«En l’air, on n’a pas le temps de penser, on est concentré»

| jeu, 23. Jan. 2014
Gabriel Karlen, de Rougemont, fait partie du cadre national C. Le jeune sauteur a fait ses débuts en Coupe du monde dans le cadre de la Tournée des quatre tremplins. Il raconte sa drôle de vie de sauteur.

PAR THIBAUD GUISAN

«Je regardais la Tournée des quatre tremplins à la télévision. Mon père était étonné de me voir fasciné. D’habitude, je ne tenais pas en place à la maison.» C’était à la fin de l’année 2002. Voilà comment Gabriel Karlen a eu le déclic pour le saut à skis.
Aujourd’hui, le jeune athlète de Rougemont, bientôt 20 ans, sillonne l’Europe, de tremplins en tremplins. Intégré au cadre C de Swiss-ski cet été, le sauteur du SC Gstaad disputera les championnats du monde juniors, du 27 janvier au 3 février à val di Fiemme. Et, au début de l’année, le Vaudois a goûté à sa première expérience en Coupe du monde à Innsbruck. Rien de moins que dans le cadre des qualifications de la troisième étape de la Tournée des quatre tremplins!
Rencontré à Rougemont, Gabriel Karlen garde les pieds sur terre. «En saut à skis, plus que dans tout autre sport, la limite est fine entre l’exploit et la plantée», dit-il, attablé à la cuisine familiale. «C’est très mental.» Alors, à quoi pense-t-on quand on se retrouve en l’air? «En fait, on n’a pas le temps de penser. On est tellement concentré sur son saut.»


Record à 121,5 m
Le petit bonhomme – 1,65 m pour une cinquantaine de kilos – est engagé en Alpen Cup, la compétition juniors des pays alpins, et en Coupe continentale, «une sorte de Coupe du monde B». Il saute régulièrement entre 100 et 120 mètres avec ses skis de 2,30 m. Son record officiel de 121,5 m date du 26 janvier 2013. C’était en Coupe continentale, sur le tremplin allemand de Titisee-Neustadt. A l’entraînement, il a sauté 146 m en été.
Il raconte ses envols «où tout se joue en quelques secondes. Sur un grand tremplin, l’élan dure cinq secondes. En une accélération de cinq secondes, on atteint une vitesse de 93 à 94 km/h.» C’est à cette vitesse qu’il fend l’air. «Un des points capitaux, c’est le timing au bout de la planche. Il ne faut sortir ni trop tôt ni trop tard.» Au plus haut, le jeune homme se trouve à quatre ou cinq mètres du sol, «même si cela varie beaucoup d’un tremplin à l’autre. En vol, je suis à l’aise. Je travaille ma technique de poussée en sortie de table.»
Avant un concours, Gabriel ne cherche pas forcément à s’isoler. «Je discute un peu avec les autres sauteurs. Si on se met dans une bulle, on a tendance à trop réfléchir. L’autre danger, c’est de vouloir trop en faire.»


La vie au couvent
La vie du jeune sauteur a changé cet été. Après quelques saisons passées dans le cadre Ouest – géré par Ski-romand et la fédération bernoise BOSV – il intègre le cadre national C, en même temps qu’il termine son apprentissage de gestionnaire de commerce de détail, dans un magasin de sport de Rougemont.
Gabriel Karlen quitte alors le Pays-d’Enhaut pour s’installer à Einsiedeln. C’est là que Swiss-ski possède son centre national de saut à skis. Plus précisément dans l’enceinte de l’abbaye du XIIe siècle qui fait la renommée du village schwytzois. Depuis, les jours passés à Rougemont se comptent sur les doigts d’une main. «Je loge à l’internat, dans le couvent. Nous disposons de salles de sport et, l’été, nous nous entraînons à Einsiedeln sur des tremplins avec revêtement synthétique. L’hiver, il n’y a pas assez de neige pour sauter.»


