La fusion entre Bulle et La Tour-de-Trême est entrée en vigueur le 1er janvier 2006. Jean-Paul Glasson en était le premier syndic, Yves Menoud le premier vice-syndic. Tous deux se replongent dix ans en arrière. Bien digérée aujourd’hui, l’union ne s’est pas faite sans surmonter de vieux antagonismes.
PAR YANN GUERCHANIK
L’idée d’une fusion entre Bulle et La Tour-de-Trême était dans l’air depuis les années 1970. Evidente pour certains, encore impensable pour d’autres. En 1999, le Parti social-démocrate, aujourd’hui disparu, demande à chacun des Exécutifs d’étudier «toutes les possibilités d’améliorer les collaborations» entre les deux communes. Le train est lancé.
Bulle, nouvelle commune fusionnée, verra effectivement le jour le 1er janvier 2006. A la tête le l’ancien Conseil communal bullois, Jean-Paul Glasson en prendra la syndicature, tandis qu’Yves Menoud passe de syndic de La Tour-de-Trême à vice-syndic de la nouvelle entité. Dix ans après, les deux hommes se rappellent le chemin parcouru.
«Cette fusion arrivait au bon moment: presque tous les dossiers nécessitaient une rencontre entre les deux autorités», explique Yves Menoud, qui achève aujourd’hui son dernier mandat en tant que syndic de Bulle.
Pour Jean-Paul Glasson, qui lui a transmis les rênes en 2009, les choses se sont faites d’elles-mêmes: «On se retrouvait avec un fourmillement de liens. On devait avancer ensemble, tant et si bien que les antagonismes se sont mis à tomber. Entre les Exécutifs du moins…»
Antagonismes: le mot est lâché. La fusion semble couler aujourd’hui des jours paisibles, à l’image de la Trême qui ne sépare plus les uns des autres. Mais le rapprochement n’a pas toujours été vu d’un bon œil. C’est le moins que l’on puisse dire. Les vieux démons identitaires avaient la dent dure.
Surmonter les craintes
Yves Menoud a grandi à Bulle, avant de s’installer à La Tour-de-Trême et d’y entamer sa carrière politique. Enfant, il se rappelle d’une époque qui avait tout de La guerre des boutons. «Les jeudis étaient occupés à affronter les gamins d’en face. On se tirait des cailloux à travers La Trême. On se donnait rendez-vous au bois des Cibles, du côté des Agges… c’était les grandes bagarres.»
Une discorde qui vient de loin, selon Jean-Paul Glasson. «J’ai toujours pensé que le contexte historique – qui a voulu que Bulle ne fasse pas partie du Comté de Gruyère – avait contribué à sa réputation d’orgueilleuse qu’il fallait évi-ter. Jadis, passer la Trême pouvait s’avérer dangereux! Il en est resté quelque chose pendant longtemps.»
Jean-Paul Glasson avoue volontiers qu’en entrant à l’Exécutif de Bulle en 1989, les tensions existaient encore avec le voisin tourain. Un état réciproque. «En arrivant au Conseil communal de La Tour, se souvient Yves Menoud, la premiè-re consigne était de ne pas se laisser faire par Bulle qui voulait imposer son diktat.»
Bataille du côté tourain
Au bout du compte, les Conseils généraux de Bulle et de La Tour-de-Trême, réunis séparément, acceptent la convention de fusion le 26 avril 2004. Les Bullois sont unanimes, tandis que les Tourains approuvent par 38 voix contre 10 et une abstention.
Une confrontation classique entre petites et grandes communes. «A Bulle, la fusion apparaissait acquise d’emblée», convient Jean-Paul Glasson. De son côté, Yves Menoud se souvient qu’à La Tour, «il a fallu batailler».
Pour la petite histoire, au moment où la fusion se précisait, Le Pâquier avait approché les deux communes en vue d’un ménage à trois. «Je m’y étais fermement opposé, explique Yves Menoud. Je reste persuadé qu’une telle fusion aurait alors échoué du côté tourain: un rapprochement avec Le Pâquier aurait été privilégié au détriment de Bulle.»
Malgré tout, le mariage avec Bulle n’est pas encore entériné. Un comité tourain demande un référendum et les citoyens de la commune sont appelés aux urnes le 26 septembre 2004. La fusion est finalement acceptée à 56,3%, avec un taux de participation de 71,4%. «La campagne s’était révélée très émotionnelle, confie Yves Menoud. Je me rappelle notamment d’un slogan qui disait: “Si t’es pas Tourain, t’es rien!”»
Bon sens et pragmatisme
Entre l’acceptation de 2004 et l’entrée en vigueur de 2006, les deux communes ont le temps de s’appréhender en douceur. Chaque proposition devait être validée par les deux parties, ce qui renforça le sentiment d’être mis sur un pied d’égalité. «Jamais Bulle ne s’est comportée comme la grande vis-à-vis de la petite», se félicite Yves Menoud.
