Par Karine allemann
Le combat du siècle l’est-il pour son enjeu sportif ou pour les 400 mio de gains qu’il va générer (lire ci-dessous)? Dans la nuit de samedi à dimanche, les deux meilleurs boxeurs du monde vont s’affronter sur le ring du MGM Grand, à Las Vegas, avec comme enjeu le titre de champion du monde des welters.
D’un côté, l’Américain Floyd Mayweather, champion du monde dans cinq catégories différentes, 47 combats et 47 victoires, dont 26 par k.-o. La belle gueule, le flambeur arrogant à la réputation sulfureuse, accusé plusieurs fois de violences domestiques. Floyd Mayweather est le sportif le mieux payé de la planète – quoi qu’il arrive, il touchera 150 mio pour ce combat – celui qui fait passer Cristiano Ronaldo pour un crève-la-faim.
Dans le coin opposé, Manny Pacquiao (64 combats pour 57 victoires, dont 38 par k.-o.), l’homme le plus adulé des Philippines, où il est aussi le plus grand contribuable. Désormais député, il s’est lancé dans la politique pour combattre la pauvreté. Le Philippin compte des titres de champion du monde dans six catégories différentes. Il en appelle à Dieu avant de monter sur le ring.
Trois spécialistes décryptent ce combat du siècle, The Fight, comme on l’a appelé aux Etats-Unis. L’ancien boxeur professionnel reconverti arbitre, Bertrand Bossel (Epagny), le boxeur glânois Michael Celeschi (Mézières) et la boxeuse du BC Bulle aux 50 combats Caroline Dousse (Albeuve).
En quoi est-ce le combat du siècle?
«Parce qu’il oppose les deux meilleurs boxeurs du monde, toutes catégories confondues», résume Bertrand Bossel. Comme les fans de boxe, Caroline Dousse attend ce combat depuis longtemps. «Ça fait depuis 2008 qu’il est repoussé, renégocié, repoussé… Cette fois on y est. Leurs palmarès sont juste hallucinants. Et pour les deux boxeurs, les enjeux sont énormes. Pacquiao veut être le premier à battre Mayweather. Et l’Américain a déjà annoncé qu’après celui-là il ferait encore un combat, pour égaler le record de Rocky Marciano, invaincu en 49 combats pros.»
Pour certains nostalgiques des Ali, Holyfield, Hagler ou Tyson, le terme «combat du siècle» est usurpé. «Ça ne sert à rien de comparer les différents “combats du siècle”, parce qu’ils n’ont rien à voir les uns avec les autres», coupe Michael Celeschi, amoureux de la boxe qu’il pratique et qu’il suit avec passion. «Si tu aimes ce sport, tu ne peux pas passer à côté. Ce sont deux boxeurs monstrueux. Ceux qui prétendent que “c’était mieux avant” font de la fausse propagande. La boxe d’aujourd’hui a atteint un niveau incroyable, notamment sur le plan physique.»
Le combat tiendra-t-il ses promesses?
Le Glânois craint toutefois un combat fermé. «Il y a énormément d’attentes. Peut-être un peu trop. Mayweather est tellement défensif, tellement fort quand il s’agit de casser les attaques adverses, que le combat risque d’être fermé. Et donc moins spectaculaire. L’enjeu peut avoir une influence sur le combat. Quand Ali a combattu Foreman (en 1974 à Kinshasa), il n’a pas boxé comme d’habitude. Il était très statique, il restait dans les cordes, alors que d’habitude il bougeait beaucoup. Mais on l’avait appelé le combat du siècle de par l’enjeu, le contexte et les difficultés à le mettre sur pied.»
Une chose est sûre: tous s’accordent sur le fait que l’événement offre une magnifique publicité à la boxe, souvent décriée pour ses combines entre fédérations. «La promotion autour de ce combat se fait à l’ancienne, apprécie Bertrand Bossel. Pour une fois, ce sont vraiment les deux boxeurs qui sont mis en avant. Pas les promoteurs.»
Caroline Dousse acquiesce: «Mayweather semble s’être assagi. C’est normal à 38 ans. Il n’a pas envoyé autant d’attaques personnelles qu’il le faisait parfois. Après, tout le protocole autour de la présentation du match, c’est du marketing. Même ce côté “à l’ancienne”. Rien n’est laissé au hasard.»
La défense sera-t-elle plus forte que l’attaque?
