La cabine à -190°C, ils adorent

| sam, 05. nov. 2016
Le coureur à pied David Girardet est adepte du cryosauna

Nouvelle mode chez les athlètes: la cryothérapie. En trois minutes par -190°C, ces cabines sont censées améliorer la récupération. Face à l’essor de cette pratique venue du froid – l’ancien bloc de l’Est – le monde scientifique attend encore des confirmations précises. Une entreprise veut développer la cryothé­rapie à Fribourg, Bulle et Romont.

Par Karine Allemann

Il est loin le temps où on sortait un sachet de petits pois du congélateur pour le poser sur une cheville ou un genou endoloris par un long entraînement. Le high-tech est devenu obligatoire à tous les niveaux et il y a peu de public cible aussi accro aux nouveautés que les sportifs. En 2016, la mode est aux cabines cryogéniques dans lesquelles on se plonge pendant trois minutes à -120°C, voire -190°C. Le but? Faciliter la récupération et diminuer les œdèmes créés par de grosses charges d’entraînement. Les athlètes qui ont testé adorent. Des cabines étaient d’ailleurs à leur disposition lors des jeux Olympiques de Rio.

La question est de savoir si elles fonctionnent et à quels effets positifs – et négatifs? – peuvent s’attendre les athlètes qui s’y précipitent. On l’a posée à deux médecins du sport: le chirurgien orthopédique Daniel Pétek, spécialiste du genou et membre de l’Unité sport et mouvement de l’HFR Fribourg, et le docteur Grégoire Schrago, chargé de cours à l’Université de Fribourg, spécialiste en médecine interne à l’Hôpital Daler et délégué suisse au bureau de la Commission internationale médicophysiologique de la Fédération aéronautique internationale.

D’où viennent ces cabines?
«Elles ont été développées il y a une quarantaine d’années au Japon et sont apparues en Europe environ vingt ans plus tard, explique Daniel Pétek. Elles étaient censées traiter les maladies chroniques comme les rhumatismes inflammatoires ou les scléroses. Le but était de diminuer la fatigue chez les personnes affaiblies par ces maladies.»

La cryothérapie s’est rapidement imposée dans le milieu sportif. «Au début, en médecine du sport, il s’agissait de traiter les blessures, on ne parlait pas encore de récupération, note Grégoire Schrago. Puis, dans les années 1980, les pays du bloc de l’Est ainsi que l’Allemagne l’ont très vite développée dans cette nouvelle orientation. Les Français, surtout, s’y intéressent depuis cinq à dix ans. D’abord dans le football, et dé­sormais à l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance). Le printemps dernier, un de leurs chercheurs nous a présenté des conclusions très intéressantes lors d’un congrès.»

Deux types de cabines existent. La chambre cryogénique, «la Rolls en la matière», pour Grégoire Schrago, composée d’une antichambre à -50°C à -70°C en froid sec, puis d’une deuxième chambre allant de -110°C à -160°C. Les athlètes sont en sous-vêtements et portent des chaussons, des gants et un masque pour protéger leurs voies respiratoires. Comme ce dispositif est assez lourd et très onéreux, il existe aussi le cryosauna, dont la température peut descendre jus­qu’à -190°C, dans lequel les sportifs ont la tête et éventuellement les bras à l’air libre.

Quels effets concrets sur le corps?
Pour en comprendre le fonctionnement, Daniel Pétek rappel les effets d’un entraînement intensif. «L’idée est de traiter les lésions musculaires liées à l’exercice et responsables des courbatures, qui apparaissent environ vingt-quatre heures après un effort violent ou inhabituel. Ces douleurs disparaissent spontanément après cinq à sept jours. Mais l’objectif et de les faire diminuer plus rapidement. On peut donc comparer la cryothérapie à d’autres types de protocoles comme les massages, les anti-inflammatoires, un simple retour au calme, une bonne nutrition ou l’hydrothérapie, c’est-à-dire plonger dans un bassin d’eau froide.»

