L'évolution est en marche

| sam, 10. sep. 2016
Source: Régine Gapany

Sport jeune, la highline pratiquée en montagne se réinvente au fil du temps. Une vingtaine de spécialistes européens sont ce week-end au sommet du Moléson. Le Zurichois Samuel Volery est l’un de ceux qui l’a le plus influencée. Il raconte son évolution.

Par KARINE ALLEMANN

Oh my lord! Les touristes qui empruntent la télécabine ce week-end pour gravir le Moléson n’ont pas fini de s’exclamer. A l’approche du sommet, les silhouettes des nouveaux funambules se baladent dans le ciel, en équilibre sur des fils. L’image est saisissante et il y a toujours autant de poésie à les voir évoluer sur leur sangle souple de 2,5 centimètres. Ils portent des habits colorés, ont parfois des looks improbables, et marchent les pieds nus au milieu des nuages. Depuis jeudi et jusqu’à dimanche, une bonne vingtaine des meilleurs spécialistes internationaux participent aux Rencontres européennes de highline organisées pour la troisième fois par unebonneidee.ch.
Jeudi matin, ils étaient déjà quatre à avoir traversé sans tomber la plus longue des huit lignes installées entre le sommet et la crête de Tremetta, au-dessus de la combe de Bonnefontaine. Soit 573 mètres. Une réussite incroyable en comparaison de la première édition 2014, quand personne n’avait réussi une ligne de 120 mètres qui semblait folle pour l’époque.
Apparue dans les années 1980 aux Etats-Unis, la highline est la version vertigineuse du sport appelé slackline, que l’on pratique souvent sur une sangle tendue entre deux arbres à quelques centimètres du sol. Elle a largement évolué ces dernières années. Coorganisateur de la Rencontre de ce week-end, le Zurichois Samuel Volery (32 ans) est l’un des hommes à l’avoir le plus influencée. Après avoir découvert la slackline «avec un physio à la suite d’une rupture des ligaments d’un genou», il fait désormais partie du top 5 mondial de la discipline. Un sport perçu comme extrême, mais pratiqué comme une aventure intérieure.
«La plus grande évolution de la highline, c’est le savoir faire que l’on a acquis. Quand j’ai voulu m’y mettre, il y a dix ans, je ne savais pas où trouver des informations. Avec le temps, on a appris à connaître le rôle du vent, l’importance de la tension sur la back-up line (deuxième ligne de secours) et plein de détails comme ça.»
En fait, les tâtonnements du Zurichois ont changé la manière de pratiquer. «A l’époque, il était interdit de tomber. Les gars n’avaient qu’une corde fine qui les sécurisait disons à… 99%. Ils marchaient sur des lignes de 50 mètres maximum. Moi, j’ai adapté notre matériel avec quelque chose de confortable et de beaucoup plus sécurisé. Avec une corde plus épaisse et moins violente pour le corps, j’ai “inventé” le leashfall (n.d.l.r: quand le highlineur tombe de la ligne et est retenu par une corde de sécurité). Beaucoup se sont mis à faire la même chose et, depuis qu’il est facile de tomber puis de remonter sur la ligne, les records ont explosé. Tout le monde ose sortir de sa zone de confort et essayer des trucs impossibles.»
Plus freestyle
Pour Samuel Volery, la deuxième grande évolution de ce sport concerne la mentalité avec laquelle on le pratique. «Les gens commencent à vraiment jouer sur la ligne. Avant, c’était plutôt une mentalité alpine: il fallait réussir à marcher d’un point A à un point B. Désormais, une fois qu’ils ont réussi une ligne, les meilleurs highlineurs du monde ont envie de s’amuser. On peut jouer avec la bonce (le rebond après une chute) ou carrément surfer en se balançant de 6 ou 7 mètres d’un côté à l’autre. C’est beaucoup plus freestyle. D’ailleurs, je pense que, dans quelques années, les records n’intéresseront plus personne. Parce que la longueur sera sans limite.»
C’est que les records sont difficiles à suivre pour le public. La ligne de 573 mètres telle que proposée à Moléson établit un record sur une sangle en polyester. Mais, en avril, le Français Nathan Paulin (présent l’année dernière en Gruyère) avait franchi 1020 mètres grâce à un matériel différent. «Il rend la marche plus facile, mais, pour moi, il est moins sûr. Je préfère rester avec du low tech (technique de base).»
Sport jeune, la highline s’invente au fil du temps. Parfois dans des versions pour le moins originales. Comme tendre une ligne entre deux montgolfières, organiser des spacenets (des sortes de plateformes hamacs au-dessus du vide et reliées par des highlines), ou quand la ligne sert de point de départ aux adeptes de basejump. «Les montgolfières, je trouve ça assez cool. Et le spacenet a un côté très social. Tout le monde se retrouve dessus, c’est assez marrant. En revanche, le basejump n’a rien à voir avec nous. Ce sont les mêmes fous qui se jettent directement dans le vide en faisant de l’escalade.»
Le projet impossible
Pour Samuel Volery, et la grande majorité des spécialistes, c’est le projet qui compte vraiment. Comme celui que le Zurichois a mené il y a trois semaines dans le Churfirsten (Préalpes saint-galloises). «Il y avait une hauteur directe de 250 mètres (la hauteur de vide sous la ligne) et indirecte de 1500 mètres (le vide sur les côtés). C’est un des trois plus gros projets de highline jamais réalisé. Nous l’avions tenté il y a une année, mais la foudre avait détruit la ligne. Et tout le monde nous traitait de fous! Que c’était impossible! On y est retourné cette année et on l’a fait. Avec le Tessinois Ando Franscini et le Néérlandais Tijmen van Dieren, nous avons réussi les 540 mètres. C’est moins long qu’ici au Moléson, mais c’était beaucoup plus difficile. Surtout pour installer les lignes dans la montagne. Nous étions vingt personnes pour le faire. Ce succès a été celui de toute l’équipe.»
Diplômé de l’EPF Zurich en science du mouvement humain, Samuel Volery est highlineur professionnel et gagne sa vie en donnant des cours, en proposant des démonstrations et aussi grâce à son entreprise de production et de vente de slakline. Quel est son plaisir sur la ligne? «Sentir que ça commence à fonctionner, quand une ligne paraissait impossible et qu’elle devient contrôlable. Oublier tout ce qu’il y a autour. C’est un état méditatif qui se rapproche du yoga.»
Rencontres européennes de highline au sommet du Moléson, samedi, 9 h à 23 h, dimanche, 9 h à 16 h

Pablo, 17 ans, avance à l’aveugle
Pablo Signoret a 17 ans et il fait partie de la nouvelle génération de highlineurs, celle qui s’est enrichie de l’apprentissage des anciens. Dès son premier essai, il a traversé sans chute la plus longue ligne de Moléson. Décrit comme l’un des grands talents de ce sport, le jeune homme des Hautes-Alpes ne pratique que depuis trois ans. «J’étais dans un parc et j’ai vu des gens qui avaient tendu une slackline. Depuis, je n’ai jamais arrêté.»
Pourquoi avoir pris de la hauteur? «Marcher dans le vide, c’est le rêve de tout le monde, non? J’adore le fait de réussir à tout contrôler, à marcher comme si on était au sol. Personnellement, ce n’est pas du tout l’adrénaline que je recherche. C’est le contrôle de soi. Et puis, il n’y a pas de compétition entre nous. On se tire la bourre entre potes.»
Son bac en poche depuis juin dernier, Pablo Signoret se consacre à la highline cette année, rétribué pour des démonstrations ou grâce à la vente de vidéos. Pense-t-il, comme Sam Volery, que la course aux records sera bientôt obsolète? «Pas tout à fait. En revanche, où je suis d’accord avec Sam, c’est que les records ne seront plus basés sur la longueur. On voit aujourd’hui que nous sommes de plus en plus nombreux à réussir des lignes de 600 mètres. Les gens vont rechercher la difficulté. Et la montagne. Les pratiquants verront deux sommets et auront envie de tendre une ligne dans des endroits incroyables. Il y a un mois, on a fait un truc énorme dans le massif des Ecrins (Hautes-Alpes). Il a fallu faire une longue randonnée, puis escalader par une voie d’accès et ensuite installer la ligne. C’est l’expédition dans son ensemble qui comptait.»
Le Français a une spécialité: les marches à l’aveugle, avec un bandeau sur les yeux. «Je progresse uniquement par le ressenti. Dès lors, tous les autres sens sont en éveil: l’ouïe et le toucher notamment, parce que j’avance à pieds nus. Je ressens toutes les vibrations et je me fie à elles. Je suis dans un autre monde et cette sensation me transporte totalement.» KA

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