«Un jour, la lutte évoluera encore. Mais pas à Estavayer...»

| sam, 27. fév. 2016

Le coup d’envoi de la Fête fédérale Estavayer 2016 sera donné dans très exactement six mois. Vice-président du comité d’organisation, Gaby Yerly évoque ce sport qu’il aime tant et dit en quoi la lutte évolué, sans changer vraiment. Aujourd’hui coresponsable du Pavillon des prix, le Glânois de 52 ans reste le meilleur lutteur que la région ait compté.

PAR KARINE ALLEMANN

Il se trouve que le meilleur lutteur gruérien est… Glânois. Avec 87 couronnes, dont quatre fédérales, Gaby Yerly est un monument de la lutte suisse. Une référence. Aujourd’hui vice-président du comité de pilotage d’Estavayer 2016, l’agriculteur de Berlens (52 ans) se veut le garant d’une certaine tradition. Mais l’homme est trop fin pour bêtement camper sur des positions rétrogrades. «Aujourd’hui, nous observons une certaine ouverture avec le sponsoring individuel de quelques lutteurs. Et c’est très bien. Toutefois, je pense qu’il ne faut pas aller au-delà. Un jour, peut-être que ça évoluera encore. Mais pas à Estavayer.»
Habile pédagogue quand il est consultant pour la RTS, Gaby Yerly est aussi un sensible, comme souvent les lutteurs. Le regarde se voile et la voix tremble un peu quand il parle de son engagement pour la lutte, «parce que c’est quelque chose qui… en fait, c’est toute ma vie». Et quand il se souvient de sa victoire au Stoos, avec ce public suisse alémanique qui l’avait fêté «comme un des leurs», ou des adieux d’Hans-Peter Pellet, à la Fête fédérale de Frauenfeld. «Pellet venait d’être battu par Abderhalden. Il a jeté sa culotte en l’air et le public a compris: 47500 spectateurs se sont levés d’un coup. Je n’avais jamais vu ça: les cinq associations qui honorent un lutteur de la sorte… Abderhalden aussi venait de disputer sa dernière passe. Mais, il n’a pas pu communier avec le public. Soutenu par des sponsors, il a dû annoncer sa retraite en conférence de presse…»
Le Glânois n’a jamais eu le statut de semi-professionnel. Mais il a fait partie de la première génération à s’entraîner cinq ou six fois par semaine. «Comme une partie des lutteurs aujourd’hui encore, nous étions professionnels le dimanche et amateurs le reste de la semaine. Ce qui change beaucoup, pour ceux qui sont soutenus financièrement, c’est le repos. Quelque chose dont personne ne nous avait jamais parlé à l’époque. Nous nous levions tôt pour travailler, nous nous entraînions tous les soirs et, le dimanche, il y avait une fête. L’hiver, je pratiquais encore la lutte libre. Nous étions des machines à nous battre et notre corps l’a lourdement payé. Personnellement, j’ai eu quatre blessures au ménisque, ainsi qu’aux ligaments croisés, internes, externes… Et à l’épaule. La tête voulait, mais le corps n’en pouvait plus.»
Si l’arrivée des sponsors privés dans la lutte peut donc permettre aux athlètes de s’entraîner davantage, et surtout mieux, le Glânois prévient néanmoins: «Je ne connais aucun marché où celui qui paie ne commande pas. Alors, tant que la lutte garde la mainmise sur la tradition et le règlement, j’adhère. Mais qu’est-ce qui pourrait arriver si, un jour, notre sport est en perte de vitesse? Heureusement, on n’en est pas là. A Estavayer, on parle d’une arène de 52000 places et ce sera très difficile de trouver une place.»
Gaby Yerly a été stoppé par une énième blessure au genoud, deux mois avant la Fête fédérale de Coire, en 1995. De quoi nourrir des regrets? «Honnêtement, je ne vis jamais de regrets. La dernière année, le plus difficile avait été de trouver la motivation de me présenter à une dernière Fédérale. Je n’avais pas perdu la foi, mais cette bave qui coule au coin des lèvres et qui montre qu’on va tout faire pour gagner. C’est vrai que je n’ai pas choisi ma fin de carrière. Mais j’aime autant avoir arrêté avant que d’autres pensent que j’aurais dû le faire.»
Lutteur pendant vingt-trois ans – il a remporté sa première fête en actifs à 16 ans – l’homme a ensuite cumulé toutes les fonctions. Qu’est-ce qu’il aime tant dans son sport? «La lutte, c’est deux personnes qui se serrent la main, qui se regardent dans les yeux et qui, au final, vont se mesurer pour savoir lequel des deux est le plus fort. Tout cela, dans un esprit de profond respect.»
N’est-ce pas là une vision un peu romantique d’un sport où, forcément, les tricheurs existent aussi? «Bien sûr. Mais ça, c’est l’être humain: il est comme il est. Si on me demande à moi, pourquoi j’aime la lutte, c’est ma réponse. Ce sont les valeurs que je défends et je fais partie de la génération qui veut encore y croire.»