Les rires de Simon Ammann
Le cadre national de saut à skis compte dix sauteurs: de Simon Ammann, seul en équipe nationale, à Gabriel Karlen. Killian Peier, de La Sarraz (19 ans, cadre B), est le seul autre Romand. L’été, les néophytes croisent le quadruple champion olympique. «L’hiver, on est rarement au même endroit en compétition. Simon rigole tout le temps et il donne quelques conseils. Mais, au-delà de ça, il est une formidable locomotive.»
C’est aussi l’été que s’effectue le gros du travail physique. «L’accent est mis sur le gainage, pour renforcer le dos et les abdominaux, la force des jambes, et sur l’explosivité. Cette explosivité est capitale en sortie de tremplin: il faut pousser fort et rapidement. On la travaille avec des exercices sur des haies ou en faisant des flexions en soulevant des haltères. L’hiver, on a moins le temps pour le physique. On l’entretient.»
Le programme hebdomadai­re est presque immuable. «Le jeudi, nous partons sur les concours. Nous revenons le lundi. Il reste mardi et mercredi pour l’entraînement.»
Depuis le temps, Gabriel Karlen est vacciné aux trajets en petits bus à travers l’Europe centrale. «Quatre à cinq heures de route, c’est devenu normal, sourit-il. Des fois, on se dit que c’est beaucoup de trajets et de travail pour quelques secondes de concours, mais c’est tellement génial comme sensation, de pouvoir voler.»

 

-----------------------

 

Face au cimetière d’Innsbruck


L’année 2014 a démarré en fanfare pour Gabriel Karlen. Le 3 janvier à Innsbruck, le sauteur de Rougemont a effectué ses débuts en Coupe du monde, en disputant les qualifications du concours de la Tournée des quatre tremplins. «Je n’ai malheureusement pas réussi à présenter mon meilleur saut», regrette le Vaudois, qui a terminé les qualifications à la 72e et dernière place. «C’est dommage, car j’avais les possibilités de me qualifier pour le concours en terminant parmi les cinquante premiers. Mais il y avait beaucoup de pression. Et, en plus, j’ai sauté avec un vent défavorable.»
En l’occurrence, un courant venant de dos, qui a tendance à plaquer le sauteur contre la piste. A l’inverse, un vent de face est favorable, puisqu’il contribue à porter le sauteur.
Le tremplin de Bergisel n’a pas conve­nu. «J’ai toujours sauté trop tôt. Je n’avais pas le bon timing. On a deux sauts d’entraînement pour trouver ses repères. Il y a des tremplins qu’on a vite dans la peau et d’autres pas. C’est difficile à expliquer pourquoi.» Reste l’expérience, inoubliable. «Quand on est sur la barre d’élan, on surplombe la ville d’Innsbruck. La première chose qu’on voit, c’est un cimetière. Il n’y avait pas beaucoup de public pour les qualifications, mais ça faisait déjà du bruit.»
Flanqué du dossard numéro 9, Gabriel Karlen a dû ce cadeau à ses performances de la fin d’année 2013. A Lahti, en Finlande, il a obtenu ses premiers points (offerts aux trente meilleurs) en Coupe continentale, les 20 et 21 décembre. «J’ai terminé 28e et 16e, explique-t-il. Ce sont d’excellents résultats.» Une semaine plus tôt, à Seefeld, en Autriche, il se classait 9e en Alpen Cup: sa meilleure performance à ce niveau.
Forcément, Gabriel Karlen espère retourner un jour en Coupe du monde. Mais il est conscient qu’il devra réussir sa fin de saison, la dernière chez les juniors avant de passer en élites. A commencer par les championnats du monde juniors de cette fin janvier. «Je préfère viser la qualité des sauts plutôt qu’avancer un objectif en termes de place», dit le Vaudois, vice-champion de Suisse juniors cet automne sur tremplin synthétique. TG

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses