Une fiction inspirée de l’affaire du sadique de Romont

mar, 24. avr. 2018

PAR YANN GUERCHANIK

«Le sadique de Romont: le plus grand tueur en série que la Suisse ait connu. Un nom qui résonne dans les consciences romandes, suscitant peur et incrédulité.» Le programme de la RTS, ce mercredi soir, annonce la couleur. Pour le quatrième volet de la collection «Ondes de choc», le cinéaste lausannois Lionel Baier s’est inspiré d’un fait divers arrivé près de chez nous. Dans les années 1980, le Romontois Michel Peiry avoue pas moins de 11 meurtres ou tentatives de meurtre. Ses victimes sont de jeunes autostoppeurs qu’il a violés, torturés et brûlés. Lors de son arrestation, ses proches et toute une région sont sous le choc. Aujourd’hui, l’homme purge une peine d’emprisonnement à perpétuité.

Loin de coller à l’affaire, Lionel Baier propose une intrigue qui se déroule en 1986, à Yvonand, son village natal. Son film parle avant tout du statut des victimes et capte l’air du temps dans une Suisse en proie aux changements. Entretien avec un réalisateur qui prend ses distances avec les faits pour mieux les mettre en perspective.

Vous vous intéressez depuis longtemps à cette affaire. Prénom:Mathieus’éloigne toutefois des faits et se concentre sur la victime dans un sens plus universel. Quelle a été la genèse du projet?

Il y a une douzaine d’années, j’ai commencé par me concentrer sur le tueur. Alors déjà, je ne voulais pas faire un film «sur» le sadique de Romont. Se mettre du côté du tueur vous entraîne dans une forme de voyeurisme ou simplement vers un exceptionnel qui m’intéressait moins. Pour «Ondes de choc», je me suis penché à nouveau sur le sujet sous l’angle de la victime. A l’époque, j’avais rencontré quelques parents des victimes du sadique de Romont. Une chose m’avait beaucoup frappé: ces gens n’étaient pas suivis psychologiquement. Ils m’expliquaient que le tueur avait eu droit à un encadrement en prison, tandis qu’ils étaient livrés à eux-mêmes. J’ai alors décidé de me concentrer sur le statut des victimes.

D’où le sentiment que l’enquête policière suit sa propre logique, une progression qui n’est pas forcément celle du héros…

On a l’impression que les affaires sont closes lorsqu’elles ont été résolues. Mathieu profite de l’enquête autant qu’il peut. Il se dit: «Aussi longtemps que les flics m’interrogent, j’ai quelqu’un à qui parler, je ne suis pas tout seul.» Quand vous avez été victime d’actes aussi atroces, cela vous poursuit toute votre vie. L’idée était de montrer un temps qui se dédouble. Le temps public, médiatique, celui de l’enquête. Et le temps de l’intériorité du personnage. Une temporalité complètement différente.

Votre film a beau prendre ses distances, on le rapprochera toujours du sadique de Romont…

Il ne faut pas être naïf. Les gens qui allumeront leur télé mercredi soir, ce ne sera pas pour voir un film que j’ai fait moi. Mais pour écouter une histoire dont ils se souviennent, dont ils ont entendu parler. Tout l’enjeu est donc de ne pas les décevoir et de faire en sorte qu’ils trouvent de l’intérêt pour cette version effectivement plus universelle.

Comment appréhendez-vous le fait que cette histoire se révèle encore très sensible pour beaucoup de gens?

Pour nous, Suisses romands, c’est une affaire tellement forte! On a besoin, non pas d’une psychanalyse collective, mais que cette histoire s’ouvre et qu’elle passe dans le domaine de la légende. Ainsi, nous pourrions la regarder comme un fait presque extérieur à nous. Dans la région de Romont, ce fut un traumatisme majeur. Rouvrir la plaie pour qu’on y mette les doigts, ce n’est pas du tout le sens de mon travail. C’est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas voulu filmer dans cette région. Je ne voulais pas que les Romontois se disent devant leur télé: «Voilà, c’est encore pour notre gueule.»

Je me souviens d’un témoignage à la sortie du film de Cédric Kahn sur le tueur en série Roberto Succo. L’épouse d’une victime disait: «Quand je me promène à Paris et que je vois le nom de l’assassin de mon mari en grand sur les affiches, c’est comme si on me plantait un couteau dans le cœur à chaque fois.» On a une sorte de responsabilité quand on fait de la fiction et je ne voudrais pas provoquer ce genre d’effet sur les proches des victimes, ni sur les Romontois en général.

Un grand travail de reconstitution historique a été fourni pour représenter les années 1980.
Pourquoi s’attacher absolument à cette époque?

Aujourd’hui, en tant que victime, vous disposeriez légalement d’un suivi psychologique. Les gens iraient chez le psy avec leurs adolescents, il y aurait des forums sur internet. Une question comme celle du viol fait l’objet de discussions. Dans les années 1980, il n’y avait rien de ce genre. Pire, l’idée qu’on viole des garçons tenait de «l’exotisme», l’homosexualité était quelque chose de beaucoup plus caché.

D’autre part, tourner une enquête policière de nos jours revient à filmer des scientifiques, des gens bardés de diplômes qui mènent des discussions très techniques. Moi, ça m’intéressait de jouer sur le côté plus «artisanal» de la police de l’époque.

Et puis, cette affaire raconte quelque chose sur la Suisse qui se transforme. Michel Peiry a tué en suivant le parcours des autoroutes. Le pays s’est désenclavé, passant rapidement d’une Suisse paysanne à une Suisse de classe moyenne. Dans le film, la maison des parents est emblématique, au milieu de petits lotissements qui installent le téléréseau. Dans cette Suisse en plein changement, l’affaire du sadique de Romont disait que ce genre de choses était possible chez nous aussi.

De la fiction suisse qui porte à l’écran des faits divers qui se sont passés chez nous, en quoi est-ce important?

Des films sur des tueurs en série, tout le monde peut en faire. Les Américains le font d’ailleurs très bien. Or, pour «Ondes de choc», chaque réalisateur ou réalisatrice s’est demandé en quoi ces histoires sont différentes parce qu’elles se déroulent en Suisse. Nous sommes dépositaires d’une identité. Dans ces téléfilms, il y a quelque chose qui raconte le besoin qu’ont tous les peuples de produire de la fiction. On a besoin de se décoller du réel pour le représenter. Dès lors, on donne à voir aux spectateurs suisses des faits divers qu’ils connaissent en leur proposant de faire un pas de côté et de réfléchir de manière globale à qui nous sommes.

A l’heure où tout le monde parle agriculture locale, je milite pour que l’information revendique également sa localité. Un média comme La Gruyère dispense un point de vue dont on aura de plus en plus besoin à mesure que l’information se globalisera. On peut acheter nos tomates moins chères en Afrique du Sud, mais on continue d’en cultiver en Suisse parce que nous pensons qu’il y a une vertu à faire vivre l’agriculture ici. C’est la même chose pour l’information et la culture. Je ne suis pas réfractaire à la mondialisation, mais nous avons besoin d’un contrepouvoir important, qui est celui du local. ■

RTS Un, mercredi 25 avril, à 20 h 10, suivi d’Infrarouge, à 21 h 20, autour de la question  «Comment survivre à son abuseur?» avec notamment des parents de victimes

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