Caroline Papaux est infirmière au Service d’aide et de soins à domicile. La Gruyère l’a suivie durant une matinée.
Le Service du Réseau santé et social de la Gruyère effectue près de 350 visites par jour auprès de personnes de tout âge.
Un travail qui demande connaissances médicales et beaucoup d’écoute.
MARTINE LEISER
Il est 8 heures. Nous quittons les bureaux du Réseau santé et social de la Gruyère, à Bulle, afin d’effectuer notre première visite de la matinée, en compagnie de Caroline Papaux. L’infirmière de 29 ans, qui travaillait auparavant dans un hôpital, a rejoint le Service d’aide et de soins à domicile il y a deux ans. «Ce qui m’a étonnée, lorsque j’ai intégré l’équipe, ce sont toutes ces connaissances médicales, mais aussi les compétences sociales et relationnelles que nous mobilisons au quotidien. Il faut trouver des solutions, être réactif, créatif, pour le confort des patients. Et les situations sont souvent très diversifiées.» Un travail qui demande une grande capacité d’adaptation, souligne la jeune femme, mais aussi beaucoup d’écoute.
Une oreille attentive
A Riaz, Roland Imhof nous accueille sur le pas de la porte. Cela fait quatre ans que le nonagénaire, qui vit seul dans son appartement, bénéficie des soins à domicile. D’ailleurs, il ne cache pas son plaisir d’avoir la visite de ces «gentilles demoiselles». Il évoque son état de santé, discute du traitement, parle de ses marches nocturnes sur le balcon, et tend le bras pour son injection quotidienne, l’homme souffrant de diabète. «La piqûre, c’est une chose, mais on passe surtout un bon moment. Ce sont des visites qui comptent dans une journée.» Roland Imhof a beaucoup de choses à dire, et dispose de l’oreille attentive de ses visiteurs.
«J’aime raconter mes souvenirs et j’espère que vous aurez le même plaisir en m’écoutant», dit-il en riant. Caroline Papaux l’accompagne presque quotidiennement et leur complicité est évidente. L’homme est énergique. Aussi, lorsqu’elle lui prend la tension, il affirme: «C’est celle d’un jeune homme! Enfin, si seulement…» Pour lui faciliter la vie, la soignante a installé une nappe orange sur la table de la cuisine, permettant à Roland Imhof, malvoyant, de mieux distinguer les objets qui y sont déposés. Il y a aussi la liseuse, installée sur la table du salon, «qui a transformé son quotidien», car il peut à nouveau lire le journal et donner son opinion.
Ah! l’amour!
Le patient se pèse puis montre son vélo d’appartement qu’il utilise chaque jour. Grâce à la visite quotidienne du personnel soignant, il a pu demeurer à son domicile. «A cet âge, on est heureux lorsque l’on peut rester chez soi!» Pour lui, ces rendez-vous représentent également une sécurité.
Il a d’ailleurs en permanence son téléphone portable dans la poche, en cas de pépin, et appelle régulièrement son amie, qui vit à quelques pâtés de maison. «On se téléphone pour savoir si tout va bien. Elle m’appelle le matin pour prendre de mes nouvelles et je la rappelle le soir.» Ah! l’amour! dit-il encore. «Cela fait vingt ans que nous nous côtoyons, mais nous préférons vivre chacun chez soi.»
Membre fondateur de Clos Fleuri, Roland Imhof vit dans l’appartement situé au-dessus de l’école. Et dit veiller sur ce petit monde, depuis son balcon. «C’est toute ma vie! Et cela me rend heureux de pouvoir saluer les élèves chaque jour.» A l’heure de notre départ, l’attachant nonagénaire fait ses dernières recommandations. «Ce qui compte, c’est que vous parliez du Réseau santé et social de la Gruyère en termes élogieux. Ils le méritent et, croyez-moi, je suis une personne plutôt critique!»
Un homme de défis
Durant le trajet qui mène à notre prochain rendez-vous, nous discutons du temps de visite consacré à chaque patient. «Cela peut aller de vingt minutes à deux heures, lorsque la prise en charge est plus conséquente, explique Caroline Papaux. Il faut parfois aider le patient à faire sa toilette, à s’habiller.» Nous voilà arrivés chez Claude Kolly, 56 ans. «C’est une personne très positive, qui aime relever des défis», commente l’infirmière.
