme ou au cyclisme par exemple, la Fédération suisse de gym décide de suivre le mouvement américain et de boycotter les Jeux, en signe de protestation contre l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. «Claudia l’a très mal vécu. On avait tellement bossé…»
En 1982, Bernard Perroud est engagé à 50% par la Fédération suisse comme entraîneur des espoirs. Dès 1984, il travaille à temps plein à Macolin en tant que responsable du cadre espoirs. En 1987, il devient entraîneur national des élites. Une fonction qu’il n’assumera qu’une année…
«Nicoletta Dessena, une Vaudoise, a alors réussi tous les critères de sélection pour les Jeux de Séoul. Elle les a même confirmés une deuxième fois. Malgré tout cela, la Fédération a décidé de ne pas l’envoyer aux Jeux. J’ai trouvé ça totalement inadmissible et j’ai démissionné.»
Comment l’entraîneur explique-t-il le choix des dirigeants suisses? «Dès le départ, j’avais un très mauvais feeling avec le responsable du sport élites. Je ne pouvais pas travailler avec lui, ni lui avec moi. Il se cachait dans la salle de gym pour surveiller mes entraînements! Et puis, peut-être que pour la Fédération il y avait un peu trop de Romandes en équipe nationale… Franchement, ce ne sont pas de bons souvenirs.»
«Le hasard n’existe pas»
Si Bernard Perroud est resté en retrait toutes ces années, cela ne l’empêche pas d’être à la pointe de la formation. Expert Jeunesse et Sport, entraîneur Swiss Olympic de niveau 2, «la plus haute formation en Suisse pour les entraîneurs», l’homme a toujours cherché à se former. «Aujourd’hui encore, je trouve important d’aller une fois par semaine à Berne. C’est un avantage extraordinaire de pouvoir rester au contact du top niveau en ce qui concerne la méthodologie et l’apprentissage.»
Pour l’ancien prof de sport, l’exigence, la systématique et la responsabilisation des athlètes sont les points d’ancrage de la formation. «Je suis un entraîneur extrêmement exigeant. Mais tout ne doit pas venir de l’entraîneur. L’athlète doit avoir la même exigence avec elle-même. Parce qu’on ne peut pas se contenter de l’“à peu près”. Un salto arrière “à peu près” réussi sur une poutre, c’est la chute. En gym artistique, le hasard n’existe pas.»
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«L’entraîneur lui a mis deux gifles»
Bernard Perroud a connu la gymnastique artistique à l’époque de la guerre froide. Sport exigeant et virtuose s’il en est, la gymnastique artistique véhiculait une terrible image. On suspectait les fédérations du bloc de l’Est, surtout, de très mal traiter leurs athlètes. «C’était vrai, regrette l’entraîneur fribourgeois. La Chine n’a d’ailleurs pas évolué. Dernièrement, il y a eu des cas de tricheries aux JO avec des gymnastes qui n’avaient pas les 16 ans requis.»
Et de raconter les deux seuls événements qu’il a pu constater: «On avait invité la grande équipe de la RDA (n.d.l.r.: l’Allemagne de l’Est) à Prez-vers-Noréaz. Nous étions tous heureux de pouvoir assister à l’entraînement de ces gymnastes. Après l’échauffement, l’entraîneur, qui n’était pas satisfait, a fait se mettre en ligne toutes ses filles, il s’est dirigé vers sa capitaine championne du monde, et il lui a mis deux gifles! Et c’était deux grosses gifles. J’étais choqué et mes filles épouvantées.»
Même scène lors de Mondiaux au Canada. «L’entraîneur russe a giflé sa gymnaste qui avait manqué le titre mondial. Cette fille avait tout de même 19 ans!»
Pour Bernard Perroud, la gym artistique a évolué dans le bons sens. «Avant, on s’inspirait tous des pays de l’Est. C’était une gym pratiquée par des robots. Aujourd’hui, la première évolution est que toutes les fédérations ont accepté d’augmenter à 16 ans l’âge minimal pour les compétitions. Les gymnastes sont plus matures. L’école américaine, qui a toujours été plus libre, a pris le dessus. On demande aux athlètes d’avoir de la personnalité et de l’expression. C’est beaucoup plus beau.»
