A La Civette, la troisième génération reprend le flambeau

| mar, 28. avr. 2015
Carole Remy, Jean-Paul Glasson, Yves Geinoz et Huguette Geinoz
Tandis que la ville grandit et se transforme, le magasin de l’avenue de la Gare semble immuable. Au tour des petits-enfants d’y travailler. Charles et Germaine Glasson avaient remis autrefois les clefs à Jean-Paul, Huguette et Nicolas, qui les confient aujourd’hui à Yves et Carole.


Par Yann Guerchanik
Un pied A La Civette et l’on se trouve projeté ailleurs. Le regard tourbillonne, il s’accroche aux mille et un objets qui recouvrent les murs de cette caverne du tabac. On n’est bientôt plus très sûr du temps qu’il fait dehors. Ici, le temps s’est arrêté.
Derrière le comptoir sans âge, Yves Geinoz n’a que 37 ans. L’heure est au passage de flambeau au magasin de l’avenue de la Gare. Avec sa sœur Carole Remy, il remplace petit à petit sa mère Huguette et ses deux oncles Nicolas et Jean- Paul Glasson.
«Il ne reste qu’à se rendre chez le notaire», résume ce dernier. La Civette est ouverte septante-huit heures par semaine, Jean-Paul avait coutume d’en accomplir soixante, il en fait désormais une trentaine. «Je travaille encore, mais j’arrive à disparaître», glisse-t-il en souriant. A 66 ans, l’ancien syndic et conseiller national a définitivement largué les amarres des conseils et des commissions. «Encore juge au Tribunal de temps en temps et membre seulement du comité de l’Association des amis de Notre-Dame de Compassion.»

Une histoire de famille
Au magasin aussi, le temps était venu de ralentir la cadence. Il pense alors à son neveu et à sa nièce. La Civette est inscrite dans l’ADN de la famille. Ou plutôt les Civette. Celle que son grand-père Eugène avait achetée pour son père Charles se situait près du Tonnelier. «Dans ses souvenirs, mon père m’en parlait comme de La Civette d’en bas.»
Le père de Jean-Paul avait appris le métier de quincaillier quand il aurait voulu devenir cuisinier. «Mon grand-père avait les moyens de lui racheter un hôtel, mais pas de lui trouver une place d’apprentissage. L’embauche était difficile, même pour le fils d’un petit notable bourgeois de Bulle.»
En 1948, Charles et Germaine Glasson ouvriront le commerce de tabac près de La Potinière. Ils travailleront en parallèle au cinéma Lux (Ebullition aujour-­d’hui), exactement comme le feront Jean-Paul et Huguette. «En plus du tabac, ils souhaitaient vendre les journaux, mais les distributeurs pensaient qu’entre la gare et L’Etoile d’Orient cela faisait trop.» Et Huguette de poursuivre: «Alors ils ont pris des souvenirs, des farces et attrapes, des cartes…»
Les souvenirs se jouent à quatre mains et Jean-Paul enchaîne: «Mais pour distribuer directement via l’industrie du tabac, ils ont dû se débarrasser des articles annexes.» Les étagères se garnissent alors d’une panoplie spécifique: services à fumeur avec son pot à cigares, son pot à cigarettes et son support à allumettes, des cendriers de toutes sortes, des briquets de table et autres porte-pipes et lampes Berger.
Aujourd’hui, des bidons de tabac à rouler ont remplacé plus d’une boîte de cigares, mais il reste encore des articles à profusion. Tandis que sa sœur Carole s’occupe de la comptabilité et du secrétariat, Yves Geinoz s’est installé derrière le comptoir: «Il y a déjà un moment que j’y suis, mais je découvre encore de nouveaux produits!» Les fumeurs bullois le savent depuis des lustres: rien ne sert de chercher ailleurs si cela ne se trouve pas A La Civette.
A présent, il y a quelques journaux – «pour rendre services à certains clients» – mais surtout des jeux de loterie en tout genre. «Un phénomène important, confie Jean-Paul Glasson. Mais on vend encore beaucoup de cigarettes.» Il faut dire que La Civette fait valoir un argument irrésistible: un paquet offert à l’achat de chaque cartouche. «Ce qui en fait les cigarettes les moins chères du bled!»

