«L’image du marin breton bourru a volé en éclats»

| sam, 02. nov. 2013
Rencontré dans le cadre d’une conférence au Comptoir gruérien, Dominique Wavre évoque son dernier Vendée Globe (7e). Avec dix tours du monde à son actif, le Genevois est le recordman des navigateurs. Il évoque la course, ses peurs et ses passions.

PAR KARINE ALLEMANN

«En pleine mer, le bruit sur le bateau est infernal, il peut monter jusqu’à 100 décibels. C’est comme si on était dans une guitare en carbone et que quelqu’un tapait dessus.» Dominique Wavre explique le bruit. Mais, pour un navigateur, l’ouïe n’est qu’un des cinq sens vitaux. «En course, notre cerveau est sans cesse stimulé. Nous sommes d’une acuité extrême, comme un animal sauvage à l’affût.»
Arrivé 7e du dernier Vendée Globe le 8 février 2013, le Genevois est devenu le recordman du nombre de tours du monde à la voile. Le journaliste Bernard Schopfer lui consacre un livre: Dix tours du monde. Invité par quatre entreprises de la région, Dominique Wavre, 58 ans, a donné une conférence jeudi dans le cadre du Comptoir gruérien. L’occasion de rencontrer un sportif hors norme d’une grande simplicité.

Vous dites avoir été le premier étonné d’apprendre que vous déteniez le record du nombre de tours du monde.
Oui, c’est le journaliste qui s’en est aperçu en prenant des informations. Pour ma part, je n’ai jamais vu les différentes occasions qui se sont présentées à moi comme le sillon rectiligne d’une carrière. Comme un vrai marin, je ne regarde pas le sillage que je laisse derrière moi. Mais, au fil des interviews, je me suis rendu compte que j’avais vécu des aventures plutôt bohèmes au début, avant d’aller vers toujours plus de professionnalisme. Aujourd’hui, les équipes sont quasiment des commandos préparés pour un moment donné. C’est le cas pour la Coupe de l’America. Ils s’entraînent comme des militaires et se donnent une discipline de type militaire à bord des bateaux. L’esprit d’équipe se fabrique comme on fabrique celui d’une équipe de rugby.

Lors du dernier Vendée Globe, les avancées technologiques ont aussi profité au public, avec des images des navigateurs et une application pour tablette assez incroyable. De quoi se passionner au quotidien pour la course. Avez-vous senti ce nouvel engouement?
Effectivement. L’énorme évolution technologique est arrivée avec l’apparition des satellites. Le fait de pouvoir transmettre des images et avoir sa position par GPS ont totalement changé la manière de naviguer. L’autre évolution est venue d’Ellen McArthur (2e du Vendée Globe 2000-2001), qui a été la première à transmettre ses émotions par des films. Quand elle était totalement épuisée, elle n’hésitait pas à s’énerver ou à pleurer devant la caméra. Cela a permis de transmettre autre chose que les livres de bord à la Tabarly, très factuels. L’image du marin breton un peu bourru, très perméable à la communication, a volé en éclats. Aujourd’hui, les gens viennent sur le site internet, regardent nos films et essaient de se mettre à notre place. En tant que skipper, nous avons dû apprendre à communiquer, à utiliser les bons angles de vue et à filmer au petit matin, quand la lumière est jolie. J’adore partager mon plaisir et expliquer aux gens comment on peut aller chercher ses limites.

Récemment dans L’Equipe Magazine, le navigateur français Thomas Coville raconte à quel point ses tentatives de records du monde l’ont laissé dans un état mental très inquiétant. Avez-vous connu des périodes d’aussi grandes souffrances psychiques?
Oui, j’en ai eu. Lors du Vendée Globe 2010, à la suite de différentes avaries, j’ai dû ramener le bateau sans quille à travers les océans. J’ai vécu des moments difficiles. Mais le cas de Thomas est différent. Il fait des tentatives de record et quand il n’y arrive pas, malgré les efforts énormes réalisés, il revient à terre avec un sentiment de frustration terrible. En tant que guerrier, quand on a perdu la bataille, c’est très difficile de se reconstruire.