«Seule, abandonnée»
Reste que si les temps ont changé, la gym artistique reste un monde impitoyable. Le cas de la Fribourgeoise Nadia Baeriswyl est frappant. Membre des cadres nationaux, la Singinoise a été virée sans ménagement sitôt son retour de blessure. «On peut comprendre certaines explications techniques, comme le fait qu’elle avait grandi et que, désormais, elle touchait le sol avec les pieds quand elle était aux barres. Mais cela n’enlève rien au fait que la Fédération a très mal géré cela humainement. Parce que ses entraîneurs devaient quand même la voir grandir, non? Ils auraient pu l’avertir. Nadia avait organisé toute sa vie autour de la gym. Elle s’est retrouvée totalement abandonnée, seule sur un radeau en pleine tempête, sans savoir vers quelle direction aller.»
Mais l’entraîneur de rassurer: «J’ai eu contact avec elle et je suis heureux d’apprendre qu’aujourd’hui elle s’est mise à l’athlétisme avec des copines. C’est important de ne pas rester isolé. Par contre, je lui ai demandé si elle voulait venir nous donner un coup de main au centre. Elle m’a répondu qu’elle ne voulait plus entendre parler de la gym.» KA
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Trois podiums avec le GASF
Une quinzaine de jeunes filles s’entraînent sous les ordres de Bernard Perrroud au sein du GASF, à Romont. Depuis cet été, le Fribourgeois dirige également le centre cantonal, pour lequel il a sélectionné 13 gymnastes. «Depuis que nous n’avons plus la salle fixe à La Tour-de-Trême, je suis un entraîneur itinérant. Mais c’est bien. Cela me permet d’avoir le contact avec les parents, ce qui est important.» En effet, l’entraîneur partage ses soirées entre Romont, Berne (avec la jeune glânoise Clémence Gobet), Fribourg, Cugy et Aigle, un samedi sur deux.
Ce système perdurera tant que la Fédération fribourgeoise n’aura pas de local fixe. «Le projet de construction d’une salle à Bulle sera présenté lors de l’assemblée générale de novembre. Mais ce n’est qu’un projet.»
«Le niveau a tellement évolué»
Le week-end dernier à Yverdon-les-Bains, les Fribourgeoises ont remporté trois podiums aux championnats romands. «En P1, la troisième place est assez logique. Nous comptons dans l’équipe Clémence Gobet (GASF), 10e en finale du championnat de Suisse. La deuxième place en P2 était par contre une surprise. Nous avons battu Genève et Vaud, qui possèdent des centres d’entraînement avec des professionnels. Les filles ont trouvé la bonne symbiose et elles ont été galvanisées par le concours incroyable de Justine Dousse (GASF).» Troisième podium, la deuxième place de Déborat Beuret (GASF) au concours de barres asymétriques. «Elle a réussi une performance extraordinaire.»
En novembre, Clémence Gobet, 8 ans, va passer des tests pour, peut-être, intégrer un cadre national.
Huit ans, c’est tôt. Mais la carrière d’une gymnaste se joue dès l’enfance. D’ailleurs, le GASF a ouvert une section Gym Kids pour les enfants de 3 à 6 ans (renseignements sur le site www.gasf.ch). Aujourd’hui, les très jeunes gymnastes réussissent des gestes incroyables. «Grâce à l’évolution du matériel, les entraînements et le niveau ont tellement évolué. Il y a trente ans, réussir un appui renversé était déjà un exploit. Aujourd’hui, elles le font à 8 ans. Et à 10 ou 12 ans, elles réussissent un double salto au sol. C’est vers cette augmentation des rotations que nous allons.» Samedi dernier à Anvers, le Japonais Kenzo Shirai est devenu champion du monde avec une quadruple vrille au sol. Une figure qu’il est seul à réaliser. Pour le moment. KA
Résultats
Championnats romands de gym artistiques, concours par équipe
PP: 1. Neuchâtel II 107,85 points; puis: 4. Fribourg (Eléa Mahmetaj, Maïa Arm, Manon Lenweiter) 99,60; 7. Fribourg II (Sanaé Marmy, Justine Cuennet) 92,55 – 7 équipes classées.
P1: 1. Neuchâtel II 110,25 points: puis: 3. Fribourg (Naomi Feldmann, Rea Kolly, Clémence Gobet) 100,45; 5. Fribourg II (Alyson Teixeira, Lisa Pillonel, Mathilde Genoud) – 6 équipes classées.
P2: 1. Genève 100,70; 2. Fribourg (Eléa Dufour, Mathilde Boschung, Justine Dousse) 93,80; puis: 6. Fribourg II (Marion Sarcina, Arina Magnin, Diane Lenweiter) 77,05 – 6 équipes classées.
P3: 1. Fribourg (Nathalie Haymoz, Mara Pfister) 77,35 – 1 équipe classée.
Concours individuels
P4 (barrres): 1. Emilie Dubail (Serrières) 10,40; 2. Déborat Beuret (GASF) 9,40 – 10 classées.
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