Ayant franchi un cap d’habitants, huit communes du Sud fribourgeois ont dû faire le choix d’augmenter ou non le nombre de leurs édiles. Six ont opté pour le statu quo, vu les difficultés à recruter des conseillers communaux. Face à la charge de travail en augmentation ou à la complexification de la tâche, le remède passe par les fusions, selon les instances.
PAR SOPHIE MURITH ET PRISKA RAUBER
Des huit communes du Sud fribourgeois qui ont passé un cap d’habitants au 31 décembre impliquant légalement une augmentation de leurs édiles, seules deux ont décidé de s’y soumettre. A la prochaine législature, Echarlens (810 habitants désormais), va ainsi passer de cinq à sept conseillers communaux, et Vuisternens-devant-Romont (2220 habitants), de sept à neuf (lire encadré). Toutes les autres – Hauteville, Pont-en-Ogoz, Pont-la-Ville, Bas-Intyamon, Grandvillard et Villaz-Saint-Pierre – ont opté pour le statu quo. Une dérogation à la Loi sur les communes avalisée par les assemblées communales de mai.
Une grande majorité d’exécutifs a donc préféré ne pas avoir à chercher encore plus de candidats. «Vu qu’il est déjà difficile d’en trouver cinq, nous ne souhaitions pas en chercher sept, confie Marie-Claire Pharisa, syndique de Grandvillard. Sa commune, lors de la législature 2002-2006, était passée à sept édiles. «Mais alors, deux conseillers qui souhaitaient arrêter ont dû continuer.» Une expérience que Grandvillard n’a pas voulu réitérer.
A Hauteville, mêmes arguments avancés: «Considérant que nous avons tout juste franchi la limite (620 habitants) et après avoir longuement réfléchi, nous avons décidé de rester à cinq conseillers. Vu que sur ces cinq, un ou deux ne vont pas rempiler à la prochaine législature, nous nous sommes dit qu’en trouver trois ou quatre allait être vraiment difficile», explique le syndic Jean-Marie Castella.
Connaissances juridiques
Le problème est évidemment la charge de travail des conseillers communaux, toujours plus importante. «Je n’ose pas calculer le nombre d’heures que je passe pour la commune! lance Marie-Claire Pharisa. Plusieurs centaines par année, c’est sûr.» En dossiers à étudier, en discours et en séances à préparer, sans compter en soirées, plusieurs par semaine, à consacrer aux diverses associations de communes.
A cette augmentation de la charge de travail s’ajoute sa complexification. «Le problème n’est pas tant les citoyens qui ne s’engagent pas, mais plutôt la législation qui s’intensifie», relève la syndique. Face à ce constat d’ailleurs, la commune du Pâquier, par exemple, a pris le parti à la prochaine législature de doter davantage l’administration que l’exécutif. «Pour faire face aux traitements des permis de construire ou à la gestion du service des habitants», indique la syndique Antoinette Badoud.
Depuis bientôt un quart de siècle qu’il siège au sein de l’Exécutif d’Hauteville, Jean-Marie Castella a été témoin de cette évolution. «La fonction exige aujourd’hui énormément de compétences et de connaissances juridiques.» Mais pour lui, contrairement à Marie-Claire Pharisa, les difficultés à recruter des édiles tiennent aussi au manque de motivation des citoyens à s’engager pour la chose publique. «Il n’y a qu’à voir le peu de personnes présentes aux assemblées.»
Dans un sens, il peut le comprendre. «Nous devenons de plus en plus les exécutants des règlements et des plans directeurs édictés par l’Etat. Nous avons de moins en moins de marge de manœuvre et la critique de plus en plus facile des citoyens retombe sur nous. Il faut avoir la peau dure quand même pour assumer cette fonction. Et être passionné… On en trouve qui ont cette passion, il y en a, mais pas beaucoup.»
Avantage des fusions
Le chef du Service des communes, Gérald Mutrux, ajoute l’attitude des employeurs à la liste des difficultés de la fonction de conseiller communal. «Autrefois, ils acceptaient de libérer leurs employés pour la chose communale, voire de momentanément baisser leur taux d’activité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.» La crise économique est passée par là.
En observateur privilégié des communes, le chef de service comprend les exécutifs qui choisissent de ne pas augmenter leur effectif. «Mais il me semble que concentrer toute cette charge de travail sur un plus petit nombre induit ensuite plus facilement des démissions en cascade.» Et d’indiquer qu’à fin avril, 260 démissions de conseillers communaux ont été enregistrées dans le canton. «Soit 20%. Soit un sur cinq. C’est beaucoup!» En Gruyère, le chiffre se monte à 24%, le double de la législature précédente.
Pour soulager les élus de cette charge toujours plus grande et plus ardue, Gérald Mutrux comme le préfet de la Gruyère Patrice Borcard estiment nécessaire de pouvoir disposer d’une structure administrative technique. «Car être conseiller communal aujourd’hui, c’est devoir être un peu architecte, un peu ingénieur, un peu juriste, etc., souligne le préfet. C’est autant être dans la stratégie, les procédures, que sur le terrain, à prendre des mesures, voire à changer une hydrante…» Pouvoir compter sur le soutien technique de l’administration paraît dès lors essentiel.
«Mais disposer d’un administrateur communal n’est pas toujours évident, surtout pour les petites communes, concède Gérald Mutrux. Il faut au moins pouvoir proposer un 80%, donc avoir une certaine taille, un certain nombre de citoyens…» Tant pour le préfet que pour le chef de service, le remède aux maux des exécutifs passe donc par les fusions.
Fusions qui permettent aussi, selon Gérald Mutrux, de disposer d’un bassin de population plus grand pour y puiser de futurs conseillers. «Il est tout de même plus facile de trouver cinq conseillers communaux dans une population de 2000 habitants que de 200 habitants.» Le renouvellement des autorités en février prochain, qui s’annonce périlleux, finira sans doute d’en convaincre plus d’un.
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Le coup de poker d’Echarlens
Augmenter le nombre de conseillers communaux pour diminuer leur charge de travail. Vuisternens-devant-Romont et Echarlens ont fait ce choix. Dès 2016, leur Exécutif comptera deux membres de plus qu’actuellement. «Nous sommes conscients qu’il nous sera probablement difficile de trouver du monde pour les nouveaux postes en plus de combler les départs de fin de législature, précise le syndic d’Echarlens Antoine Gremaud. Une crainte que ne partagent pas ses homologues glânois. «Mais nous aurons un argument pour convaincre: la charge de travail sera moindre», estime Antoine Gremaud. Lors de la dernière assemblée, il a déjà encouragé ses concitoyens à envisager de consacrer du temps à la chose publique. «Notre système politique l’exige. Une commune est gérée par ses citoyens.» Depuis 2011, quatre conseillers ont jeté l’éponge. «Une fois casés dans l’agenda, la famille, le travail et la commune, il ne reste plus beaucoup de temps pour les loisirs, concède l’élu, qui avait consulté son employeur avant d’accepter la syndicature. Il estime à un 15% la charge de travail effectuée pour la commune. «Je terminerai bientôt ma deuxième législature et je ne regrette aucune des heures consacrées. La tâche est exigeante, mais passionnante. J’ai beaucoup appris.»
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