Posé sur le chalet de Bataille, le tavillon autoclavé fait débat

| jeu, 11. déc. 2014
Couvert avec des tavillons autoclavés, le toit de la future Maison du bois divise les pragmatiques et les puristes. Le point de la situation.

PAR CHRISTOPHE DUTOIT

Depuis quelques jours, le toit du chalet de Bataille est recouvert d’une fine pellicule de neige qui cache les tavillons autoclavés récemment posés sur ce qui deviendra, au printemps, la Maison du bois. «Pour nous, la question de la durabilité est centrale, explique Jean-Claude Schuwey, chef du projet pour l’Association fribourgeoise des entreprises de menuiserie, ébénisterie, charpenterie et fabriques de meubles (AFMEC). Notre investissement est assez important. On espère que ce traitement permettra d’augmenter la durée de vie des tavillons de quinze à vingt ans.» Par rapport à une trentaine d’années en moyenne pour les tavillons naturels.
Favorable à l’autoclavage depuis les années 1980, le Vaudois Olivier Veuve défend également ce choix gruérien. «Le bois autoclavé dure deux fois plus longtemps et il résiste beaucoup mieux à la grêle, affirme le président de l’Association romande des tavillonneurs. En plus, il évite l’apparition de mousse ou de pourritures cubiques et il repousse les insectes qui s’attaquent au bois.»


La question de l’élimination
Le tavillon autoclavé serait-il la panacée pour les chalets d’alpage? «Non! répond Patrick Rudaz, conservateur du Musée de Charmey, qui accueille actuellement une exposition de photos sur les tavillons. J’éprouve une gêne par rapport à ce produit dont l’évacuation demandera beaucoup de précautions. Le tavillon traditionnel est un matériau naturel dont l’élimination est naturelle.»
Sa position est partagée par Vincent Gachet, tavillonneur à Cerniat. «Le jour où on démontera un toit en haute montagne, il faudra rassembler tous les déchets dans un filet et les transporter par hélicoptère, affirme le membre de la commission tavillon du Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut. De plus, ils coûtent 30 à 35 francs plus cher au mètre carré (180 fr. contre 150 fr. en moyenne, fourniture et pose). Et, si l’on s’écorche les doigts, j’ai l’impression que la blessure cicatrise moins bien.»
En outre, il évoque une menace sur l’avenir de la profession: «On se coupe un peu l’herbe sous les pieds: si les tavillons durent vingt ans de plus, restera-t-il assez de travail pour nos successeurs?»


 Autoclavés pas subventionnés
Dans le cas du chalet de Bataille, le Service des biens culturels a donné son feu vert à l’utilisation de tavillons autoclavés. En revanche, il ne les a pas subventionnés, la différence étant à la charge de l’AFMEC. «Lorsqu’un chalet classé se situe en basse altitude, qu’il se trouve à l’ombre ou qu’il subit des périodes de gel et de dégel consécutifs, nous entrons parfois en matière pour les autoriser, explique Vincent Steingruber, responsable des chalets d’alpage aux Biens culturels. Ce n’est pas dans la tradition, mais il vaut la peine de tester ce procédé s’il étend la durée de vie.»
Autre différence de taille: la ventilation. «Dans un chalet, on ouvre souvent les deux portes pour le bétail. Après la pluie, les tavillons sèchent ainsi très rapidement, explique Vincent Gachet. Dans le cas d’un chalet isolé et muni d’une sous-couverture, comme à
Bataille, l’autoclavé peut effectivement entrer en considération.»
Tavillonneur à Vaulruz, Lucien Carrel adopte une position médiane. «Il ne faut pas généraliser leur utilisation. Mais, dans certains cas, leur emploi se justifie tout à fait.»
Finalement, un seul point semble mettre d’accord tous les protagonistes: il ne faut pas récupérer l’eau d’un toit en tavillons autoclavés. «Avant de couvrir un toit, on trempe les paquets de tavillons dans des bacs d’eau, explique Vincent Gachet. Cette eau se charge de sulfate de cuivre et, lorsqu’on vide le bac, elle retourne dans les sols, ce qui n’est pas très écologique.»


