Le canton a présenté hier son projet de valorisation par l’image des traditions vivantes. Des photographes professionnels sont mandatés pour poser un regard innovant sur ce patrimoine immatériel. Chacun peut aussi apporter ses contributions, qui feront l’objet d’une publication, d’expositions…
PAR ERIC BULLIARD
«Un thème innovant qui a une longue histoire», résume Jean-Pierre Siggen. Le directeur de l’Instruction publique, de la culture et du sport présentait hier à la presse le projet Traditions vivantes en images. Son but: stimuler un regard contemporain sur ce patrimoine fribourgeois, en particulier à travers les photographies de professionnels et d’amateurs.
«Ces traditions sont vivantes, ce qui signifie qu’elles évoluent et sont revisitées, relève Jean-Pierre Siggen. Elles deviennent sources de création et d’inspiration.» Directrice du Musée gruérien, qui coordonne le projet, Isabelle Raboud-Schüle ajoute que «pour les valoriser, il y a un besoin de renouveler leur image». De «faire de ces traditions un sujet d’actualité, un sujet pour l’art contemporain. Montrer qu’elles nous parlent d’aujourd’hui et pas seulement du passé.»
Cheffe de ce projet, la photographe Mélanie Rouiller résume ses buts en trois verbes. Innover, d’abord, c’est-à-dire «proposer d’autres approches, d’autres angles photographiques et sortir des clichés». Partager, ensuite, et donc permettre à chacun (porteurs de traditions, spectateurs, participants…) d’apporter son propre regard. Et relier enfin, en profitant des réseaux sociaux pour mettre en relation toutes les personnes intéressées, les institutions gérant des fonds patrimoniaux…
Deux premiers mandats ont été confiés à des photographes professionnels: Pierre-Yves Massot a posé son regard sur la Saint-Nicolas de Fribourg, en se concentrant essentiellement sur le public, alors que Corinne Aeberhard s’est intéressée à la Saint-Antoine, à Brünisried. Une fête qui voit des pèlerins affluer pour que soient bénis leurs chiens ou leurs chevaux.
D’amateurs et d’archives
Par la suite, les traditions documentées par des professionnels seront choisies soit parce qu’elles demeurent peu illustrées, soit parce que les images existantes peinent à sortir du convenu. «Pour le théâtre en patois, par exemple, nous avons surtout des photos de représentations en scène», remarque Isabelle Raboud-Schüle. Alors que d’autres angles peuvent se révéler intéressants, comme le travail effectué par les jeunes pour apprendre le patois.
Au-delà de ces cartes blanches aux professionnels, le projet se veut participatif et ouvert à tous. Les membres des photos-clubs sont notamment invités à présenter leurs portfolios sur la plate-forme internet (www.traditionsvivantesenimages.ch). Leurs images pourront ensuite être archivées par le site www.notrehistoire.ch, l’un des partenaires. De même, les associations porteuses de traditions peuvent partager leurs archives.
Privilégier l’innovant
Sur les comptes Facebook, Instagram et Twitter créés pour l’occasion, chacun a également le loisir de proposer ses images. «Nous irons capter celles qui sortent du lot», souligne Mélanie Rouiller. En privilégiant les regards différents, insolites ou innovants sur les traditions. Ceux qui évoquent par exemple les préparatifs, les coulisses, le public.
Outre le site internet, le projet prévoit différentes mises en valeur. Les photos de Pierre-Yves Massot feront l’objet d’une exposition à la Bibliothèque cantonale et universitaire, fin 2016. Le Musée de Morat en montera une autre en juin 2017, en lien avec les commémorations de la bataille de Morat. Et, à Charmey, le Musée s’intéressera aux courses de charrettes, en 2018.
Aussi au Belluard
Les résultats de la collecte d’images se retrouveront également dans une publication, en partenariat avec la collection Regards retrouvés et les Editions La Sarine. Enfin, comme pour rappeler que les traditions ont bien leur place dans l’art contemporain, le festival Belluard Bollwerk International a placé son édition 2016 sur le thème «Living traditions». Sept projets ont été retenus (trois suisses et quatre étrangers) et seront créés du 23 juin au 4 juillet. Avec les accueils, les traditions vivantes concerneront la moitié environ du programme du BBI 2016.
Soutenu par Pro Helvetia (qui cofinance l’ensemble, budgétisé à 270000 francs), ce projet pilote doit durer jusqu’en 2018 au moins. «Fribourg est ici particulièrement innovant, se réjouit Philippe Trinchan, chef du Service de la culture. Nous espérons ainsi donner une impulsion qui ne va pas s’arrêter dans trois ans.»
www.traditionsvivantesenimages.ch
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A boire et à manger, à chanter et à fêter
En 2003, l’UNESCO adoptait une convention visant à entretenir et à valoriser le patrimoine culturel immatériel. La Suisse l’a ratifiée en 2008 et a confié aux cantons la mission d’établir un inventaire de leurs traditions vivantes. La liste fribourgeoise, qui reste ouverte et extensible, a été publiée en 2012 et contient une septantaine de traditions, dont 46 font l’objet de descriptions détaillées.
L’inventaire se fonde sur trois critères: ces traditions doivent exister depuis au moins deux générations, être en évolution constante et donner un sentiment d’identité et de continuité aux communautés ou groupes qui la pratiquent. L’UNESCO distingue cinq catégories: expressions orales, arts du spectacle, pratiques sociales, nature et univers, artisanat traditionnel.
Autant dire que l’on trouve à boire et à manger, à chanter et à fêter dans la liste fribourgeoise. La bénichon côtoie le Ranz des vaches, les carnavals succèdent au chant choral, le Valete du Collège St-Michel aux rites de la Semaine sainte (comme les pleureuses de Romont et les tapolets de Rue et Romont). On trouve aussi le théâtre en patois, les fêtes cantonales des musiques, des pèlerinages (à Notre-Dame des Marches comme à la maison de Marguerite Bays), le Rallye de la Madone des Centaures, la pratique du secret…
Une «culture commune»
Du côté agricole, la liste comprend les désalpes (Charmey, Semsales, Albeuve), la saison à l’alpage, la Schafscheid de Bellegarde. Côté sports, la course Morat-Fribourg et des fêtes de lutte. L’artisanat comprend aussi bien les dentelles de la Gruyère que la peinture de poyas et le tavillonnage.
«Ces traditions sont l’expression de notre culture commune et un élément de l’identité des Fribourgeoises et des Fribourgeois», a relevé le conseiller d’Etat Jean-Pierre Siggen, hier au moment de présenter le projet de valorisation par l’image de ce patrimoine. Maintenir la vie de ces traditions, a-t-il ajouté, peut aussi aider à favoriser l’intégration de nouveaux arrivants dans le canton. EB
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