L’analyse vidéo s’est rendue indispensable pour la progression tactique dans le hockey sur glace. Depuis plusieurs semaines, Fribourg-Gottéron utilise le Live Tagging, une fonction qui épargne au coach les heures de découpage après le match. Mathieu Maret et Benoît Pont évoquent le thème et ses évolutions.
Par Quentin Dousse
S’il évolue avec son temps, le hockey sur glace n’a pas échappé aux nouvelles technologies, et à leur développement fulgurant. A tel point que, aujourd’hui, les clubs professionnels ne peuvent simplement plus être surpris par la tactique de jeu de l’adversaire. La raison? Les analyses vidéo. Qui ne datent pas d’hier, évidemment. Mais les récentes années ont vu un décryptage devenu plus précis, plus individualisé également. On ne se contente plus d’épier l’équipe adverse, mais également chaque coup de patin de ses protégés pour leur progression personnelle.
Le courant provient tout droit d’Amérique du Nord, région où bon nombre des logiciels utilisés en Europe y sont développés. A Fribourg-Gottéron, on n’a évidemment pas manqué le virage. Les passages antérieurs des Canadiens Serge Pelletier et Hans Kossmann à la bande n’y sont pas étrangers. Sous l’ère Gerd Zenhäusern, le travail à la vidéo – découpage, visionnage, présentation – se fait désormais au moyen du logiciel américain Steva, la référence dans le milieu. «J’ai commencé à l’utiliser à Bienne, puis avec l’équipe nationale U20», indique l’entraîneur des Dragons. Cette saison, il a souhaité optimiser la pratique en profitant du Live Tagging. L’objectif? S’épargner le découpage des séquences après la rencontre, qui engendre «deux à trois heures de travail».
250 clips par match
Traduit littéralement par «marquage en direct», le procédé du Live Tagging vise à réaliser le travail de découpage en direct. En clair, sur un ordinateur relié aux images TV, une personne pose des marqueurs à chaque fait de jeu via des raccourcis clavier. Engagement en zone offensive, forechecking ou encore présence d’un joueur: les critères sont infinis et surtout paramétrables. «Du moment où le marqueur est posé, le logiciel crée un clip vidéo englobant les cinq secondes précédant l’action et les quinze secondes suivantes», explique André Neuhaus, statisticien de Fribourg-Gottéron et également «expérimentateur» fribourgeois. Le match terminé, chaque séquence – pouvant se chiffrer à près de 250 par match – est classifiée et peut être rassemblée en un clic par l’entraîneur.
A la BCF-Arena, le premier essai de Live Tagging s’est effectué lors de la victoire face à Davos, le 16 octobre dernier. Le Marlinois André Neuhaus s’est alors mué en coach vidéo. «Gerd Zenhäusern m’a demandé de relever huit séquences de jeu, comme les engagements en zone neutre et en zone offensive. Au début, ce n’était pas facile. Mais Gerd était satisfait et nous rééditons l’expérience à chaque match à domicile», explique André Neuhaus.
Analyse plus précise
Si le système est déjà utilisé depuis plusieurs années en équipe de Suisse, les clubs de LNA ont commencé à l’adopter ces dernières saisons, Davos et Rapperswil servant de pionniers. Gerd Zenhäusern en est totalement convaincu. «On atteint plus de précision et de finesse dans l’analyse, précise le Haut-Valaisan. De manière générale, la vidéo est indispensable pour la progression tactique, qu’elle soit collective ou individuelle. Les gars se voient jouer, c’est crucial pour leur développement.»
Le club fribourgeois a d’ailleurs étendu l’usage du logiciel Steva à ses classes juniors, jusqu’aux Minis. «Chez les juniors, les coaches s’en servent pour découper et archiver les images après le match uniquement», précise Raphaël Berger, directeur général des Dragons. Le coût de la licence, lui, reste somme toute modeste au vu des bienfaits tactiques: 2000 francs la première année, puis 900 francs pour le renouvellement. «Avec une concurrence toujours plus accrue en LNA, la progression se fait au prix de ce genre de réglages fins», conclut Raphaël Berger.
---------------------
Mathieu Maret: «La vidéo nous met en confiance»
Cultes de la plupart des entraîneurs, les analyses vidéo sont généralement bien perçues du côté des joueurs. A l’instar du défenseur des Dragons Mathieu Maret, débarqué cet été en provenance de Red Ice Martigny. «En LNB, nous n’avions qu’une seule séance vidéo, le jour du match. Tandis qu’à Fribourg nous nous réunissons plusieurs fois dans la semaine», distingue le Valaisan de 23 ans. Collectives, ces mises au point tactiques se font également individuellement pour les défenseurs, plusieurs fois par mois. «Chacune de nos présences est disséquée par Kari Martikainen, le coach assistant. Il corrige nos positions et cela nous permet réellement de progresser. En général, les analyses sont positives et elles nous mettent en confiance.»
Le numéro 52 des Dragons essaie également d’opérer un lien entre la théorie dispensée
sur les images et son comportement sur la glace. «En match, dans certaines situations de jeu, je me ressasse certaines critiques vidéo. Même si cela se joue sur quelques fractions de seconde. A l’inverse parfois, je réalise à la vidéo certains aspects desquels je ne m’étais pas rendu compte lorsque le coach me corrigeait durant la rencontre.»
--------------------
Un travail à la vidéo en constante évolution
Ancien défenseur de Langnau et d’Ambri-Piotta (plus de 500 matches de LNA), Benoît Pont coiffe aujourd’hui plusieurs casquettes dans le monde du hockey sur glace. Instructeur des coaches à la fédération suisse, ce quadragénaire valaisan s’occupe aussi de la formation des entraîneurs en Suisse romande.
Auparavant, Benoît Pont a également participé à quatre championnats du monde ainsi qu’aux jeux Olympiques de Sotchi, en 2014. Non pas comme joueur, mais en tant que coach vidéo. «Pendant les tournois, ma tâche était double: j’analysais autant les adversaires et leur système de jeu que l’équipe de Suisse», explique-t-il. Comme joueur, Benoît Pont se souvient des séances vidéo sous l’égide du Canadien Larry Huras. «J’adorais. Avec compétence et humour, il ressortait du positif à 90%.» Acteur et utilisateur de l’outil, il ne peut imaginer une équipe professionnelle s’en passer aujourd’hui. «Le hockey est un jeu d’informations. Plus un entraîneur en possède, plus son équipe sera performante sur la glace. Ces analyses à l’écran permettent d’ajuster et de corriger le système de jeu. Et les images parlent d’elles-mêmes, le joueur ne peut pas dire “oui, mais”.»
«On me prenait pour un fou»
Le Valaisan n’hésite pas à comparer l’évolution du travail à la vidéo à celle des téléphones portables. «Il y a cinq ans, on me prenait pour un fou quand j’en parlais. Et maintenant, tout le monde s’y est mis. Il y a eu une prise de conscience au sein des clubs, même si ces derniers pourraient encore davantage développer ce secteur.» Le HC Lugano a d’ailleurs montré la voie en engageant cet été un coach vidéo à 50%. Comme il en existe bon nombre en Amérique du Nord. «Pour Fribourg-Gottéron, ce serait le rêve», glisse Gerd Zenhäusern.
Ajouter un commentaire