En ressassant les souvenirs, Jean-Paul Glasson et Yves Menoud mettent en avant les dossiers communs qui ont déterminé la fusion. A commencer par la route de contournement, le CO de La Tour et sa salle de spectacle CO2. Durant la législature 1996-2001, il faut dire aussi que La Tour-de-Trême était parvenue à redresser ses finances. On évita ainsi de buter sur l’écueil financier.
Le rapprochement des deux communes découla ainsi d’un certain pragmatisme. «Une fusion, ce n’est jamais plus de 2% d’économies par année sur le fonctionnement, commente Yves Menoud. En revanche, les prestations sont grandement améliorées.» Les subventions aux sociétés ont notamment été augmentées et les infrastructures ont pu profiter plusefficacement aux uns comme aux autres.
Parfaitement digérée
Sur le plan économique, la fusion a été très bénéfique, Yves Menoud et Jean-Paul Glasson en sont convaincus. Selon eux, il ne fait aucun doute que cela a favorisé le fort développement de Bulle. «De toute façon, relève Yves Menoud, on ne saura jamais ce que seraient devenues les deux communes sans cela.» Comme dans la vie: on n’écrit pas d’abord le brouillon de son existence.
Quoi qu’il en soit, la fusion semble parfaitement digérée aujourd’hui. En 2011, un sondage de l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) avait d’ailleurs montré que 80% des Bullois et 68% des Tourains voteraient oui si c’était à refaire.
Preuve supplémentaire: les citoyens semblent autrement plus préoccupés par la croissance et l’aménagement de leur commune, sans pour autant se demander si le mal souffle du côté de Bulle ou de La Tour-de-Trême.
-------------------------
A l’heure de la commune unique
«La fusion entre Bulle et La Tour-de-Trême n’était pas nécessaire. Elle s’est faite par la force des choses», relève aujourd’hui le syndic Yves Menoud. De fait, elle a très vite servi d’exemple pour le canton qui envisageait jusqu’alors davantage des fusions entre petites communes. Pour Yves Menoud, il est clair que le pouvoir de Bulle – et plus largement celui de la Gruyère – s’en est trouvé renforcé.
«C’était observé comme quelque chose de novateur, confie le syndic. La nouvelle commune a bénéficié ainsi d’un certain rayonnement, tout en devenant un pôle d’influence.» Jean-Paul Glasson confirme: «On a mieux pu faire valoir nos spécificités aux autorités fribourgeoises.» Alors conseiller national, il se rappelle aussi qu’à Berne, ses collègues se montraient très curieux de ce développement.
A l’heure où l’on se met à parler d’une commune unique en Gruyère, Yves Menoud voit en quelque sorte l’histoire se répéter. «On en était arrivé à un stade où rien ne se faisait sans que La Tour doive s’adresser à Bulle, et inversement. On vit la même situation à présent à l’échelle du district.»
Et le syndic de conclure: «De plus en plus de choses se décident au sein des nombreuses associations intercommunales. Si on veut redonner à l’autorité communale un véritable caractère décisionnel, il faut supprimer ces associations. La seule façon de le faire est de fusionner. On ne doit pas avoir peur d’être à nouveau innovant.» YG
-----------------------
Les mentalités changent
Récemment, une lectrice déplorait dans nos colonnes une différence de traitement entre Bulle et La Tour-de-Trême en matière d’illuminations de Noël. «J’ai été assez surpris de revoir apparaître ce genre de réflexions», confie le syndic Yves Menoud. C’est que les doléances s’expriment plus volontiers aux premiers temps d’une fusion.
Comme en 2004, lorsque les deux Conseils généraux votaient sur la fusion. Pour l’occasion, les drapeaux de Bulle et de La Tour-de-Trême avaient été installés côte à côte sur la place Chenaux. Une religieuse, farouchement opposée à la fusion, s’en plaignait à qui voulait bien l’entendre. On finit par lui répondre que Bulle accueillait pourtant comme il se doit La Tour, en faisant l’effort, déjà, de faire apparaître bien haut son drapeau. Aussi sec, la religieuse rétorqua: «Avez-vous seulement vu ce que le drapeau de Bulle fait voir à celui de la Tour-de-Trême? Ce n’est pas la tête du taureau, ce sont ses fesses!»
Autre anecdote: une présidente de société de gymnastique pour aînés, mettant sur le compte de la fusion un changement dont elle venait de souffrir. «Depuis quarante ans, j’avais les clés de la halle de gym, fulminait-elle. Mais depuis la fusion, on ne nous fait plus confiance… c’est un Securitas qui vient ouvrir et fermer la porte!» YG
Commentaires
Gerald Oberson (non vérifié)
jeu, 31 déc. 2015
Dominique (non vérifié)
lun, 04 Jan. 2016
Josette Rime (non vérifié)
jeu, 31 déc. 2015
Ajouter un commentaire