Il y a six ans, après un accident vasculaire cérébral, ce père de famille s’est retrouvé paralysé du côté gauche. Il évoque les trépanations qui ont suivi. «Après une année d’hôpital, je suis enfin rentré à la maison.» A l’époque, les soignants venaient matin et soir, mais il s’est battu pour retrouver une certaine autonomie. Aujourd’hui, les visites n’ont lieu qu’une fois par semaine. «Pour moi, c’est le rendez-vous du mercredi. Et c’est toujours un plaisir de voir les collègues des soins à domicile», comme il les surnomme.
Pour le quinquagénaire, l’infirmière porte davantage la casquette d’un coach. Ensemble, ils discutent des prochains objectifs, avant d’accomplir le check-up hebdomadaire. «Les défis, c’est ce qui me fait avancer. J’ai appris à transformer les difficultés en force», raconte Claude Kolly, qui a retrouvé une certaine mobilité, à force de persévé- rance. Il se déplace en fauteuil roulant électrique pour les plus longues distances et va prochainement acquérir une petite voiture. «Cela représente beaucoup à mes yeux. J’aurai plus d’autonomie et le véhicule offre un certain confort.»
Pour cet ingénieur en mécanique automobile, l’autre grand challenge est de recommencer à travailler. «Pour l’instant, je bosse quelques heures, mais c’est plus une démarche thérapeutique. Cela me permet aussi de garder un pied dans la profession.»
Les visites avec l’infirmière sont donc l’occasion de planifier de nouvelles stratégies pour avancer. «C’est aussi de partager un bon moment car on a appris à se connaître. Et il y a un côté rassurant. On peut confier ses soucis, concernant les médicaments ou autre, et parler de choses qu’il est parfois plus difficile d’aborder avec la famille. En plus, glisset-il en désignant Caroline Papaux, on a tous les deux bon caractère.»
L’infirmière explique avoir entre huit à dix visites par jour. Pour elle, le moteur de son engagement est le lien chaleureux qu’elle tisse avec ses patients. Un lien teinté de complicité et d’attention. Il y a des moments plus durs, «lorsque l’état de santé du patient se détériore et qu’il ne peut plus rester à la maison, ainsi que les accompagnements en fin de vie. C’est un métier où l’on crée des liens, où l’on s’investit, il y a donc tout un aspect émotionnel à gérer.» ■
Des valeurs de dignité et de liberté
Selon Yolande Schorderet, responsable du Service d’aide et de soins à domicile, du Réseau santé et social de la Gruyère, «la philosophie de la maison est de ne pas fragmenter les soins, mais d’accompagner la personne dans sa globalité. En nous mettant à l’écoute de ses priorités, de ses intentions et expériences de santé, elle va déterminer la manière dont nous pouvons offrir les soins. Nous sommes davantage dans l’écoute que dans une position paternaliste, où nous savons ce qui est bon pour elle.»
La responsable parle également des nombreux changements survenus ces dernières années, en matière de politique de santé. «Les séjours à l’hôpital ayant été raccourcis, les patients sortent parfois en situation aiguë, ce qui demande une très grande réactivité, mais aussi des compétences accrues. Le personnel soignant, qui compte actuellement 183 collaborateurs, a de grosses responsabilités.» Yolande Schorderet évoque les 2400 interventions planifiées par semaine, soit à peu près 350 visites par jour, auprès de personnes de tout âge. Certaines sont confrontées à des difficultés liées à une maladie physique ou psychique, un accident, une hospitalisation, une grossesse ou au vieillissement. «La majorité de notre personnel soignant est passionnément présent, souligne la responsable. A l’écoute, ouvert à innover, à essayer de comprendre. Et je trouve que c’est une force dans la maison. C’est vraiment un travail de relation qui se construit au fil du temps avec les personnes, et c’est quelque chose de très fort. Ce sont des valeurs de dignité et de liberté qui guident notre pratique.» ML
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