Pour le spécialiste en économie politique Yves Flückiger nous vivons «une période charnière»

| mar, 13. nov. 2012
Yves Flückiger
L’exception suisse aurait-elle vécu? Spécialiste en économie politique, Yves Flückiger livre son analyse sur les turbulences conjoncturelles qui secouent le pays. Interview.

Par Frank-Olivier Baechler

La cascade des suppressions de postes annoncées en Suisse ces derniers jours laissent craindre une détérioration rapide de la situation économique du pays. Le point avec Yves Flückiger, professeur ordinaire au Département d’économie politique de l’Université de Genève et codirecteur de l’Observatoire universitaire de l’emploi.

Straumann, UBS, Lonza, Swisscom et Credit Suisse viennent, coup sur coup, d’annoncer des licenciements ou des suppressions de postes. La Suisse est-elle finalement rattrapée par la crise?
Jusqu’à présent, la Suisse est parvenue à résister particulièrement bien à une situation conjoncturelle internationale difficile, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, des gains de productivité relativement importants ont été réalisés dans la plupart des secteurs économiques suisses. Ensuite, le pays a réussi à faire face à une appréciation particulièrement importante du franc suisse, aujourd’hui stabilisé autour de 1 fr. 20 pour un euro. Le fait que l’économie suisse soit très diversifiée, notamment au niveau de ses marchés d’exportation, et composée essentiellement de PME, constitue, enfin, un atout indéniable.
Les gains de productivité commencent toutefois à montrer leurs limites, tout comme la capacité des entreprises à résister à la force du franc suisse. Les marchés asiatiques s’essoufflent et la situation reste très précaire en Europe. Le pays se trouve à une période charnière, dont l’issue dépendra largement de l’évolution de la situation internationale.

Banque, industrie ou télécommunications: le spectre des domaines économiques récemment mis à mal semble plutôt large. La menace est-elle générale?
Le spectre est large, en effet. Les débouchés asiatiques, qui ont permis à l’horlogerie suisse de connaître une phase de croissance exceptionnelle, montrent leurs premiers signes de faiblesse. L’industrie des machines, dont les gains de productivité avaient permis de partiellement compenser l’appréciation très forte et rapide du franc suisse, commence aussi sérieusement à souffrir sur ses marchés d’exportation. S’ajoute encore à cela la liste des secteurs qui, traditionnellement, résistent mieux à la conjoncture. C’est le cas de la place financière, qui vit des temps difficiles. Malgré les accords Rubik, la gestion de fortune des clients étrangers devient de plus en plus compliquée.

Sur les neuf premiers mois de l’année, Swisscom a pourtant dégagé un bénéfice net de près de 1,4 milliard de francs. La suppression de 400 postes, même partiellement compensée par la promesse d’engagement de 300 personnes, dans d’autres secteurs, en étonne plus d’un…
Un bénéfice substantiel n’empêche pas certaines entreprises de se préparer à un avenir qui s’annonce difficile, avec une concurrence et une pression sur les prix de plus en plus fortes. Les tarifs de communication, encore élevés en Suisse, n’y échapperont pas. D’un autre côté, il est évidemment choquant de constater que la suppression par UBS de milliers de postes de travail entraîne une nette progression de l’action en Bourse de l’entreprise, par le simple fait que ces mesures de restructuration s’annoncent profitables en termes de dividendes. Cette redistribution des revenus crée une certaine incompréhension et met en péril le système industriel suisse, basé sur le consensus entre travailleurs, entreprises et actionnaires.

Les derniers chiffres du chômage font état d’une hausse de 9%, en octobre 2012, par rapport au même mois de l’année dernière. Pour 2013, faut-il s’attendre à une explosion du nombre des sans-emploi?
Sans pour autant parler d’explosion, je m’attends clairement à une augmentation du nombre de chômeurs. En 2013, le taux de chômage devrait se rapprocher de la barre des 3,5% (n.d.l.r.: la moyenne nationale se situe actuellement à 2,9%). Evidemment, en comparaison internationale, cela reste assez modeste. Avec la révision récente de la Loi sur l’assurance chômage, le nombre de chômeurs de longue durée devrait lui aussi augmenter, tout comme le nombre de personnes au bénéfice de l’assurance sociale. Cette tendance, déjà re-
la­tivement marquée, est source
de préoccupation. Car, même en cas de reprise de l’activité éco­nomique, le retour à un emploi s’avère nettement plus complexe et coûteux.

Le Conseil fédéral vient d’approuver la création d’un indice national des prix de l’immobilier, signe des perturbations croissantes qui secouent le milieu. La bulle est-elle près d’éclater?
En Suisse, le secteur immobilier a longtemps profité d’une conjoncture favorable et d’une croissance démographique solide, dopée par l’immigration. Aujourd’hui, la si­tuation est tendue et je pense que nous ne sommes pas loin d’une situation de bulle immobilière. Il s’agit de prendre ce risque très au sérieux. En cas de détérioration de la conjonc­ture, de nombreux ménages pourraient connaître de graves difficultés, en raison des prêts parfois inconsidérés que certains établissements bancaires leur ont accordés. La situation doit être surveillée de manière très attentive, et la mise en place d’indicateurs semble à ce titre nécessaire.

 

En Europe, le cas grec semble loin d’être réglé. D’autres pays, comme l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, voire l’Italie, présentent toujours des risques élevés. La construction européenne est mise à mal. Inquiet?
Tout l’enjeu, au niveau européen, consistera à sortir de la crise des finances publiques, tout en maintenant une certaine croissance économique. Opter pour une forme d’austérité absolue, en coupant uniquement dans les dépenses publiques, provoquera une récession économique très forte. Elle se répercutera ensuite sur les recettes fiscales et ne fera que creuser le déficit public. Certains pays européens, à commencer par l’Allemagne, n’en semblent pas conscients. La maîtrise des dépenses doit s’accompagner d’une relance de l’imposition et des recettes fiscales. L’équation est compliquée.

Dans la tempête qui fait rage, la politique monétaire de la BNS est-elle toujours pertinente? Faudrait-il augmenter ce palier de 1 fr. 20 ou, au contraire, le supprimer?
Jusqu’ici, la politique de la BNS s’est montrée très efficace. Elle est parvenue à soutenir ce taux de 1 fr. 20, sans injecter trop de liquidités. Aujourd’hui, il est à craindre qu’elle doive intervenir plus massivement sur l’émission de francs suisses pour maintenir artificiellement ce palier, ce qui pourrait constituer un problème à moyen terme. Il faudra bien, un jour ou l’autre, résorber cette création excessive de liquidités sur le marché monétaire helvétique. Quant au palier, je serais personnellement favorable à ce qu’il soit relevé à 1 fr. 30, mais cet objectif est-il à la portée des autorités monétaires suisses?

Aux Etats-Unis, la réélection de Barack Obama n’a pas levé l’inquiétude concernant le risque de récession qui menace le pays, pour 2013. Quelles conséquences pour la Suisse?
Même si les Etats-Unis ne sont plus le moteur unique de la conjoncture mondiale, ils n’en constituent pas moins l’un des paramètres majeurs, tant pour l’Europe que pour la Suisse, par répercussion. La situation américaine est préoccupante. Alors que le deuxième mandat d’Obama lui laisse théoriquement plus de liberté pour mettre en place des politiques volontaristes, la Chambre des représentants ne lui est pas favorable. Il s’agit d’un facteur de blocage défavorable à la conjoncture américaine.
 

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