PAR JEAN GODEL
Comment manier le couteau à poisson? Où placer sa bonne blague? Comment ne pas jouer les Gaston Lagaffe face à De Mesmaeker – ou éviter le désastre avec celui dont on espère le contrat du siècle? Hier, dans ses nouveaux locaux de la route du Jura à Fribourg, la Chambre de commerce et d’industrie (CCIF) organisait un atelier learning by doing intitulé «Guide des bonnes manières dans un repas d’affaires», l’une des quatorze sessions de FriWeek, la première Semaine des entrepreneurs fribourgeois. Cinq thématiques déclinées en cinq jours: innovation, management, technologie, international et gouvernance.
Après l’apéritif, la quarantaine de participants s’est rendue à table, chacun cherchant sa place désignée par le numéro inscrit sur la boule de ping pong reçue à son arrivée. Prêts pour la leçon, couteau et fourchette en mains. Professeur à l’Ecole hôtelière de Genève (lire ci-dessous), Christina Ligthart a joué les maîtresses d’école, se promenant de table en table, sourire en coin. Premier problème, la serviette: quand faut-il l’ouvrir? «Tout de suite», répond-elle. Et on la place sur ses jambes, histoire qu’elle serve à quelque chose.
«Les affaires se font entre personnes qui se connaissent et les dîners d’affaires ont toujours cours», assure en aparté Alain Riedo, directeur de la CCIF: plus courts, moins somptueux (on se contente d’un menu du jour) et souvent à l’eau, ils sont l’occasion de discussions informelles. «Le temps de midi est un vrai temps de travail.»
La salade en petit paquet
Arrive la salade avec sa sauce. Véronique Monney, patronne de Veena Victoria LLC (communication) jubile, tout de blanc vêtue: «Je me suis lancé un défi!» C’est réussi. Au fait, la salade ne se coupe pas: «On en fait un petit paquet cadeau», apprend Christina Ligthart. Pourvu qu’il ne s’ouvre pas d’un coup devant la chemise…
A table, Jean Buchs, chef de vente à Saint-Paul Holding, reconnaît inviter parfois des clients: «Mais plutôt à un spectacle ou une fondue d’avant-match à Gottéron.» Gérald Robin, coach de vie à Broc, ne pratique pas vraiment les lunchs d’affaires avec ses clients qui le consultent en privé. Pourtant, il reconnaît leur potentiel: «Le comportement même des gens y est différent: créer de telles relations invite l’autre à parler.»
Ces mains qui souvent nous encombrent? «Pas sous la table, comme si l’on cachait une arme, insiste Christina Ligthart, mais le creux du poignet calé contre l’arête du plateau.» La suite du menu n’est qu’une série de pièges: cuisse de poulet, tagliatelles et petits pois… Si personne n’ose ronger son os – «vous le ferez chez vous» – Gérald Robin commet l’impensable: il coupe ses pâtes au lieu de les enrouler autour de sa fourchette! Pire, en rebelle assumé, il sauce son pain! «Ça ne se fait pas… même si c’est parfois dommage», sourit Christina Ligthart. «Dans le doute, s’abstenir», conclut sagement Patrice Callegari, de Swiss Pro Team à Granges.
«Bien sûr que le dîner d’affaires n’est pas un problème pour nos membres, avoue Alain Riedo. Mais ce lunch est l’occasion d’un réseautage dans la détente.» Il paraît que lundi soir, l’afterwork sur la créativité en entreprise s’est terminé très tard dans les cuisines de Pierrot Ayer, le chef du Pérolles…
«Quelle horreur! Un millefeuille…» Au moment du dessert, une participante a ce cri du cœur. Et sans fourchette, le mille-feuille! L’astuce? «Le coucher pour ne pas l’écraser avec la cuillère», triche un convive, soufflant la consigne à ses camarades. Un truc à se mettre De Mesmaeker dans la poche.
L’aisance, mère des vertus
«Quand on est à l’aise avec l’éboueur comme avec le directeur de banque, on a tout compris dans la vie. Le savoir-vivre, c’est le passeport de la liberté.» Responsable Services généraux et professeur de savoir-vivre à l’Ecole hôtelière de Genève (EHG), Christina Ligthart est une leçon à elle toute seule: d’aisance, d’entregent et d’élégance. Le but de son cours donné hier dans les locaux de la Chambre de commerce et d’industrie Fribourg n’était pas le contrat signé garanti sur facture. Mais l’aisance, c’est comme l’huile dans les rouages, ça aide. Sinon à signer, du moins à éviter que tout se bloque. «C’est comme un vêtement: l’aisance dit quelque chose de celui à qui on a affaire.»
Or, constate Christina Ligthart, avec la démocratisation du monde de l’entreprise, certains n’ont pas reçu tous les codes. «L’important lors d’un dîner d’affaires, ce doit être le sujet du jour, pas la manière de tenir son verre.» Sans être toujours décisifs, ces moments-là peuvent être un piège. «Parfois aussi, c’est un examen. Il faut s’y préparer.»
Dans ses cours à l’EHG, Christina Ligthart aborde tous les aspects, factuels ou non, qui interviennent dans ces situations: le comportement à table bien sûr, mais aussi l’attitude que révèlent notre langage et notre corps, la communication avec les connaissances comme avec les nouveaux venus. Il y a aussi les sujets à éviter (surtout pas de politique!), l’humour (à usage délicat) ou encore la séduction: «C’est un fait, dès qu’un homme et une femme sont en présence.» Que faire avec la séduction? «Il ne faut pas s’en méfier mais savoir qu’elle existe pour ne pas être pris au dépourvu. Bien maniée, la séduction est comme l’humour: elle peut être un outil extraordinaire.»
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