Une blessure, et tout s’arrête...

| sam, 08. nov. 2014
A chaque saison sont lot d’athlètes dont la carrière est stoppée par une blessure. Déni, tristesse, colère: les étapes sont longues jusqu’à l’acceptation d’une nouvelle vie. Témoignages.

PAR KARINE ALLEMANN

Novembre 2003, dans le cabinet d’un médecin à Berne.
– «Monsieur Descloux, votre hanche est trop abîmée par l’arthrose. Il va falloir arrêter le foot.
– «OK, je comprends. Je viens de signer un contrat de quatre ans avec Young Boys. Je n’irai donc pas plus loin que ces quatre ans.»
– «Non, il faut vraiment arrêter le foot.»
– «D’accord. Je vais juste terminer la saison. Au pire, je ferai le point à Noël.»
– «Non, vous n’avez pas compris. Vous devez stopper immédiatement.»
Cette scène, Joël Descloux s’en souvient très bien. «Nous étions le 11 novembre. La date m’avait marqué, car je portais le numéro 11…» Titulaire indiscutable avec le BSC Young Boys, le milieu de terrain glânois, 28 ans a dû raccrocher du jour au lendemain. On le disait aux portes de l’équipe de Suisse.
Ces traumatismes-là, des sportifs en vivent chaque saison: déni, coup d’assommoir, révolte, tristesse et colère face à ce corps qui les a trahis. Jusqu’à l’acceptation d’une nouvelle vie. C’est ce que racontent le footballeur Joël Descloux et la patineuse Virginie Clerc. Quant à la skieuse Andrea Thürler, récemment opérée du genou, elle ne sait pas de quoi son avenir est fait.

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«Les mêmes étapes que pour un deuil»
Physiothérapeute à Bulle, Fabrice Perret travaille avec beaucoup d’athlètes dans la région. «Malheureusement, ce sont plusieurs cas par année où nous suivons un sportif qui ne pourra plus reprendre ses activités. Les opérations du genou, même si elles sont réussies, ça reste très compliqué.»
Le physio est bien souvent le confident de l’athlète. «Notre rôle est de ne surtout pas lui donner de faux espoirs. Nous fixons donc des objectifs à court terme, avec des étapes à franchir. Souvent, au début, le sportif a besoin de comprendre, de savoir. Alors il nous bombarde de question. Celle qu’on aime le moins, c’est “quand est-ce que je vais pouvoir rejouer?”»
Pour Fabrice Perret, un sportif dont la carrière s’arrête sur blessure passe par les mêmes étapes qu’une personne en deuil. «Il y a le déni, au départ. Puis la période de marchandage avec sa blessure. Ensuite la révolte et enfin l’acceptation. Il y a aussi souvent une phase de dépression. Ils nous disent qu’ils sont “foutus”. Avec le temps, on apprend à décoder dans quelle phase ils sont. On fait de l’écoute active. Et on les rassure avec des données objectives, en disant par exemple que le genou répond bien, qu’il progresse. Souvent, un sportif qui ne s’entraîne plus est mal parce qu’il n’a plus sa dose d’endorphine. On essaie de rester actifs, notamment en travaillant sur leurs lacunes, comme la coordination. Il faut les garder motivés.»
Un athlète se sent souvent trahi par son corps en cas de blessure. «Certains ont besoin de se chercher un coupable, analyse Fabrice Perret. Ils essaient de comprendre pourquoi ils se sont blessés. Ça rassure, de trouver un coupable. On essaie de leur transmettre l’idée que leur corps est leur partenaire pour retrouver la santé. Il n’est pas leur ennemi.»

