PAR MAXIME SCHWEIZER
«Sa remise en liberté à la suite de sa condamnation avait causé une ambiance lourde et agressive chez les habitants qui découvraient le personnage, son passé et sa réputation. Et une incompréhension de notre côté.» Joseph Aeby, syndic de Rue, décrit l’atmosphère qui a régné dans sa cité en décembre dernier lorsque le pédophile, condamné à 52 mois de prison, a été remis en liberté après avoir fait recours contre son jugement. Son procès en appel se déroule demain au Tribunal cantonal.
Jugé coupable à trois reprises par le passé, le prévenu de 76 ans a récidivé en 2014 et 2015 avant d’être arrêté en 2016. Auparavant, il avait commis des actes d’ordre sexuel sur des enfants en 1971 à Genève, ainsi que dans le district de la Glâne en 1988 et en 2002. Il avait été condamné respectivement à deux ans d’emprisonnement, à sept ans de réclusion et à six mois avec sursis pendant cinq ans. Attouchements, fellations et masturbations lui avaient été reprochés.
Jugé coupable trois fois
L’affaire survenue en 1988 avait eu une grande répercussion à Rue, car elle concernait directement des enfants du village et ses alentours. Au total, il avait été accusé d’actes sexuels sur 12 garçons âgés de 9 à 20 ans, dont son fils. «Je me rappelle qu’une maman avait franchi le pas et avait accepté de témoigner, poursuit Joseph Aeby. Avant elle, personne n’avait osé le faire. Il s’agit toujours d’affaires délicates.» Après avoir purgé sa peine, le pédophile était revenu à son domicile à Rue et avait agi comme si de rien n’était. «Il ne s’est jamais caché. Pour lui, il avait payé son crime en allant en prison et il était fort pour s’intégrer au paysage social. Il faut avouer qu’il agissait parfois avec un certain culot.»
Demain, le pédophile de Rue sera jugé en appel pour des faits qui se sont déroulés en 2014 et 2015. Les infractions commises concernent des actes d’ordre sexuel à l’encontre d’une personne incapable de discernement ou de résistance et d’autres actes sexuels et des contraintes sexuelles sur un enfant.
Dénoncé au début 2016
Il y a quatre ans, la victime, incapable de discernement, s’est rendue au domicile du prévenu et elle y a passé deux nuits. A ces occasions, ils ont partagé le même lit. L’accusé a masturbé son hôte de 35 ans alors qu’il savait que l’homme souffrait d’un handicap et qu’il ne pourrait pas repousser ses avances. Ils ont également échangé des caresses et des fellations.
La seconde infraction s’est déroulée au Bénin. En 2010, l’accusé a contacté une famille après avoir vu une photo de sa fille atteinte d’une malformation aux jambes. Au fur et à mesure, il a pris en charge de nombreux frais et lui envoyait régulièrement de l’argent et des cadeaux. Lors de son troisième voyage en Afrique, il a commis des actes de pédophilie sur le frère de la fille âgé de huit ans au moment des faits.
Le prévenu dormait dans le même lit que le garçon. Il lui a caressé à plusieurs reprises son sexe et ils se sont mutuellement masturbés et prodigué des fellations. Le multirécidiviste usait de son statut auprès de la famille pour arriver à ses fins.
Début 2016, il a été dénoncé par des voisins, car il a été vu seul en compagnie de deux enfants qu’il gardait de temps en temps. Compte tenu de ses antécédents, l’intéressé a été arrêté le 8 janvier 2016. Ses déclarations, notamment l’aveu des faits survenus au Bénin, ont amené la police cantonale à le placer en détention provisoire jusqu’au 12 février 2016.
En attendant son procès, il a été remis en liberté. Neuf mesures de substitution ont alors été mises en place. Notamment l’interdiction de recevoir chez lui des enfants de moins de 16 ans accompagnés ou non de leurs parents, l’obligation de continuer le suivi psychiatrique et de se soumettre au Service de probation qui s’assure du respect de ses mesures.
Relâché en décembre
Le 9 novembre dernier, il a été condamné à une peine privative de liberté de 52 mois. A la suite de son procès, il a été directement transféré à la Prison centrale de Fribourg. «Le prévenu a été lâché par sa famille et son état dépressif s’est aggravé, livre Yvonne Gendre, la procureure chargée du dossier. Ce qui augmente le risque de récidive.»
Pourtant, le 20 novembre, l’avocate du prévenu a déposé un recours, qui a abouti, devant la Chambre pénale contre la décision du Tribunal de la Glâne. Il a été relâché le 7 décembre moyennant un suivi strict des mesures. Averties par un citoyen quelques jours plus tard, les instances communales se sont réunies en urgence le soir même. «Nous voulions nous informer sur sa remise en liberté, reprend Joseph Aeby. Le cas pouvait poser problème pour la sécurité des enfants, car il habite en face de l’école.»
Les débats pour trouver une solution fusent et l’idée d’interrompre les cours arrive sur la table. «Nous avions contacté le conseiller d’Etat Jean-Pierre Siggen, mais ce n’était pas envisageable de fermer l’établissement.»
Retour en prison
Dans le courant du mois de mars, le multirécidiviste retourne en prison à la suite du non-respect de certaines mesures de substitution. «Il garait son véhicule dans la cour de récréation au moment où les enfants entraient en classe ou en sortaient, explique Yvonne Gendre. Il avait également loué un appartement de sa maison à une famille avec un garçon de huit ans.» Lors d’une audience, la procureure a requis que le prévenu soit de nouveau placé en détention provisoire.
«Il n’a jamais changé son comportement ou ses habitudes, témoigne Joseph Aeby. Il utilisait depuis toujours sa place privée dans la cour et il ne voyait pas pourquoi il devait arrêter.»
Cette nouvelle incarcération, il y a cinq mois, a rassuré le syndic rotavillien. «Je suis soulagé, car cette histoire commençait à traîner. L’ambiance devenait pénible et son retour en prison a permis d’atténuer quelques tensions palpables.»
Durant ce procès en appel, l’accusé va demander son acquittement pour les faits sur la victime atteinte de handicap. Il espère par conséquent une réduction de peine. ■
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