Question de caractère
Le magasin a toujours su renouveler sa marchandise. Il fut un temps où l’on y réservait même les places pour le cinéma Lux et pour les spectacles de l’Hôtel de Ville. «Notre mère nous a simplement conseillé de ne pas changer le mobilier, confie Huguette Geinoz. Parce qu’il donne au lieu son caractère. Prenez les pharmacies: aujourd’hui, elles se ressemblent toutes.»
«Même qu’on reçoit davantage de monde qu’auparavant», relève pour sa part Jean-Paul Glasson. A cause de la démographie, mais aussi parce qu’on a su vendre les nouveautés. L’affaire continue de rouler, quand bien même les marges se rétrécissent.»
N’empêche qu’il a fallu passer par l’interdiction de fumer dans les lieux publics. «Un coup dur pendant quelque temps.» Et une évolution qui laisse Jean-Paul Glasson songeur: «Depuis cinquante ans, les choses se sont inversées. A l’époque où j’étais adolescent, on n’était pas surpris de voir débarquer les policiers au cinéma pour contrôler les âges… Mais personne n’aurait jamais imaginé qu’on puisse interdire la fumée.»

Le contact humain
La Civette est sans doute l’un des magasins bullois où se presse la clientèle la plus variée: des habitués, des touristes, des anciens, beaucoup de jeunes, des orgueilleux, des fantômes, des précieux et pas mal de cabossés de la vie.
Tout le monde y est reçu de la même façon. Yves Geinoz aime ce contact avec les gens. Ancien éducateur, il a toujours fréquenté le magasin sans savoir qu’il tiendrait un jour la boutique. Gamin, on le surnommait «le fils de La Civette». Une troisième génération à la barre? «C’était dans l’air, mais pas forcément inscrit dans les astres», résume Jean-Paul Glasson.
Et puis, au numéro 5 de l’avenue de la Gare, le vivre ensemble se pratique du rez-de-chaussée au galetas. Jean-Paul, Huguette et Nicolas habitent tous l’immeuble qui abrite le débit de tabac. Depuis quelques années, c’est aussi le cas d’Yves et Carole, avec leur famille respective. Si bien que personne ne sait vraiment: le magasin est-il le moteur de leur complicité? Ou est-ce leur connivence qui fait vivre La Civette?

 

L’élu qui avait pignon sur rue
«La Civette fut pendant longtemps une agora, mais pas mal de gens y venaient sans savoir que j’étais syndic. On m’a souvent dit qu’un commerçant ne doit jamais faire de politique sans quoi
il fait faillite. C’est de la rigolade! On peut naturellement perdre quelques clients, mais, globalement, il y a des gens qui vous apprécient et d’autres qui vous méprisent… il y a surtout une majorité de personnes à qui cela ne fait ni chaud ni froid.»
On n’en compte pas beaucoup des élus bullois, comme Jean-Paul Glasson, qui ont eu pignon sur rue. Syndic de 1994 à 2009,
il avait ainsi la possibilité de tisser des liens étroits avec les
citoyens. Cela lui valait aussi quelques enquiquineurs. L’ancien homme politique le confie volontiers: «Sur la fin, servir de truchement, être en prise directe avec les problèmes des uns et des autres m’était devenu pénible.»
Aujourd’hui, l’ancien homme politique continue de vivre sur la rue. «Les beaux jours, on sort le banc sur l’avenue.» Il ne reste au quidam qu’à s’arrêter pour saluer une mémoire de la ville. YG

Commentaires

Je viens du Valais Isérables pour être précise, et oui je viens à la Criblette, ou je suis fort bien reçue par cette sympathique famille. Et pour les machines à rouler les cigarettes, ils sont au top niveau déjà 5 machines achetées pour les Bedjuis. Car en Valais pas de choix aussi diversifiés. Alors bonne continuation à cette famille. Farine Yasmina VS

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