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«Je rêve chaque semaine que je joue»
Joël Descloux en est sûr: c’est parce qu’il avait connu la vie en dehors du foot qu’il a si bien digéré cette fin de carrière non préméditée. «J’avais déjà travaillé comme enseignant, un métier que j’aime. Quand je suis sorti de chez le médecin, il a tout de suite été clair pour moi que j’allais retrouver mon premier boulot, voilà tout. Et puis, j’avais déjà deux enfants. Dans le fond, l’arthrose n’est pas un truc grave. Je préférais ça plutôt qu’on m’annonce qu’un de mes enfants était malade.»
Reste que la prise de décision a été radicale. «Cela faisait depuis le mois de juin que j’avais mal. C’était l’été de la canicule, en 2003, les terrains étaient très secs. A la fin, je ne dormais plus la nuit tellement j’avais mal à la hanche. Mais je pensais que j’allais juste devoir me ménager. Or, il y avait tellement d’arthrose que si j’avais attendu plus longtemps, le risque était que toute l’articulation se bloque et que je ne puisse plus rien y faire.»
Face à ce qu’il a perdu, Joël Descloux fait preuve de beaucoup de recul. «C’est vrai que, footballeur, c’est une vie chouette. Mais je n’ai jamais ressenti de colère. Après avoir annoncé à l’entraîneur que j’allais devoir arrêter, il m’a demandé de revenir encore pour un match. Il m’a fait entrer à la fin, c’était une manière de dire au revoir. Là, j’ai vécu le moment le plus dur émotionnellement. Il y avait beaucoup de banderoles de soutien dans le public. J’ai réalisé que, toutes ces émotions, tout ce pourquoi on fait du sport, c’était fini pour moi. D’ailleurs, à la fin du match, un journaliste m’a dit que c’était comme si j’étais mort...»
Si celui qui est toujours enseignant primaire à Farvagny n’est pas aigri, c’est peut-être qu’il s’est toujours estimé chanceux d’avoir pu vivre trois saisons en tant que professionnel. «Pour ceux qui n’ont connu que le foot, la situation est différente. Un footballeur est totalement pris en charge. Si les chaussettes ne sont pas tournées à l’endroit dans le vestiaire, certains joueurs engueulent le responsable matériel. Moi, je trouvais déjà fou qu’on ait un responsable matériel. Et puis, je ne rêvais pas forcément d’une grande carrière à l’étranger.»
Reste que la blessure l’a privé d’un parcours plus prospère dans le foot. Aucun regret, vraiment? «Bien sûr, j’aurais pu gagner quelques sous de plus. Mais, honnêtement, je ne crois pas que notre train de vie aurait beaucoup changé. Mon épouse a toujours travaillé. Mon seul pincement au cœur, c’est de n’avoir jamais joué dans le nouveau stade d’YB. J’y vais de temps en temps pour voir des matches.»
Travailler tout de suite, ne pas gamberger sur ce qui a été perdu mais apprécier ce qu’il a obtenu: voici comment Joël Descloux a géré l’après-foot. Reste cette réponse, étonnante, quand on lui demande si la compétition lui manque. «Beaucoup. Il ne se passe pas une semaine sans que j’en rêve. Je me vois dans un match, ou dans le vestiaire. Dix ans après, c’est encore très présent, je ne sais pas pourquoi. J’ai l’impression d’avoir trouvé plein de compensations. Mais, apparemment, il y a bien quelque chose d’inachevé...»

