La ludothèque de la Gruyère menacée de se trouver hors-jeu

| jeu, 15. Jan. 2015
Depuis le début de l’année, la Ludothèque de la Gruyère est fermée le lundi. Ses prêts chutent, malgré l’augmentation de clients potentiels. Les bénévoles se font de plus en plus rares.

PAR FRANCOIS PHARISA

«Nous sommes contraints de fermer le lundi. Il ne sert à rien d’ouvrir pour une petite dizaine de clients seulement.» Chantal Pasche, présidente et membre de la Ludothèque de la Gruyère depuis trente ans, a pris cette décision à regret, de concert avec ses collègues. Depuis le 7 janvier, la Trappe à jeux, dont les locaux se situent au rez inférieur du bâtiment sud de l’école primaire de la Condémine, à Bulle, n’est plus ouverte que les mercredis et vendredis après-midi, entre 14 h 30 et 17 h 30. La chute générale des prêts de jeux et de jouets a motivé ce choix.
En cinq ans, ceux-ci ont en effet diminué de près de moi-tié, passant de 6066 en 2009, à 3277 en 2014. A ce rythme, l’existence même de la ludothèque, vieille d’un quart de siècle, est menacée. Pourtant, à la faveur de l’afflux démographique du chef-lieu gruérien, les prêts auraient dû prendre l’ascenseur. Or, il n’en est rien.
Leur total surpasse maintenant à peine celui de la Ludothèque de la Glâne, qui a atteint 3147 l’année dernière. La Chouette, à Romont, résiste mieux à la conjoncture, sans pour autant empêcher un certain déclin (700 prêts en moins en cinq ans). Avec une augmentation de presque 600 locations entre 2010 et 2014, la Ludothèque de Châtel-Saint-Denis, la Trottinette, parvient à tirer son épingle du jeu, profitant notamment d’une marge de progression importante (1169 prêts ont été réalisés en 2014). Le cas fait toutefois figure d’exception, y compris à l’échelle nationale.
Les enfants dédaigneraient-ils les petites voitures et les poupées? Les adultes attablés autour d’un plateau de jeu seraient-ils devenus des marginaux ringards? Il y a peut-être un peu de ça, mais à voir le tableau bariolé que forme l’amas de paquets cadeaux sous le sapin de Noël, renfermant une kyrielle de jeux et de jouets, et les réactions hystériques des enfants en les découvrant, on se dit que les raisons de la baisse des locations dans les ludothèques sont à chercher ailleurs.


Consoles interdites
Parmi elles, figure en bonne place la présence grandissante des jeux vidéo, tablettes et téléphones portables, qui tendent à se substituer de plus en plus vite aux jouets traditionnels. «Face à cette tendance, nous essayons d’étoffer notre gamme de jeux électroniques, explique Chantal Pasche. Mais l’évolution constante et toujours plus rapide de ces produits rend impossible une adaptation continuelle, ne serait-ce que d’un point de vue financier.»
En outre, les consoles vidéo PlayStation sont interdites à la location depuis 2006, à la suite d’une décision de la Swiss Interactive Entertainment Association. «Celle-ci nous a fortement pénalisés. Les préadolescents ont déserté la ludothèque.»


Acheter plutôt que louer
Autre facteur explicatif: l’augmentation du temps de travail des mères de famille, qui accompagnent le plus souvent les enfants dans les ludothèques. «Toute location nécessite un certain temps, explique la Morlonaise de 60 ans. Il faut se déplacer deux fois à la ludothèque, afin d’emprunter, puis de rapporter le jeu, et il faut prendre garde à ne pas perdre de pièces. Cela engendre un petit stress supplémentaire.» Dès lors, beaucoup préfèrent simplement acheter le jeu. D’autant plus que les enfants n’acceptent pas facilement de devoir rendre un jouet emprunté.
«Les travaux des nouveaux bâtiments de l’école primaire n’ont pas aidé non plus, ajoute la responsable. Le chantier rendait l’accès à la ludothèque difficile. Nous avons perdu énormément de clients, que nous ne parvenons pas à faire revenir.»


Mille jeux disponibles
Face à une demande qui s’érode, les ludothécaires, tous bénévoles, redoublent d’efforts et d’inventivité. L’assortiment de plus de 1000 jeux et jouets proposé par la ludothèque subit régulièrement un lifting. En moyenne, 3000 francs sont investis chaque année en achats de jeux.
«L’exiguïté des locaux actuels ne nous permet toutefois pas de mettre à disposition un espace où les enfants pourraient se retrouver et essayer les différents jeux», regrette Chantal Pasche, qui avoue nourrir l’espoir d’un déménagement futur, éventuellement dans le bâtiment de l’ancien Institut Sainte-Croix. Un déménagement qui pourrait redonner à la Ludothèque de la Gruyère une seconde jeunesse.

 

---------------------

 

«On joue autant qu’avant»
«En Suisse, le nombre de ludothèques fermant leurs portes est supérieur à celles qui ouvrent.» Ce constat, dressé par l’Association suisse des ludothèques (ASL) dans un rapport paru en 2012, ne laisse planer aucun doute. Partout dans le pays, les établissements voués à la location de jeux et de jouets sont confrontés à une conjoncture défavorable. Depuis dix ans, leur nombre a diminué de 22 unités. Ils sont actuellement un peu moins de 380.
La problématique suit les mêmes con-tours que dans le sud du canton: une chute des prêts alliée à une crise du bénévolat. «Les ludothèques sont à la croisée des chemins, reconnaît Daniela Lannez, responsable de la Suisse romande auprès de l’ASL. Les premières ludothèques ont vu le jour il y a quarante ans en Suisse, ouvertes par des mères de famille. Cette génération de fondatrices se retire et il faut renouveler les équipes.»
Une tâche ardue. Les personnes désireuses d’offrir une partie de leur temps libre, pour des missions de plus ou moins longue durée, ne se pressent pas au portillon. Et c’est d’autant plus vrai pour les personnes âgées de vingt à quarante ans. L’affirmation se vérifie bien au-delà de ce contexte. En outre, les hommes rechignent souvent à franchir les portes des ludothèques.
Quant à la baisse continue des prêts, Daniela Lannez pointe du doigt les habitudes des consommateurs, plutôt que leur comportement face au jeu. «Les gens jouent toujours autant qu’auparavant. Le marché du jeu est d’ailleurs en pleine expansion. Plusieurs centaines de nouveautés l’inondent chaque année. Seulement, dans la société surconsumériste actuelle, les clients sont habitués au tout, tout de suite, et sont de plus en plus exigeants.»
Malgré une vingtaine de fermetures pendant la décennie écoulée, la Suisse demeure, à en croire le site internet de l’ASL, «le pays qui compte le plus de ludothèques proportionnellement à son nombre d’habitants». FP

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses