PAR KARINE ALLEMANN
Steven Girard a montré deux choses à son arrivée à Verbier: les temps de passages qu’il avait écrits sur ses bâtons de skis, pas peu fier de constater que l’équipe a terminé avec cinq minutes d’avance sur le programme, et le billet de cent francs qu’il a emporté depuis Zermatt, histoire de ne pas perdre de temps à Verbier avant d’offrir la première tournée de bières. Dimanche, le skieur d’Estavannens et son pote Charmeysan Vincent Mabboux, associés au Valaisan Marcel Theux, se sont classés quatrièmes de la Patrouille des glaciers, avec un excellent temps de 6 h 30’17. Soit moins de trente minutes de retard sur les professionnels italiens, vainqueurs de l’édition 2014 en 6 h 01’50.
Plus disert que son camarade Mabboux, Girard ne cachait pas son bonheur. «C’est fabuleux! Je n’ai que 22 ans et j’ai la chance d’avoir eu des coéquipiers extraordinaires. On était vraiment homogènes. A aucun moment on n’a sorti l’élastique.» Revenue à moins d’une minute de l’équipe classée troisième au final (le Swiss Team II Marcel Marti, Alan Tissières et Werner Marti) au sommet de la Rosablanche, l’équipe des Gruériens ne regrette pas le podium. «Cette quatrième place, elle nous va déjà très bien, assure Steven Girard. Si tu fais un monstre effort pour revenir et tu craques, tu n’as rien gagné.»
Si les trois compères avouent chacun avoir eu un coup de mou en course, celui qui a pensé tout arrêter est Vincent Mabboux, pourtant l’homme en forme. Le problème du Charmeysan? Une chaussure qui s’est cassée vers Riedmatten. «En soi, ce n’était pas si grave, sourit le Charmeysan. J’ai surtout perdu du temps en m’énervant. Et je m’en voulais de retarder l’équipe. Alors je pensais arrêter, mais Steven m’a dit qu’on finirait à trois ou pas du tout.»
«Il était hors de question que je laisse Vincent! insiste Girard. C’est mon meilleur ami, il ne fallait même pas y penser. Et puis, j’avais de quoi bidouiller.»
Vendeur dans le magasin de sport de son patron Didier Moret, Steven Girard n’est jamais embêté pour bricoler. «J’avais pris un bout de scratch de réserve avec moi, au cas où. On peut dire qu’il nous a bien servis.»
Qu’est-ce qui a surpris le Gruérien pour cette première expérience? «L’arrivée, le temps et la place! se marre Girard. On visait une place dans les dix et un chrono de moins de 7 h. On est comblés! Surtout avec ces conditions et de la présence du gratin mondial.»
Si l’équipe française Bon Mardion, Jacquemoud et Sevennec a dû déclarer forfait avant le départ, leurs compatriotes Gachet, Blanc et Favre se sont classés deuxièmes. Quant aux gardes-frontières Troillet, Ecœur et Anthamatten, ils ont terminé à deux (non classés), Florent Troillet ayant chuté et s’étant blessé dans la descente de Bertold.
Moret, la «tronche d’enfer»
Alors qu’ils visaient eux aussi une place dans les dix, on retrouve à la sixième place Didier Moret et Cédric Remy, associés à Alexander Hug (6 h 54’28). Le Charmeysan Remy avoue avoir souffert: «On a décidé de se montrer assez prudents dans les descentes, où il y avait beaucoup de cailloux. De mon côté, j’ai eu des difficultés dans la partie de course à pied entre Zermatt et Staffel. Du coup, Didier et Alexander m’ont chacun pris un ski. Ensuite, dès qu’on a chaussé les skis, je me suis fait mal à l’aine et j’ai dû serrer les dents toute la course. Sinon, tout le monde a eu son coup de barre. Didier a eu une tronche d’enfer dans la montée du col de la Chaux. C’était impressionnant.»
Comme à son habitude, Didier Moret n’était qu’éclats de rire dans l’aire d’arrivée. «On avait décidé de faire porter la corde au petit jeune (Remy), on lui a donc pris ses skis au départ de Zermatt quand il était en difficulté. De mon côté, j’étais un peu inquiet. En préparation, je n’arrêtais pas de choper des crampes. Et, à la Barma, je me suis dit: “Cette fois, tu es cuit”. Finalement, je me suis ravitaillé, j’ai bu un peu de coca, et c’est passé. Je suis très content de cette sixième place. Même si les Italiens nous mettent plus de cinquante minutes.»
Quant à Cédric Remy, à qui un confrère faisait remarquer que son équipe remportait le classement seniors II vu l’âge de ses coéquipiers (39 ans), il a peut-être pris son plus gros coup au moral. «Avoir 26 ans et gagner en seniors II, ça fait mal...» Et de reprendre son sérieux: «A part ça, c’était génial de faire équipe avec deux anciens vainqueurs. Je peux vous dire que j’ai appris à gérer une course!»