Traitement par nanoparticules
Les progrès de la chimie permettront peut-être d’améliorer l’impact de ce traitement chimique sur la nature. A l’image de l’Institut Adolphe Merkle, de l’Université de Fribourg, qui, lors de ses récentes portes ouvertes, a montré l’état de ses recherches sur des traitements du bois à l’aide de nanoparticules. Peut-être la solution d’avenir?

 

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Le bois autoclavé en quelques mots
Le traitement par autoclave est connu depuis 1857. Il consiste à placer le bois dans une chambre sous vide et à injecter sous pression un produit d’imprégnation, en général composé de sulfate de cuivre, d’acide borique et de bichromate de sodium. Dans une fiche datée de 2013, Lignum précise le cadre de son utilisation: «Le bois autoclavé a une durée de vie trois à cinq fois supérieure à celle d’un bois résineux non traité. Dès que le produit est fixé (après 3 à 6 semaines), il ne présente aucun danger, bien que son contact avec des aliments ou du fourrage soit à éviter.» Considéré comme un «déchet de bois problématique», il doit être brûlé dans des centrales d’incinération adéquates. CD

 

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En chemin vers un brevet fédéral
formation. D’ici à 2017 au plus tôt, l’apprentissage du métier de tavillonneur pourra être sanctionné par un brevet fédéral. En discussion depuis une quinzaine d’années – la mise en place d’un CFC a échoué à cause du petit nombre de candidats – cette formation professionnelle supérieure est ouverte aux ouvriers formés dans les métiers du toit (charpentier, couvreur, ferblantier, menuisier).
«Les temps changent. Aujourd’hui, si nous voulons attirer des jeunes vers ce métier, nous devons proposer une formation qui aboutisse sur un papier, explique Lucien Carrel, tavillonneur à Vaulruz. Avec les membres de l’Association romande des tavillonneurs, nous nous sommes mis autour d’une table et nous avons posé les choses par écrit. Nous travaillons pour l’avenir. Il est important de partager nos techniques et nos savoir-faire dans le but de faire progresser le métier.»
Des cours donnés à Bulle en janvier
La formation se déroulera sous la forme de divers modules, à commencer par un cours de perfectionnement au bûcheronnage, donné ce mois aux quatre Fribourgeois inscrits. En janvier, ils participeront à deux semaines de formation sur la fabrication proprement dite des tavillons, à l’Ecole professionnelle, artisanale et commerciale de Bulle (EPAC). Plus tard, des cours sur l’organisation des chantiers et la pose elle-même seront également dispensés. En revanche, la couverture des bornes ne sera pas enseignée au cours de ces modules et restera l’apanage des maîtres tavillonneurs, qui transmettront chacun leurs secrets à leur successeur.
«Pour cette première phase, nous bénéficions d’un soutien d’Interreg, une initiative européenne qui vise notamment à promouvoir la transmission des savoir-faire traditionnels du bâtiment», explique Roland Schmutz, ancien directeur de l’EPAC, qui suit le projet depuis quelques années.
«Avec cette session pilote, nous sommes en plein dans la procédure de reconnaissance par le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation», explique Stéphane Rolle, directeur du Centre de perfectionnement interprofessionnel à Granges-Paccot. En principe, la formation durera entre trois et quatre ans. Chaque module fera l’objet d’un examen, qui devra être réussi pour passer au suivant.»
Les membres de l’Association romande des tavillonneurs sont signataires de la charte qui codifie leur savoir-faire et assure la sauvegarde de ce patrimoine immatériel reconnu par les cantons de Fribourg et Vaud. Le brevet fédéral viendrait ainsi renforcer la transmission de cette technique. CD

 

 

 

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