Car le froid diminue le stress oxydatif. «L’entraînement intensif créé une vasodilata­tion et des microtraumatismes musculaires, rappelle Grégoire Schrago. Les vaisseaux s’ouvrent et un peu de liquide vient se mettre sur les lésions. Avec le froid, les vaisseaux se clampent et les lésions diminuent de manière significative. Car après une exposition de deux à trois minutes dans ces cabines, le corps va ensuite se réchauffer et cette activation stimule la circulation, ce qui fait que le corps va nettoyer de lui-même les endroits blessés.»

Toutefois, les deux spécialistes rappellent que la cryothérapie n’améliore en rien les capacités aérobiques ou anaérobiques. Elle n’a donc pas d’effet direct sur la performance.

Les scientifiques sont-ils d’accord?
Pour Daniel Pétek, le recours aux bassins d’eau glacée – la plupart des équipes en ont dans leurs vestiaires – a un effet plus positif sur la récupération. «Et cette technique est déjà bien documentée. En ce qui concerne la cryothérapie, en termes d’études scientifiques strictes, on ne peut pas dire qu’elle génère une amélioration significative du temps de récupération ou qu’un marqueur biologique de souffrance musculaire soit soudainement amélioré grâce à elle. Si quelque chose de totalement miraculeux existait, cela se saurait.

»En revanche, la cryothérapie peut provoquer  une sensation de bien-être et une diminution de la douleur liées aux courbatures. Ces paramètres sont très subjectifs.»
Grégoire Schrago se dit davantage convaincu. Tout en rappelant la difficulté de mener des études dans le milieu sportif. «Le collectif étudié est toujours petit. Il n’empêche que les études de l’INSEP démontrent clairement une meilleure capacité de récupération dans l’ordre de préférence suivant: les cabines intégrales, puis les cryosaunas et ensuite seulement les bassins d’eau froide.»

Y a-t-il des risques d’en abuser?
Aucun protocole précis n’a été établi quant à l’utilisation des cabines, la température
optimale à programmer ni la répétition des séances. Mais des contre-indications existent pour les personnes souffrant de problèmes cardiovasculaires ou de tension. «Mieux vaut faire un bilan auprès de son médecin, conseille Grégoire Schrago.

Sinon, il n’y a pas de risque particulier à y aller régulièrement. Si ce n’est que ces cabines ne peuvent pas être laissées libres d’usage. Il faut que les séances soient encadrées par un professionnel, pour éviter les mauvaises manipulations ou les gelures.» Comme toujours dans le sport: ne pas improviser une séance juste avant une compétition importante. Une première séance en période de préparation est donc fortement conseillée «pour voir comment le corps réagit», invite Daniel Pétek.

La cryothérapie prétend améliorer la récupération, donc, mais aussi soigner les maladies du type Bechterew (rhumatisme, polyarthrite...) aider la perte de poids, soigner les troubles du sommeil, l’humeur et la dépression... «Aucun postulat n’existe vraiment à ce sujet, rappelle néanmoins le chirurgien. Ce qui revient toujours, c’est la sensation de bien-être qu’elle procure. Face à l’essor de la cryothérapie, des auteurs d’une publication en 2016 ont demandé à ce que des études plus scientifiques soient rapidement menées.»

Pourquoi ça plaît autant aux sportifs?
Les athlètes, d’élites ou populaires, sont prompts à suivre les nouvelles modes. «Il y a beaucoup de marketing là-de­dans, concède Grégoire Schra­go. Pour les sportifs, c’est un peu la guerre des nerfs pour savoir qui sera au top.»

Cela est spécialement vrai pour les sports individuels. «Un athlète seul aura plus tendance à rechercher toutes sortes de gadgets ou de structures qui pourraient lui permettre de gagner un ou deux millièmes. Ce qui, pour lui, pourrait vouloir dire passer de la deuxième à la première place», décrit Daniel Pétek, qui tire un parallèle avec d’autres traitements (ou simples gris-gris?) utilisés. «Lier une amélioration de performance à quelque chose qu’on a fait pour soi-même, comme une séance de cryothérapie, l’achat d’un bracelet ou le port d’un kynésio tape, est facile. Et c’est une manière de se démarquer de ses concurrents. L’athlète a l’impression d’avoir fait quelque chose de plus que les autres. Cette idée peut suffire à le rendre plus performant. Alors pourquoi pas?»