 

------------------------

 

«Les Alémaniques ne se sont pas endormis»


Comment s’est fait votre engagement dans le comité d’Estavayer 2016?
Je n’avais pas fait partie du comité de candidature. En revanche, avec Albert Bachmann et Guido Sturny (n.d.l.r.: ancien président de l’association fribourgeoise) j’étais dans le bureau du Conseiller d’Etat Georges Godel, candidat à la présidence de l’organisation, quand il l’a refusée. Nous nous sommes tournés vers Albert Bachmann pour qu’il prenne le poste. Il s’est levé, m’a serré la main, et m’a dit: «J’accepte, pour autant que tu prennes la coprésidence».

Vous avez aussi la coresponsabilité du Pavillon des prix, un élément phare de la fête. Comment sponsoriser un lot?
Nous avons budgétisé une valeur totale d’un million. Nous n’avons pas encore atteint ce chiffre, mais ce sera le cas pour le fin août. Nous souhaitons même le dépasser. Nous devons prévoir 480 lots: 280 pour les lutteurs, une centaine pour les lanceurs de pierre et le reste pour les joueurs de hornuss. Si une entreprise souhaite sponsoriser un prix, elle peut le faire par tranche de 1000 francs. Avec une possibilité d’acheter un billet pour la fête à chaque 1000 francs.

Quels seront les prix?
L’emblème de la fête, c’est le taureau. Il est l’unique prix obligatoirement lié au roi, qui repartira avec Mazot de Cremo. Ensuite, dans l’ordre du classement, les lutteurs pourront tous choisir un lot, notamment des prix vivants. Notre objectif a été de mettre en avant l’excellence de l’élevage fribourgeois, avec des bêtes proposées uniquement par des éleveurs expérimentés et très connus. Ces prix-là sont les seuls où le lutteur à la choix: il peut repartir avec le licol, ou avec une enveloppe comprenant le prix de la bête, soit plusieurs milliers de francs. Tous les autres lots sont en nature. Il y aura un chargeur télescopique pour la manutention, une cuisine entière, des voitures… Personnellement, je suis très attaché à cette tradition des prix. Quand je me promène dans mon Schwinger-Stübli (cabanon), j’ai quasiment une anecdote pour chaque cloche.

Estavayer 2016, c’est dans six mois très exactement. La pression monte?
Le boulot est encore immense, mais nous sommes dans les temps. La vente des billets est prévue vers mai-juin. Si on se réfère à Berthoud, quand ils ont vendu les 4000 billets disponibles pour le public (sur les 52000 places de l’arène), ils ont eu 1200 clicks par seconde. La gamme de prix s’étendra d’environ 80 francs à 215 francs dans la tribune couverte, pour les deux jours. Surtout, ce qu’il faut bien savoir, c’est que seule l’arène sera payante. Tout autour, nous avons prévu de nombreuses animations, des concerts et des écrans géants pour la compétition. Il y aura vraiment de quoi vivre la fête gratuitement.

Cette fête devra jongler entre modernité et tradition. Comment jouer sur les deux tableaux?
Le terme que j’aime bien, c’est innover dans la tradition. Je suis intimement persuadé que la technique de notre sport n’a pas changé: un kurz reste un kurz. Mais la lutte a évolué. Aujourd’hui, nous parlons d’un budget très important, environ 25 mio pour Estavayer. Nous demandons à des entreprises de nous soutenir avec de gros montants, mais nous leur interdisons de mettre une publicité dans l’arène. Aussi longtemps que cela pourra fonctionner ainsi, tant mieux. La touche fribourgeoise sera que nous avons pu négocier avec nos sponsors principaux pour mettre en avant les produits régionaux.

Sur le plan sportif, on se souvient de la débâcle 2013 à Berthoud, où les Romands n’avaient obtenu aucune couronne fédérale. Combien peuvent-ils en espérer en août prochain?
Il n’y avait pas eu que Berthoud. Au Kilchberg (fête organisée tous les six ans avec les 60 meilleurs lutteurs), sur 16 passes disputées, les Romands en avaient perdu 15 et obtenu une seule nulle. C’est sûr que la marge avec les Alémaniques est très importante. Maintenant, je pense qu’une partie des lutteurs a compris dans quelle arène ils allaient se retrouver à Estavayer, et les efforts qu’ils doivent fournir pour augmenter leurs chances de couronne. Mais, il ne faut pas oublier que tout le monde fait le même travail. Les Suisses alémaniques ne se sont pas endormis en attendant que les lutteurs romands rattrapent leur retard.

Quel regard avez-vous sur Benjamin Gapany, plus sûr espoir gruérien de couronne fédérale?
Benjamin est un très bel athlète, je l’aime beaucoup et je lui souhaite d’y arriver, car je sais qu’il s’entraîne énormément. Mais, moi qui était connu pour ma rapidité, je dirais qu’il doit continuer de travailler ce domaine. Des gros bras, il y  a en a beaucoup. Or, selon moi, la vitesse gagne toujours sur la force. Quand votre adversaire a les deux pieds en l’air car vous avez tiré plus vite que lui, il a beau être fort, il a quand même les deux pieds en l’air… KA

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses