Maria, gardienne de la tour

| mar, 12. avr. 2016

Les concierges tendent à disparaître au profit des sociétés de nettoyage. Leur disponibilité et leur polyvalence les rendent pourtant indispensables. Rencontre avec Maria Fernandes, aux Trois-Trèfles à Bulle, une concierge «comme on n’en fait plus».

PAR FRANÇOIS PHARISA

Tous les habitants de la tour des Trois-Trèfles, à Bulle, la connaissent. Bricoleuse, référente, assistante, parfois confidente ou amie. Elle est le réceptacle des frustrations pour une buanderie qui tarde à se libérer, elle est la dépositaire des dernières nouvelles entendues au café, elle est celle sur qui on peut compter. Maria Fernandes, 48 ans, concierge de l’immeuble le plus emblématique de la ville, est un peu tout cela à la fois.
On la retrouve en cette fin d’après-midi. Elle sort de l’ascenseur. Un chiffon pour les vitres et un trousseau de clés dans les mains. Elle arbore bijoux, rouge à lèvres et fard à paupières. Elle rayonne. Et assure n’avoir pas «fait tout ça seulement pour les photos», auxquelles elle se prête volontiers. Seul le haut brodé remplace le pull «moins dommage» porté habituellement. Et la blouse bleue en nylon alors? «Je suis coquette, j’aime avoir une bonne présentation. Il n’y a pas de tablier qui fasse.» On est loin du stéréotype véhiculé par une autre Maria, gardienne d’un immeuble bourgeois parisien dans le film La cage dorée. Mais il est un autre préjugé qui s’applique parfaitement à Maria des Trois-Trèfles: l’amour du travail bien fait.

En haut, en bas, en haut…
Du lundi au samedi, elle assume la conciergerie «quatre à cinq heures par jour». La régie ne l’oblige pas à en faire autant, elle le fait «par plaisir». L’aspirateur d’abord, puis la patte à récurer. En haut, en bas. Sur quinze étages. Dans la tour, «le 2» comme elle l’appelle (de par le numéro de l’immeuble), puis dans le bloc d’à côté, «le 4-6», qui fait également partie du complexe des Trois-Trèfles. Le troisième bâtiment, attenant à la tour, est tenu par un autre concierge. «Je le ferais s’il le fallait», lance-t-elle, le ton de sa voix trahissant un mince regret.
L’aspirateur et le récurage donc, mais aussi le contrôle des panneaux électriques ou de la chaufferie, le coup de balai devant l’entrée et le dépoussiérage des trois ascenseurs. «Tous les soirs, même le dimanche, je fais les ascenseurs. C’est exclu d’aller me coucher sans que je les aie
aspirés et que j’aie nettoyé les miroirs.» Maniaque? «Minutieu­se et consciencieuse», elle préfère, même si elle concède en «faire un peu trop. J’aime que l’immeuble soit propre et je pense que les locataires se sentent mieux s’il en est ainsi.»
Ce rythme, elle le tient depuis huit ans maintenant. Quand elle a succédé à Denise Millasson, habitante de la tour, qui a exercé la tâche pendant vingt-trois ans avec son mari Denis. «Quand il est décédé, j’ai cherché quelqu’un pour reprendre la conciergerie, se souvient-elle. J’ai tout de suite pensé à Maria, puisqu’elle faisait déjà le ménage chez des particuliers. A peine avais-je commencé à lui parler sur le palier qu’elle m’avait répondu oui.» Une chance, tant la recherche d’un concierge peut s’avérer un casse-tête.