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«J’étais vraiment anéantie»
Deux blessures ont freiné Virginie Clerc. La première l’a privée des championnats de Suisse de patinage artistique, et peut-être des grandes compétitions internationales, la seconde a mis fin à sa carrière à 22 ans. «Le patinage était toute ma vie. Ça s’est arrêté du jour au lendemain.»
La sanction est tombée en automne 2013. «J’avais mal au dos depuis environ une année. A Zurich, où je vivais depuis 2007, j’avais déjà dû passer de quinze heures d’entraînement par semaine à cinq. Avec mon entraîneur, nous voulions que je me ménage pour pouvoir vivre les championnats de Suisse une dernière fois. Sur la glace, je ne faisais quasiment plus que de la glisse. Et puis, un mardi, j’ai retenté les sauts. Je suis restée bloquée jusqu’au jeudi suivant. Double hernie discale. J’ai voulu recommencer, mais impossible. J’ai dû prendre la décision qui s’imposait.»
Le choc a été immense, même si la patineuse de Romont était handicapée par les blessures depuis trois ans et demi. «Le pire, c’était ma déchirure musculaire en 2010, juste avant les championnats de Suisse élites. J’étais la grande favorite pour le titre. Il m’aurait permis de participer aux championnats d’Europe et du monde.»
L’automne dernier, avec cette double hernie discale, non seulement la jeune femme a vu s’envoler ses ambitions, mais elle n’a plus pu patiner du tout. «Je suis rentrée chez moi, à Romont. J’étais vraiment anéantie. Je me revois sur le canapé du salon, avec ma maman qui essayait d’être gentille. Sauf que je n’étais pas capable de lui rendre cette gentillesse. Je ressentais du dégoût et beaucoup de colère. Plusieurs mois après, en parlant de ma blessure à quelqu’un, la personne m’a dit qu’elle avait l’impression que j’en voulais à mon corps. Je ne m’en étais pas rendu compte. Mais c’était vrai. J’avais tout fait pour le préserver. Je m’astreignais à une préparation physique consciencieuse, à des cours de danse, je venais trente minutes plus tôt à l’entraînement pour bien m’échauffer, je mangeais correctement… Je n’ai pas compris pourquoi tout ça m’arrivait à moi.»
Il a pourtant bien fallu l’accepter. «C’était en mai. Pour mes cours d’assistante médicale, j’ai dû écrire un texte sur ma carrière, sur ce qu’avait été ma vie. Je me suis rendu compte que le patinage, c’était comme une relation de couple de dix-huit ans qui avait pris fin. Alors oui, j’ai dû en faire mon deuil. Et ensuite j’ai pu tourner la page.»
Désormais, Virginie Clerc entraîne des jeunes au sein du Club de patinage de la Gruyère. Depuis sa blessure, la jeune femme est très active. «C’est sans doute un mécanisme que j’ai mis en place pour m’occuper.» Le plaisir et l’adrénaline de la compétition, elle les a retrouvés avec la course à pied. «Fin octobre, j’ai participé aux 10 km de Lausanne. Les jours précédents, j’avais la même sensation de stress dans le ventre en pensant à la course. Et, sur la ligne de départ, c’était exactement comme avant d’entrer sur la glace. En repensant au patinage, j’aurai toujours un petit pincement au cœur. Mais je n’ai plus de colère.»

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«J’avance au jour le jour»
Andrea Thürler vit actuellement une des périodes les plus difficiles pour un athlète: l’incertitude. En septembre, la skieuse de Bellegarde chute à l’entraînement et se luxe le genou. Le spécialiste qui l’opère ne peut pas lui assurer qu’elle pourra à nouveau skier au niveau professionnel un jour. Pendant une année, la Gruérienne de 21 ans va devoir cravacher dur pour récupérer sa mobilité, puis essayer de retrouver son niveau.
Contactée à Zurich, où Swiss-ski a mis sur pied un centre de rééducation pour ses athlètes, Andrea Thürler dit garder le moral. Comment a-t-elle vécu l’annonce du médecin? «Ça a été un choc, bien sûr. Mais, quand je suis tombée, j’ai eu vraiment très mal. J’ai tout de suite su que ce serait grave. Je n’avais jamais vu un genou aussi enflé. Et la rotule était dix centimètres plus haut que d’habitude.»
La santé passe avant
Andrea Thürler visait une carrière en Coupe du monde. Mais elle relativise très vite. «Après une saison difficile, j’avais réussi une très bonne préparation, les chronos étaient bons. Après des jours difficiles à l’hôpital, je me suis vite dit que la priorité, maintenant, c’était la santé. Je vais tout faire pour pouvoir skier à nouveau. Si ce n’est pas possible, ça me ferait mal au cœur. Mais ma santé passe avant tout le reste. Je n’ai pas envie de me retrouver avec une prothèse à 30 ans.»
La jeune fille craint-elle la fin de carrière? «Je ne réfléchis pas si loin. J’avance au jour le jour et je regarde les progrès réalisés. Je vais aussi suivre une école, pour me changer les idées. Pour l’instant, c’est bouger qui me manque. Le ski, ça va. Je m’occupe avec autre chose. De toute façon, je dois me montrer patiente. Alors je préfère oublier le ski pour le moment.»

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