Par Yann Guerchanik
On ne verra plus le jour à la maternité de Riaz. Lundi, ses portes seront officiellement fermées. De l’Intyamon au Gibloux, de Saint-Martin à Bellegarde, une population entière y est née. La page qu’on s’apprête à tourner dans le Sud fribourgeois fait déjà souffler un vent de nostalgie. La maternité de Riaz a fait les frais d’une révolution hospitalière, mais, derrière les chiffres, la masse critique, l’attractivité et la sécurité, il y a de l’amertume. Elle se lit sur les visages des femmes qui ont œuvré en ce lieu. Des sages-femmes, des infirmiè-res et des nurses qui préfèrent rester discrètes.
Elles ont toutes retrouvé un poste. Leurs compétences seront préservées. Un bon nombre d’entre elles travailleront à l’hôpital cantonal. La maternité unique de Fribourg bénéficiera de locaux rénovés (La Gruyère du 14 novembre). Sous l’égide de l’infirmière-cheffe du service de gynécologie et obstétrique Bernice Fagan Tournier (voir l’interview ci-dessous), une nouvelle équipe prendra soin des futures mamans, quel que soit le district d’où elles proviennent.
Ce jeudi pourtant, la maternité de Riaz poursuivait ses activités comme si de rien n’était. Sur les murs, les peintures enfantines brillent. Jusqu’à la fin, tout doit fonctionner comme aux plus beaux jours. Dans une salle d’accouchement ce matin-là, on entendait des premiers cris. Une autre naissance était sur le point de se produire l’après-midi. Peut-être les derniers figurants d’un très long cortège.
A Riaz, à Fribourg ou ailleurs, l’essentiel est de venir au monde en sachant d’où l’on vient.
«Un nouvel élan malgré la tristesse»
Bernice Fagan Tournier est infirmière-cheffe du service de gynécologie et obstétrique. C’est la responsable des infirmières et des sages-femmes de Riaz et de Fribourg. D’origine irlandaise, elle est arrivée au CHUV en 1985. «A l’époque de la grosse importation de personnel étranger. On était plus d’une dizaine d’anglophones à arriver tous les mois.» Bernice Fagan Tournier devait rester une année au CHUV, elle a finalement fait sa vie en Suisse. Depuis, elle a acquis la double nationalité.
Après le Centre hospitalier universitaire vaudois, elle a travaillé longtemps à l’Hôpital Riviera. Il y a dix-huit mois, elle a intégré l’Hôpital fribourgeois. Responsable des deux maternités depuis le mois de janvier, elle supervisera ce qui deviendra une nouvelle clinique transversale.
Au niveau médical, comment s’organisent les derniers jours avant la fermeture de la maternité à Riaz?
Bernice Fagan Tournier. Si des patientes accouchent tard dans la nuit de dimanche, rien ne changera pour elles. Elles ne sont pas mises à la porte ni transférées à Fribourg. On aura du personnel jusqu’au matin. L’équipe de soins, quant à elle, reste jusqu’à vendredi soir. Pour que les mamans puissent terminer tranquillement leur séjour.
Et comment s’organise le déménagement du matériel et le départ du personnel qui rejoindra le site de Fribourg?
Une partie du matériel sera transférée immédiatement à Fribourg. Une autre partie sera déménagée plus tard. Quant au personnel, tout le monde ne va pas arriver dans les services en même temps. On a opté pour des arrivées progressives avec des demi-journées d’introduction. On a élaboré un système de marrainage. Chaque arrivante aura une personne de référence avec laquelle elle pourra interagir. Un carnet de bord sera aussi mis en place, dans lequel chaque équipe pourra poser des questions et proposer des solutions. On aura un système de colloque à la demande. Je veux qu’un dialogue ouvert s’instaure.
Toutefois, ce sont des personnes qui ne changent pas de métier. Elles ne changent pas d’équipe médicale ni de protocoles. Et certains membres de l’équipe se connaissent déjà. C’est souvent le cas dans le milieu des sages-femmes. Sans compter qu’il y a déjà eu un certain nombre de visites organisées à Fribourg.
Mais l’HFR Fribourg - Hôpital cantonal, c’est un peu un autre monde, non?
Riaz est un établissement qui jouit de l’ambiance d’une petite entité. J’ai travaillé dans des grands et des petits hôpitaux suisses. Les petits ont toujours un esprit familial et convivial qu’un grand ne peut pas avoir, car il est beaucoup plus sectorisé. A Riaz, il y a un côté village qui s’opposerait à un côté grand hôtel.
Si, la semaine prochaine, une femme sur le point d’accoucher débarque malgré tout à Riaz, comment serait gérée la situation?
Evaluation et transfert si possible. C’est-à-dire qu’on va évaluer cliniquement la patiente comme on le fait pour toute urgence. Si elle arrive du lundi au vendredi entre 8 h et 18 h, le médecin responsable de la nouvelle policlinique de gynécologie et obstétrique ambulatoire (La Gruyère du 14 novembre) sera à même de la recevoir et prendre une décision. Si la patiente est stable elle sera transférée à Fribourg, si elle est en danger elle sera prise en charge sur place. J’ai vu des maternités fermer durant ma carrière et je n’ai jamais vu un bébé qui n’était pas né dans un hôpital à la suite d’une fusion. Les gens sont encore plus vigilants. Et puis, le processus décisionnel sera très rapide entre Riaz et Fribourg.
Quels sentiments éprouvez-vous à l’aube de ce changement et quels sont ceux que vous percevez auprès du personnel, qui préfère ne pas s’exprimer?
Je ne suis pas en poste depuis si longtemps. Les enjeux émotionnels ne pèsent pas sur moi et je pense avoir une vision assez large. Du côté du personnel, je perçois un grand sentiment de tristesse et de regret. Je ne cherche pas à remuer le couteau dans la plaie. Il y a une certaine appréhension pour l’avenir en même temps qu’un immense soulagement d’avoir trouvé de nouveaux postes. Il y avait beaucoup d’inquiétudes au début. Mais, dès le départ, l’HFR a fait savoir qu’on allait garder tout le monde et les choses se sont améliorées rapidement.
Il n’empêche que la tristesse est palpable. Cette maternité, c’est la Gruyère. Un hôpital appartient à la société dans laquelle il est implanté. Il suffit de regarder par la fenêtre de l’établissement, dans chaque maison, il y a un enfant qui est né ici. Cette maternité de proximité était aux Gruériens et au personnel. Il y a une identification professionnelle énorme. C’est particulièrement fort dans cette région.
Les employées comprennent-elles cette décision de fermeture?
Pas toutes. Souvent, elles sont encore dans l’émotionnel. C’est difficile pour elles de séparer le rationnel d’un système de santé avec leur quotidien professionnel. Et puis, elles ont du mal à imaginer qu’un outil aussi joli que cette maternité se transforme en quelque chose d’autre. Elles en sont très fières.
Mais ça, c’est le côté dramatique. Au-delà, il y a de l’espoir. Moi, je suis très enthousiaste par rapport à la mise en place de cette nouvelle équipe. Il y a de fortes compétences des deux côtés. On ne va pas faire un copier-coller mais choisir le meilleur des deux.
Il s’agit maintenant d’attirer et de rassurer la population de la région. Les futures mamans peuvent avoir confiance et se préparer pour leur naissance avec sérénité. Pour moi, il ne s’agit pas de bébés gruériens, mais de bébés fribourgeois. Quant à l’identité propre, elle reste quoi qu’il en soit dans le cœur.
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