Le grand départ
Maria Fernandes quitte son village natal, Pedraça, dans le district de Braga au nord du Portugal, en 1987. Elle a 21 ans. «J’ai rejoint mon mari qui était parti deux ans auparavant pour trouver du travail.» Elle est alors la seule de la famille à faire le choix du grand départ. Ses quatre frères aînés, sa grande sœur et sa maman vivent encore au Portugal. «Ma maman a 95 ans et elle est en pleine santé. Elle s’occupe encore des tâches ménagères dans la maison familiale.» Son village et sa maman, elle les retrouve une ou deux fois par année, le temps de quelques jours seulement. «Je n’y vais jamais plus d’une semaine, je m’ennuie vite sans le boulot», fait-elle remarquer, précisant qu’une fois la retraite venue, elle passera davantage de temps au pays.
Arrivée en Suisse, elle travaille d’abord à mi-temps pour garder des enfants dans une famille, puis pendant vingt-cinq ans chez Cailler, à Broc, pour le compte d’une société de nettoyage. Elle n’a jamais connu d’autre maison que les Trois-Trèfles, où elle a emménagé à quatre reprises. D’abord au 3e étage dans un 2 pièces et demi, puis dans un studio au 11e, un 3 pièces et demi au 2e et, enfin, au 11e à nouveau dans un 4 piè­ces et demi. «Quitter l’immeuble est inimaginable. J’aime cet endroit. La vue est superbe», s’enthousiasme cette maman de trois enfants.

Souvent «dans l’escalier»
Le rôle de concierge ne s’arrête pas à la poutze. Il est une personne clé de la vie sociale de l’immeuble. Souvent «dans l’escalier» comme on dit, il veille à ce que les règles en vigueur soient respectées. Qu’aucun objet ne soit entreposé devant les portes des appartements, que la clé de la buan­-
derie soit rendue à l’heure, qu’aucun autocollant ne soit appliqué aux nouvelles boîtes aux lettres… Trois des treize usages du règlement interne de la maison, affiché en bonne place dans le hall d’entrée. «Il faut savoir se montrer ferme. Certains me prennent parfois pour leur boniche. Il y en a même un qui m’a menacée une fois.» En cas de litiges – et il y en a dans deux immeubles de 150 personnes – elle dit pouvoir compter sur son «bras droit», le gérant.
Mais généralement, assure-t-elle, les relations sont amicales. «Il y en a même qui m’ouvrent leur porte et m’invitent à prendre le café. Si j’acceptais à chaque fois, je ne terminerais pas le travail avant le soir», relate-t-elle dans un éclat de rire. Elle aime taper la discute, devant les boîtes aux lettres ou sur le palier. Comme toute bonne concierge qui se respecte.
Discuter, mais aussi écouter. «Certains ont parfois juste envie de parler. Un concierge est un peu un assistant social.» Un aide à domicile aussi. Quand des personnes âgées ont besoin d’un soutien pour entretenir leur appartement, pour faire leurs courses ou même pour s’habiller. «Je m’inquiète pour elles. Si je ne croise pas certains locataires pendant deux jours, je vais sonner à leur porte.» Plutôt que concier­ge, elle rêvait de devenir infirmière. Sa fille aînée Barbara, 26 ans, a suivi cette voie. Pour la plus grande fierté de sa maman.

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«Jamais un minon qui voltige»
«Gentille», «serviable», «formidable»… Les locataires ne sont pas avares en éloges quand ils évoquent leur concierge. Et qui mieux qu’eux pour en parler? Marie-Madeleine Desbiolles réside dans la tour des Trois-Trèfles depuis 1990. Elle loue la disponibilité de Maria Fernandes. «Lors de ma première utilisation des nouvelles machines à laver, j’ai fait une mauvaise manœuvre et tout était bloqué, se rappelle-t-elle. Maria n’était pas dans l’immeuble, alors je l’ai appelée et elle a pu me dépanner par téléphone.» L’omniprésence du portable a fait évoluer le métier. Les locataires attendent de leur concierge qu’il soit joignable à toute heure. «On peut l’appeler quand on veut, elle a toujours des réponses aux questions», raconte Françoise Castella, habitante de la tour depuis trente ans.
Pour Christiane Frossard, elle aussi figure incontournable de l’immeuble – elle y vit depuis 1968 – «Maria travaille presque trop. Il n’y a jamais un minon qui voltige». D’ailleurs, un locataire le lui avait même reproché, prétextant que l’augmentation des charges était due à son surplus de travail… Pour sa part, Denise Millasson, ancienne concierge des Trois-Trèfles, concède volontiers en rigolant: «Maria est toujours souriante et très agréable, même plus que je ne l’étais».
Luis Clara, gérant de l’immeuble pour Gruyère-Immo SA, ne tient pas un autre discours. Il remarque «qu’il n’y a plus beaucoup de concierges comme Maria,
aimant leur métier et ne travaillant pas seulement une heure de temps en temps». FP

 

 

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