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Squadra et ciel d’azur
Ils étaient annoncés comme les grandissimes favoris, les Italiens Damiano Lenzi, Matteo Eydallin et Michele Boscacci ont largement dominé cette édition du trentième anniversaire avec un temps de 6 h 01’50. Si le record de 5 h 52’20 n’a pas été battu, la domination a été nette. «On a commencé très vite et ensuite on a fait une très belle course, raconte Lenzi. Jusqu’à la mi-course, nous étions avec une équipe suisse. Puis on a vraiment poussé et on a réussi à prendre beaucoup d’avance. De quoi finir tranquillement, sans prendre de risque.» Contrairement aux années précédentes, les Italiens avaient préparé spécifiquement la Patrouille des glaciers, qui arrive pourtant très tard dans la saison. C’est que l’enjeu était réel pour les professionnels du ski-alpinisme, qui portent les couleurs de l’armée italienne. «Nous remportons ainsi la victoire finale dans le classement de la Grande Course, souligne Damiano Lenzi. Avec Matteo, nous avons gagné la Pierra Menta, la Mezzalama et maintenant la Patrouille. Quant à moi, j’ai aussi remporté la Coupe du monde.»
Reverra-t-on le numéro un mondial de 27 ans la saison prochaine? «Oui, sans doute. Mais il faudra voir avec quelle motivation. C’est très difficile de rester au top. Car le niveau devient très très haut.» KA
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La classe biberon des collant-pipettes
Rémi Bonnet est un moteur incroyable, de la dynamite sur pente inclinée. Mais le garçon de Charmey, 19 ans, est aussi très réservé. Alors, quand il remporte le petit parcours de la Patrouille des glaciers avec un temps exceptionnel de 2 h 58’33, il laisse volontiers son coéquipier de Marsens Baptiste Spicher (à droite) évoquer la course: «Rémi et Thomas Corthay (Vollèges) étaient faciles. Pas moi. Ils ont dû me tirer toute la montée de Rosablanche. C’est dommage. Car la saison a été nickel. Et, aujourd’hui, c’est ma plus crouille course de l’hiver. Heureusement qu’on avait Rémi avec nous!» «Quand on a des crampes, on ne peut rien faire», plaide pour sa part Bonnet, qui espérait boucler le parcours en 2 h 50 seulement. L’espoir de Charmey n’est pas fâché d’arriver au bout. «Cette victoire, c’était l’objectif de la saison. Maintenant c’est la pause et elle va faire du bien!»
Record féminin pour l’équipe franco-suisse
Sensation, dimanche dans l’aire d’arrivée de Verbier. L’équipe de Séverine Pont-Combe (Mollens), Maude Mathys (Ollon) et Laetitia Roux (Savines-le-Lac, France) a battu le record féminin avec un chrono de 7 h 27’31, soit le 13e temps scratch sur le grand parcours. «On espérait gagner, mais ce n’est qu’à la fin qu’on s’est rendu compte qu’on pouvait viser le record», souffle Maude Mathys. Quant à Séverine Pont-Combe, elle a fêté sa quatrième victoire à la Patrouille. «Dans les grandes courses, il ne me manque que la Mezzalama, rigole la Valaisanne. En tout cas, merci à tous les populaires qui nous ont fait la trace sur le parcours!»
La petite Patrouille pour une grande victoire
Nathalie Etienne en rêvait. Souffrant de fibromyalgie – une maladie qui attaque le système nerveux et qui provoque de très fortes douleurs (lire La Gruyère du 19 avril) – la jeune femme du Châtelard a beaucoup enduré pour préparer l’événement. Elle a aussi souffert en course. Mais la Glânoise est une tronche. C’est ce qui lui a permis de tenir les 8 h 40’42 entre Arolla et Verbier. Alors, au moment de franchir la ligne, les larmes étaient légitimes quand elle a serré son mari Christophe dans ses bras (photo) et remercié leur coéquipier Nicolas Débieux (Vuisternens-devant-Romont). «Merci à eux, je ne serais pas là sans eux! C’est que du bonheur, une aventure magnifique!» La jeune femme de 39 ans pensait-elle que ce serait aussi dur? «Je savais que ça le serait, mais je ne pensais pas autant. En plus, j’ai eu vraiment froid dans le col de Riedmatten, où il a fallu attendre quasiment une heure. Et puis, je suis partie d’Arolla avec énormément de douleurs. Et je suis encore tombée dans les cailloux dans la descente de Riedmatten…»
Un petit coup de stress est survenu d’entrée, mais à cause de Nicolas Débieux: «Le départ a été un peu chaud», raconte le
coéquipier. On n’avait que 1 h 45 pour arriver à Riedmatten dans les temps, et je suis tombé. Mais, finalement, tout s’est bien passé.» Christophe Etienne a lui aussi connu un coup de mou à la Barma. Et, c’est son épouse Nicole qui a dû le booster. «J’ai dû l’engueuler pour qu’il continue, sinon il aurait arrêté. Je le connais!» gronde Nathalie.
La jeune femme se réjouissait tout particulièrement de l’arrivée à Rosablanche, où l’attendait du monde. «C’était très fort. J’ai vu ma cousine, je lui suis tombée dans les bras. Ça a été dur de me remettre de mes émotions pour continuer. Puis, à l’arrivée à Verbier, les parents de Nico étaient là, les miens aussi. Ils m’ont fait cette surprise.»
Comment Nathalie Etienne est-elle physiquement au terme de la course? «A la ramasse! Et ça n’ira pas mieux demain matin quand il faudra sortir du lit. Mais ce n’est pas grave. Cette aventure, c’était surtout un grand moment d’émotion.» KA
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