PAR FRANK-OLIVIER BAECHLER
Dès le 1er janvier, les 19 ordonnances fédérales de la Politique agricole 2014-2017 (PA 14-17) entreront en vigueur. Si l’enveloppe budgétaire accordée à l’agriculture – 3,5 milliards de francs par année – reste identique, les paysans devront s’adapter à un système de paiements directs largement remanié.
«Pour le canton de Fribourg, la disparition de la «prime à la bête» constitue le changement principal», explique Frédéric Ménétrey, directeur de l’Union des paysans fribourgeois (UPF). En effet, les paiements directs ne dépendront plus du nombre de vaches, mais de la taille de la surface exploitée. «Selon qu’ils pratiquent une agriculture plus ou moins extensive, les détenteurs de bétail pourraient voir leurs revenus diminuer de 10 à 30%», précise l’ingénieur agronome de 41 ans.
Cinq piliers
Afin de compenser tout ou partie des pertes, les agriculteurs pourront s’appuyer sur cinq contributions majeures, véritables piliers de la nouvelle ordonnance sur les paiements directs: les contributions au paysage cultivé, à la sécurité de l’approvisionnement, à la biodiversité, à la qualité du paysage et au système de production.
«Les contributions à la biodiversité existaient déjà, mais la PA 14-17 renforce encore l’incitation en faveur de l’aménagement de surfaces de haute qualité écologique. Appelées aujourd’hui surfaces de compensation écologique (SCE), elles sont remplacées par les surfaces de promotion de la biodiversité (SPB)», commente Frédéric Ménétrey.
Selon le spécialiste, cette option – dont la mise en œuvre est moins complexe et déjà connue – sera certainement privilégiée par les paysans fribourgeois. Avec un problème à la clé: une diminution de la production. «Une trop grande concurrence entre les SPB et la production pourrait desservir cette dernière. Plutôt que de cultiver deux hectares d’orge ou de colza, certains privilégieront la jachère. De quoi mettre en danger certaines filières agroalimentaires, comme les céréales panifiables et fourragères», s’inquiète le directeur de l’UPF.
Au rayon nouveautés, les contributions à la qualité du paysage ont beaucoup fait parler d’elles. Qualifiées par certains de «primes au géranium», elles seront octroyées sur la base d’objectifs régionaux. «Dans le canton de Fribourg, deux projets sont actuellement en phase d’élaboration. Le premier, intercantonal, concerne la Broye vaudoise et fribourgeoise. Le second, porté par le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut, intéresse l’Intyamon et la vallée de la Jogne», précise Frédéric Ménétrey.
Aides à la transition
Afin d’atténuer les effets du passage au nouveau système, des contributions de transition seront versées aux exploitations les plus touchées. «Dans le canton, elles représenteront en moyenne 20% des paiements directs actuellement accordés, mais elles sont vouées à disparaître à l’horizon 2021. D’ici là, trois choix se présentent aux agriculteurs: ne rien faire et perdre, à terme, une part substantielle de leur revenu; compenser cette diminution de manière ciblée, en adhérant à l’un ou plusieurs des programmes proposés; produire davantage avec la même surface», résume le Broyard.
S’il trouve tout de même quelques qualités à cette PA 14-17, à commencer par une nomenclature plus adaptée et un soutien renforcé aux alpages, Frédéric Ménétrey n’en peste pas moins sur l’absence de stabilité et de vision à long terme. «Cette vision est née, au Parlement fédéral, de la conjonction opportuniste d’opinions néolibéralistes et écologistes. Pour les paysans, le changement est brutal. Et rien ne garantit qu’un nouveau revirement ne soit voté dans quatre ans.»
------------------
«On met la charrue avant les bœufs»
Henri et Rémi Buchs, agriculteurs à Cerniat, possèdent une exploitation de montagne. «Elle est située en zone 3, à 1050 m, pas loin du restaurant des Mossettes, et compte 32 hectares de surface agricole utile pour 32 vaches en moyenne à l’année. Sans compter les alpages», précise Henri.
Engagé dans un projet de rénovation de sa ferme, le Gruérien vient de faire estimer les conséquences financières de la nouvelle politique agricole. «Sans adaptation de ma part, je perdrai 15% de mon revenu à l’échéance des contributions de transition. On nous a toujours dit que la montagne serait privilégiée, mais finalement pas tant que ça. Pour l’estivage, les paiements directs sont un peu plus élevés qu’avant, mais avec cette prime à la surface plutôt qu’à la vache, je reste globalement perdant.»
L’agriculteur, il le sait, est loin d’être un cas isolé. «Le canton de Fribourg, en grande partie tourné vers l’élevage, est particulièrement touché. D’autant que les surfaces d’exploitation n’y sont pas bien grandes, contrairement à des régions comme le Jura.»
Pour Henri Buchs, le maintien de son niveau de vie passera donc par davantage d’écologie et d’entretien du paysage. «L’agriculture y perdra en productivité et en compétitivité. On dirait que les politiques veulent moins de production et plus d'importation.»
Autre regret: le manque d’aide aux céréaliers. «On reproche souvent aux paysans de trop importer de fourrage. En Suisse, les céréales fourragères ne sont pas assez soutenues. Si c’était le cas, on produirait peut-être moins de lait en plaine», soupire l’exploitant.
Mais le «pire problème», selon le Gruérien, reste la précipitation à laquelle les paysans et les adminis-
trations cantonales sont confrontés. «On met la charrue avant les bœufs. Les ordonnances fédérales sont à peine sorties qu’on doit tout chambouler. Les scientifiques et les gens qui nous dirigent ne connaissent pas le long terme. La nature demande du temps.»
Et Henri Buchs de conclure, inquiet: «Actuellement, on ne sait pas où on va.» FOB
-------------------
Projet pilote dans le Sud fribourgeois
Le Sud fribourgeois devrait être parmi les premières régions du canton à intégrer le programme consacré à la qualité du paysage. En effet, le projet vallée de la Jogne et Intyamon, qui couvre 84 exploitations agricoles, pour 2330 hectares de surface utile et 9500 pâquiers d’estivage, arrive à bout touchant. «Nous déposerons le dossier ces prochains jours auprès du Service de l’agriculture de l’Etat de Fribourg, qui le transmettra ensuite à Berne. S’il est accepté, il devrait prendre effet dès 2014, pour une durée de huit ans», indique François Margot, l’un des deux coordinateurs du Parc naturel régional Gruyère-Pays d’Enhaut.
«L’adoption tardive des ordonnances fédérales n’a pas facilité notre travail, mais notre statut de projet pilote a l’avantage de nous donner un peu plus de latitude. Le catalogue de mesures envisagées, qu’il ne nous est pas encore possible de préciser, devrait permettre à chaque agriculteur de trouver chaussure à son pied.» FOB
Commentaires
Emma (non vérifié)
mar, 10 déc. 2013
Ajouter un commentaire