Alex, un dessinateur qui amène couleur et joie dans notre quotidien

lun, 25. nov. 2024
Pour Alex (ici dans son atelier, dans les locaux de La Liberté), «il n’y a pas de tabou dans le dessin de presse. Mais il faut traiter certains sujets avec sa sensibilité.» Photo Antoine Vullioud

Depuis près de vingt-cinq ans, il pointe l’absurdité du monde et met un peu de couleur dans la grisaille des temps. Rencontre avec Alex, à l’occasion de la publication d’un nouveau recueil de ses dessins parus dans La Liberté.

ERIC BULLIARD

Il parle avec un léger sourire, en vous regardant droit dans les yeux. D’emblée, vous sentez l’humour et la franchise, la sincérité à fleur de peau. Et cette modestie non feinte, qui va souvent de pair avec le vrai talent. «J’ai toujours l’impression d’être à l’essai. J’ai encore une marge de progression énorme», lâche-t-il, attablé dans un café de Fribourg, à l’heure du chocolat chaud.

L’essai dure depuis presque vingt-cinq ans. Un quart de siècle que, pour les lecteurs de La Liberté, Alexandre Ballaman est Alex. Un pilier, un incontournable. Celui qui, chaque matin, les amuse ou les touche. Qui, parfois, en agace certains. Tant mieux: c’est louche, l’unanimité. Tous les jours, son dessin vient pointer l’absurdité du monde et mettre quelques couleurs dans la grisaille de l’époque. Un travail rêvé, assure-t-il. «J’adore la dénomination de mon job: dessinateur de presse. Il y a tout dedans: le dessin et l’actu.»

Tout commence par des crayons et du papier. «Dessiner, c’est un truc de gamin. Après, il y en a qui continuent et qui ont envie de faire ça toute leur vie.» Son enfance «simple et très chouette», Alex la passe dans la Broye, à Vallon, là où il vit toujours. Où il vit à nouveau, plutôt. Peu importe. Là où sont ses «profondes racines», comme il dit. Il grandit aux côtés d’un père facteur, d’une mère qui «travaille à la maison», d’un grand frère et d’une petite sœur.

Il se rêve, à l’époque, auteur de BD. Après le collège, il opte pour une formation de graphiste. «Je ne me voyais pas artiste. J’avais l’impression de n’avoir rien à exprimer personnellement. Mais le monde du graphisme, les affiches, les logos, me titillait.»

Pendant une dizaine d’années, il travaille dans la pub. «J’ai adoré ça, mais c’est un univers assez rigoureux, qui bridait un peu la créativité.» Ses premiers dessins pour La Liberté, il les envoie sous forme de lettres de lecteur. Son trait, son humour tapent dans l’œil de Roger de Diesbach, rédacteur en chef de l’époque. «Il m’a appelé pour me demander si j’avais envie d’essayer de collaborer.»

 

«Une chance énorme»

 

Au sein du quotidien fribourgeois, Alexandre Ballaman commence par également mettre à profit sa formation de graphiste, en réalisant des infographies. Nous sommes en 2000, il découvre son nouveau métier. «J’ai vraiment appris à aimer l’actualité foisonnante qui arrive dans une rédaction.» Il n’a plus décroché de cette adrénaline quotidienne: Alex est l’un des rares, dans la presse romande actuelle, à bénéficier tous les jours de sa case.

Il en parle comme d’une «chance énorme», même si ce rythme peut se révéler astreignant. «Il m’arrive de n’avoir rien à dire. De me retrouver devant ma feuille blanche à 17 h et de me demander pourquoi je ne vais pas plutôt charger des palettes sur le quai CFF!» L’avantage, c’est qu’une édition chasse l’autre. «Tu ne peux pas être champion du monde tous les jours! J’ai fini par me résigner et me donner la permission, parfois, d’être médiocre…»

La modestie, encore. Il sourit quand on le contredit: non, Alex n’est jamais médiocre. Il est souvent très drôle, d’autres fois émouvant, mais il a surtout cette capacité à toujours toucher juste. A gratter là où ça démange. Ici, pas de provocation facile, ni d’agressivité gratuite, mais pas question non plus de se contenter de caresser dans le sens du poil. La justesse.

 

Carte blanche

 

Alex a, de plus, la finesse (ou l’intelligence) de ne pas confondre son métier avec le militantisme. «Je n’ai pas de leçons à donner. Je dessine pour un quotidien généraliste, pour un lectorat varié, que je connais, que j’aime bien et auquel je m’identifie.» Ce qui ne l’empêche pas d’aborder tous les thèmes, même les plus terribles.

«Il n’y a pas de tabou dans le dessin de presse. Mais il faut traiter certains sujets avec sa sensibilité.» Cette conscience du public auquel il s’adresse explique aussi la confiance de sa rédaction en chef: il a carte blanche totale. Aucun besoin de soumettre ses idées ni ses croquis à sa hiérarchie.

Reste que les mentalités, comme les sensibilités et l’humour, ont évolué. Lui-même reconnaît qu’il ne ferait plus certains dessins de ses débuts. «Je tiens compte des prises de conscience sur le genre ou sur le racisme, par exemple. Mais, parfois, il y a des poussées assumées, comme avec des dessins très machos, justement pour dénoncer le machisme. Là, il peut y avoir des malentendus.»

De toute manière, les réactions ne viennent pas forcément de là où on les attend. Certes, les sujets religieux demeurent délicats. Les dessins où apparaît le pape, par exemple, ont pu chatouiller des sensibilités. Mais d’autres suscitent des avalanches inattendues, comme celui de Babalou, le défunt âne de Saint-Nicolas, en 2020.

 

L’histoire du saucisson

 

«Je n’ai rien vu venir! Ce pauvre petit âne meurt et je dessine Saint-Nicolas qui le tranche pour en faire du saucisson. Les végétariens ont trouvé ça horrible, les parents n’admettaient pas que leurs enfants découvrent comment on fait du saucisson…» Des lecteurs courroucés lui ont conseillé de prendre des vacances, voire de démissionner.

Le sourire s’élargit, le souvenir demeure plutôt joyeux. «J’ai trouvé chouette qu’un dessin fasse réagir comme ça.» Par contraste, il montre dans son dernier recueil (lire ci-dessous) des images poignantes sur l’enfance maltraitée ou le bombardement d’un hôpital à Gaza. «Là, je n’ai eu aucune réaction…»

Alex alterne ainsi volontiers «les gags à deux balles» et l’actualité la plus dramatique, qu’il suit de près, tout le temps. «C’est dur à dessiner, ça m’est pénible, mais prendre à bras-le-corps de tels sujets fait aussi partie de mon job.» Il y met sa sensibilité pour absorber l’horreur, la filtrer et la ressortir «sous une forme un peu artistique».

 

Clin d’œil

 

Dans ce monde en furie, il reste quelques soupapes, du côté de ses racines broyardes. On y revient. Vallon, les copains de la troupe de théâtre Activale, où il joue depuis trente-cinq ans. Ses trois enfants, aussi, de 21, 19 et 17 ans. Sa compagne depuis deux ans. Et les plaisirs de la vie, les concerts, la musique, le théâtre, le cinéma, la BD, les livres…

Sauf que le travail n’est jamais loin: il se dit éponge, se nourrit de tout cela, pour en ressortir parfois un détail, une atmosphère dans un dessin, un univers où le lecteur se reconnaît. Comme le clin d’œil, en plus du sourire, d’un copain de vingt-cinq ans.

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