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«Moins violent que l’eau glacée»
«Je suis tombé sur une émission à la télévision française qui parlait de la cryothérapie. Renseignements pris, j’ai vu qu’en Suisse nous étions totalement à la traîne.» Président de Fribourg-Gottéron, Michel Volet crée la société Hibernatus avec Slava Bykov, Pascal Blanquet et Stéphane Rolle. Elle exploite et commercialise des cryosaunas en exclusivité pour la Suisse, l’Italie et le Liechtenstein.

Un de ces saunas fonctionne déjà dans les locaux de la BCF Arena, à Fribourg, où les joueurs de Fribourg-Gottéron en sont les premiers utilisateurs, Bykov, Mottet et Sprunger en tête. Le soir, il est accessible au public, sur rendez-vous. C’est le futur directeur d’Hibernatus Stéphane Rolle – dès le 1er décembre – qui encadre les séances. «J’y suis allée après cinq heures d’entraînement. J’avais les jambes cassées. En trois minutes, j’ai senti que j’avais récupéré. Mes jambes me semblaient toutes légères et je n’ai pas eu de courbatures», raconte la fondeuse gruérienne Nicole Donzallaz.

Depuis plusieurs mois, le coureur à pied David Girardet entre deux ou trois fois par semaine dans ce cryosauna. En sous-vêtement et avec des chaussons aux pieds, le Belfagien assure que la sensation de froid est tout à fait supportable. «C’est un froid très sec. On le sent surtout durant la dernière minute. Franchement, c’est moins violent que plonger dans un bassin d’eau glacée.»

Très convaincu, David Girardet estime que la cryothérapie est un plus: «Toutefois, elle ne remplace pas un massage en profondeur. Mais c’est surtout au niveau de l’organisme en général que je ressens un effet positif. Ces séances me permettent d’enchaîner de grosses charges d’entraînement. A mon avis, tous les sportifs pointilleux sur leur préparation utilisent ce genre de cabines.»

Les propriétaires d’Hibernatus croient beaucoup en cette nouveauté sur le marché du sport et du bien-être. «Bien sûr, je précise toujours aux gens que ces cabines n’ont rien de miraculeux. Elles sont un accompagnement», précise le directeur. Qui met en garde contre les abus. «Par le froid, une séance peut faire perdre jusqu’à 300 calories. Alors ça pourrait vite donner envie aux gens de faire des bêtises, par exemple avec des séances trop longues ou trop souvent. C’est pourquoi elles ne seront jamais en
libre-service.»

Fin octobre aux Etats-Unis, la propriétaire d’une cabine intégrale est décédée après être restée enfermée à -150°C. «Ce qui ne peut pas arriver dans un cryosauna, puisque la porte est juste aimantée. Si quelqu’un devait se trouver mal et tomber, la porte s’ouvrirait. Et, de toute façon, je suis toujours là», précise le directeur d’Hibernatus.

Entre 40 et 50 francs la séance
En plus du cryosauna de la patinoire, un autre sera installé fin novembre dans le futur Centre sportif de Romont. En décembre, un show room ouvrira ses portes à Bulle avec des modèles d’exposition à la vente et d’autres pour la location. Une séance coûte entre 40 et 50 francs. Quid
du cryosauna? «Avec l’installation pour l’azote, l’équipement complet peut coûter entre 50000 et 100000 francs.»

Stéphane Rolle espère monter un pool de compétence: «Nous sommes en contact avec des physios, des masseurs, des médecins, des athlètes, des clubs... Notre but est de rassembler toute une communauté. Nous pensons qu’avec les centres sportifs et les centres wellness, à l’avenir on pourra compter une cabine pour 10000 habitants.»

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