Les stars de la descente ont tous leurs hommes de l’ombre

| sam, 18. Jan. 2014
photo chloé lambert
La descente du Lauberhorn appartient aux classiques de la Coupe du monde. Pour assurer la glisse des stars, les techniciens s’activent dans leurs ateliers. Vainqueur à Wengen en 2009 et champion olympique en titre, Didier Défago se confie.

PAR THIBAUD GUISAN

Ils sont au ski alpin ce que sont les mécanos à la formule 1. Les servicemen œuvrent dans l’ombre pour le succès des stars du cirque blanc. A Wengen, comme ailleurs en Coupe du monde, ils ont leurs repaires dans les caves des hôtels. «Ici, c’était un ancien cabaret», sourit Franz Nadig, en pointant du doigt les étoiles du plafond de cette pièce du sous-sol de l’hôtel Belvédère.
Le quadragénaire saint-gallois – neveu de l’ancienne championne olympique Marie-Thérèse Nadig – est le technicien attitré de Patrick Küng. Employé de la marque Salomon, il vit avec son athlète les aléas d’une saison de Coupe du monde. La victoire du Glaronais, en décembre, sur la descente de Beaver Creak, il l’a aussi savourée. «Patrick est quelqu'un de méticuleux. Les jours avant une épreuve, on se voit deux ou trois fois dans la journée. On discute des réglages.»
De ces réglages peuvent dépendre des centièmes, voire des dixièmes. Les lattes de Patrick Küng mesurent 2,16 m. En course, elles pourront atteindre des pointes de 154 km/h. Pour la descente du Lauberhorn d’aujourd'hui, Franz Nadig a préparé quatre paires différentes. Le choix final s’effectue le matin même de la course.
Un descendeur a généralement le choix entre 25 paires de skis. Son technicien opte pour un ski plus ou moins dur. «Plus la neige est molle, plus on prend un modèle dur.» Ensuite, les semelles peuvent avoir une structure différente. «Elle est dessinée à l’usine et elle peut être comparée au profil d’un pneu. Elle laisse passer l’eau qui se crée par frottement entre la neige et le ski.» Avant une course, le choix d’une structure – plutôt qu’une autre – dépend du grain de la neige, des cristaux.


Le travail du fluor
Voilà pour la base. Ensuite, en plus de l’aiguisage des carres, place au fart. Un produit qui contient du fluor. Cet élément chimique aide à évacuer la couche d’eau produite par le frottement des semelles sur la neige. «Plus la température est élevée, plus on choisira un fart fluoré», explique Franz Nadig. «La qualité de la neige est très importante.» Hier après-midi, elle était molle. Au sommet de la descente du super-combiné, elle affichait -3°C. A l'arrivée: 0,5°C.
Le technicien dépose au moins trois ou quatre couches de fart sur les semelles des skis. Un produit appliqué, puis raclé. «Entre-temps le fart pénètre dans la semelle.» La dernière étape consiste à déposer une couche de produit 100% fluor, le «top finish» dans le jargon. «Sans cette dernière manœuvre, le skieur perd trois dixièmes sur vingt secondes de course.»
Le jour J, le technicien monte avec son skieur au sommet de la descente. Avec deux paires de skis: une pour la course, l’autre de réserve.


Une relation particulière
La confiance est primordiale entre le skieur et son technicien. «Le jour de la course, le serviceman est même plus important que l’entraîneur», note Heinz Kolly. Ce Singinois de 54 ans – il habite Saint-Antoine – a de l’expérience. Il a été durant une quinzaine de saisons serviceman, avant de devenir chef de course pour la marque de fart Toko.
Aujourd'hui représentant, il s’est retiré de la Coupe du monde en 2012, après vingt-huit saisons. Le Singinois ajoute: «Avant la course, le technicien, comme l’athlète, sent monter la pression. Il est tendu de savoir s’il a effectué les bons choix. Mais il essaie de ne pas le montrer, pour ne pas transmettre sa nervosité.»
Depuis son repaire, Franz Nadig espère un bon résultat aujourd’hui pour Patrick Küng. «Sans bon pilote, on n’a pas de bon résultat», glisse-t-il. Comme en formule 1.
 

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«Dur de regagner du temps»

Champion olympique de descente en 2010 à Vancouver, Didier Défago a remporté le Lauberhorn en 2009. Il s’est confié à La Gruyère dans le salon de l’hôtel des Suisses.

Didier Défago, quelles sont les caractéristiques du Lauberhorn?
C’est une course historique. Il y a le décor et le côté un peu vieillot du petit train qu’on doit prendre pour rejoindre le sommet. Ça a son charme, même s’il y a des horaires à respecter (rires). Après c’est une des plus longues descentes du circuit (n.d.l.r.: 4,455 km). C’est donc très dur physiquement. Techniquement, c’est une descente de difficulté moyenne. Le problème, est que la moindre erreur se paie. Il est très difficile de regagner du temps. Déjà après la première courbe du départ, sur vingt secondes, il faut emmener le maximum de vitesse jusqu’à la Tête de chien et le Canadian Corner. Après le Brüggli – où se gagne souvent le Lauberhorn – on a de nouveau une quinzaine de secondes de glisse. Quant au S final, il se joue au physique: celui qui a encore de bonnes jambes peut bien l’attaquer.

A l'arrivée, comment se sent-on?
Si le résultat est au rendez-vous, il y a de grosses émotions et on peut profiter de l’ambiance. Physiquement, on sent l’effort. Mais on supporte si on est bien préparé. Mentalement, c’est un gros relâchement, car on est très concentré en course. Mais c’est partout le cas. Par contre, à Wengen, il y a une pression supplémentaire pour les Suisses. Courir devant son public est émotionnel. Pour gérer ça, il est important de bien se mettre dans sa bulle avant la course.

On dit que le matériel est particulièrement important au Lauberhorn. Juste?
Oui, parce que les parties de glisse sont importantes. Après celle du haut, on a déjà parcouru un tiers de la course. La glisse, c’est le secret des servicemen. Sur le circuit, il y a des descentes où le matériel est un peu moins important. Comme à Bormio, où ça descend tout le temps. A Beaver Creak ou à Kitzbühl, on peut aussi regagner du temps. A l’inverse, à Lake Louise, une erreur est difficile à réparer.

Vous êtes champion olympique de descente. Comment abordez-vous les Jeux de Sotchi?
J’espère défendre mon titre le plus longtemps possible. Et si possible que la valise soit plus chargée au retour qu’à l’aller. Mon début de saison est correct en vitesse. J'ai montré que je pouvais être dans le coup, notamment à Beaver Creak et à Bormio (n.d.l.r.: 11e et 7e en descente). Après, j'ai disputé la descente de Sotchi il y a deux ans. Elle me convient. C’est une descente complète, longue et éprouvante. En haut, il faut de l’engagement et du cœur. TG

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