Seul sur votre bateau, vous dites aimer le côté prise de décision et sanction immédiate de vos choix.
En effet, c’est génial! A terre, on prend toutes nos décisions en fonction de notre entourage, de nos collègues, de notre famille... Et elles ont toujours un impact sur cet entourage. En pleine mer, on est seul à subir les conséquences des 200 décisions qu’on prend par jour. Même si le bateau est une sorte de prison minuscule au milieu d’un océan gigantesque, on y jouit d’une liberté extraordinaire.

A côté de votre métier de navigateur, vous devez également jouer les chefs d’entreprise pour convaincre les sponsors de soutenir vos projets. Un rôle que vous appréciez?
Oui. Même si, au début, cela me plaisait peu. Avec le temps, je peux accéder directement aux décisionnaires dans les entreprises. Ce sont des gens à forte personnalité, qui apprennent à juger très vite. Parfois surprenants, leurs critères sont toujours objectivement très forts. Ces contacts sont passionnants et très enrichissants.

Quels sont vos prochains projets?
La Barcelona World Race, une course autour du monde par les trois caps et sans escale, à laquelle je participerai avec ma compagne Michèle Paret en décembre 2014. Je cherche actuellement de l’argent pour cela. Quant au Vendée Globe, c’est encore relativement loin. Il faut trouver un sponsor, monter une équipe et, surtout, il faut être sûr que j’en ai envie... A voir.

Le film En solitaire, avec François Cluzet dans le rôle d’un navigateur en plein Vendée Globe, va sortir prochainement. En avez-vous entendu parler?
Oui! J’ai même discuté avec François Cluzet avant mon dernier départ. C’est un type génial et un acteur vraiment à l’écoute. J’ai l’espoir que ce soit un bon film. Pour une fois, ils ont vraiment filmé en mer. Parce que
les films en studio, ça ne résiste pas à l’analyse, pour un marin. Quand je vois un verre posé sur une table dans un bateau censé être en pleine tempête, et que le verre reste plein, je préfère sortir de la salle (rires).

 

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Queen à fond sur le bateau
Dominique Wavre et son rapport à…

… la rage de vaincre: «Je suis un compétiteur né, avec tous les défauts qui vont avec. Je suis orgueilleux, j’ai envie de mettre les autres derrière moi, de les écraser. En course, je suis un sale type.»
… la mer: «C’est tout un monde qu’il faut appréhender, avec de l’ingéniosité, du travail, de l’humilité et un peu de courage. Parce que, la mer, l’homme n’a rien à y faire. On tombe dans l’eau, on est mort. C’est pour cela qu’on ne porte pas de gilet de sauvetage. Il ne ferait que prolonger notre agonie. Le rapport avec la mer est donc complexe: on la craint et on l’admire. Mais j’y suis toujours bien. A terre, j’ai des sentiments plus partagés.»
… le cap Horn: «C’est un endroit battu par les tempêtes, les fortes vagues, les gros courants... La météo y est franchement dégueulasse. Et tellement de bateaux y ont fait naufrage que c’est un cimetière d’épaves. On ne peut que respecter cet endroit symboliquement très fort.»
… la douleur: «Lors du dernier Vendée Globe, un soubresaut m’a fait m’envoler et j’ai heurté très lourdement le bateau. Je souffrais énormément. Toutefois, je ne voulais pas alerter l’assistance, car on m’aurait obligé à m’arrêter. Je me suis donc contenté des antidouleurs que j’avais. J’ai souffert pendant des semaines. A mon retour, j’ai fait une radio et le médecin m’a vraiment engueulé. Je m’étais cassé une vertèbre et j’aurais pu me retrouver paralysé. En fait, j’ai été en convalescence d’une vertèbre cassée durant tout le Vendée Globe (rires).»
… le retour: «Après deux jours, je dors à nouveau bien. Je récupère vite. Mais, après trois mois seul sur mon bateau, il me faut plus de temps pour retrouver mes réflexes sociaux. Je ne sais plus dire bonjour et j’aboie des ordres. Je suis un vrai ours.»
… la peur: «Il y a la peur panique, qui fait perdre tous nos moyens et que je ne pense pas avoir ressentie, et celle qui entraîne  différents niveaux de stress. En 2010, quand j’ai réalisé que ma quille était cassée et que le bateau pouvait couler d’une seconde à l’autre, je suis monté très haut. Cela peut paraître étrange, mais je suis allé me faire un café et j’ai écouté à fond We are the champions, de Queen. Une fois que le stress est redescendu, on redevient intelligent et capable de prendre les bonnes décisions.» KA
 

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