La confrontation de cette nuit proposera une incroyable opposition de styles. «Mayweather est le boxeur le plus défensif de tous les temps, rappelle Michael Celeschi. Il a pas mal de trucs pour pourrir les matches. C’est un runner. C’est-à-dire qu’il boxe en reculant. Il donne très peu de coups, et il en prend encore moins. Il a une garde vraiment hermétique. Sa façon de se défendre est spéciale. Il garde sa main gauche en bas, avec des esquives en essuie-glace. A chaque fois, il fait un retrait du buste et il revient avec une droite.»
Face à lui, Manny Pacquiao attaque à outrance. Une pile électrique sur le ring. «Contrairement à Mayweather, il travaille énormément par enchaînements de trois-quatre coups, poursuit le Glânois. Il est rapide et explosif, d’une énergie incroyable. Surtout, il arrive à trouver des angles d’attaque assez spéciaux, du fait qu’il est gaucher. Il attaque, il repart, il revient… C’est très spectaculaire.»
Le combat arrive-t-il cinq ans trop tard?
Pour tous les spécialistes de la planète, la réponse est oui. «Avec 38 ans pour Mayweather et 36 pour Pacquiao, ils ne sont plus tout à fait à leur apogée, regrette Bertrand Bossel. Lors de son dernier match, Mayweather a été un peu plus bousculé que d’habitude. Et puis, Pacquiao a été mis k.-o. il y a environ une année. Mais, depuis, il a enchaîné quatre ou cinq victoires. Il a l’air d’avoir retrouvé son top niveau. Malheureusement, les choses ont traîné parce que tout le monde voulait sa part de gâteau. Les fédérations, les promoteurs, sans oublier les chaînes de télévision.»
Et Bertrand Bossel d’émettre une réserve: «Avec de tels prix pour les billets, on est loin du sport populaire que devrait être la boxe. Surtout quand on voit qui s’entraîne dans les salles aux Etats-Unis. Pas sûr qu’ils seront tous assis autour du ring… Et les bourses que vont toucher les boxeurs, c’est quand même démesuré. Même l’arbitre va toucher 25000 dollars. Pour 36 minutes de boulot (12 x 3’), c’est largement suffisant…»
Qui va gagner?
La question vaut cher chez les bookmakers, qui donnent Mayweather gagnant. «Je donnerais l’Américain gagnant aussi, s’avance Bertrand Bossel. Le combat a lieu aux Etats-Unis, il n’a jamais perdu et il est un peu plus grand (1,73 m contre 1,69 pour Pacquiao), c’est un avantage.» Le cœur de Caroline Dousse penche du côté du Philippin. «Pacquiao est l’outsider, c’est toujours beau de voir un outsider gagner. Surtout, c’est un attaquant.»
Pour Michael Celeschi, il y a le cœur… et la raison. «Je vois assez Mayweather pourrir le combat, parce que ça va aller trop vite pour lui. Il a d’ailleurs dit qu’il trouvait toujours une combine pour s’en sortir. De plus, Pacquiao a un désavantage de poids et de puissance.» Si le Glânois devait parier 1000 francs? «J’aurais envie de les mettre sur Pacquiao, sourit-il. Mais, je parierais sur Mayweather. Il a quand même plus de chance de gagner.»
------------------------
Les chiffres de la démesure
Nous saurons dimanche matin si le combat du siècle en a été un sur le plan sportif. Une chose est sûre, les chiffres –
donnés en dollars – dépassent l’imagination la plus folle.
400 mio. Les recettes générées par le combat.
150 mio. La bourse qui reviendra à Mayweather. Pacquiao
a dû se contenter d’un chèque de 100 mio de dollars.
16800. Le nombre de places pour assister au combat
du siècle, au MGM Grand, à Las Vegas.
1500. La place la moins chère. Le prix monte jusqu’à 7500 dollars pour les meilleurs sièges.
150000. Le prix des places les plus chères proposées
au marché noir.
74 mio. Le chiffre d’affaires de la billetterie.
3000. Le nombre d’émeraudes sur la ceinture du vainqueur, estimée à un million de dollars.
99. Le prix à débourser en dollars pour acheter le match
sur une chaîne payante aux Etats-Unis.
25000. Le salaire de l’arbitre.
25000. Le prix du protège-dents fait sur mesure pour Mayweather. L’objet est en diamant, en or et en vrais billets de 100 dollars.
Ajouter un commentaire