L’heure où les lève-tôt côtoient les paumés du petit matin

| lun, 02. Jan. 2017

Le premier jour de l’an neuf, l’aube voit se croiser deux communautés: les lève-tôt et les couche-tard. A la bière-sandwich ou au café-croissant, ils cohabitent paisiblement dans un tea-room bullois. Ce 1er janvier 2017, ils sont, au premier abord, faciles à identifier. Reportage.

PAR PRISKA RAUBER

Les corneilles du Jardin anglais se réveillent. Comme tous les matins d’hiver, elles s’envolent en lâchant leur fiente odorante. Il est 6 h à Bulle. Mais c’est dimanche, elles auraient le temps, pourtant. En ce premier jour de l’an neuf, leur ville dort encore. Il fait nuit, le silence règne, à peine déchiré par le passage d’une voiture. Une toutes les cinq minutes, le pare-brise encore givré des gens pressés. C’est dimanche pourtant, ils auraient le temps.
Plus haut, vers la place de l’Abbé-Bovet, un jeune homme rentre chez lui. On suppose. Il n’exhale pas l’empressement d’aller au travail. Son chemin sera long. S’il tente la ligne droite, il ne réussit que le zig- zag. Son souffle est blanc. La nuit est encore glaciale, réchauffée ici et là par une fenêtre éclairée ou une guirlande de Noël oubliée. Encore cinq minutes de silence total avant le rire gras de quelques-uns. Une voix forte, une voix qui porte. Resté sur son trente et un (le costume de celui-ci est certes un peu froissé), le groupe se dirige vers le musée. Il croise un monsieur distingué.
La Grand-Rue est déserte. Derrière le voile de brume apparaît alors une promesse: la chaleur de la foule et du bon pain. Chez Baechler. Là où se frôlent, les 1er janvier avant l’aube, ceux qui n’ont pas encore dormi et ceux qui sont déjà réveillés. Les décoiffés et les bien peignés. Les paumés du petit matin et les lève-tôt.


Petit doigt levé
Le tea-room se remplit vite. Une élégante lit le journal en buvant son thé, le petit doigt levé. Mais pas le nez. Elle est renfrognée, les sourcils froncés. Apparemment moins incommodée par les nouvelles du jour, un attentat à Istanbul, que par la table d’à côté. Elle a dû oublier qu’on était le premier jour de l’an, celui qui draine ici les bruyants et les chancelants. Ou a cru pouvoir les supporter. Quand son voisin à la perruque de travers se met à chanter, c’en est trop. Les lèvres pincées, elle enfile son manteau et disparaît dans la nuit. Théâtral.
Perruque de travers chante bien pourtant. Et pas trop longtemps. La bière en l’air, il trinque à la nouvelle année (on se doute qu’il ne porte pas là son premier toast). Deux tables plus loin un groupe lui répond. Six trentenaires au café-croissant. Les plus bruyants finalement. Parce qu’ils sont beaucoup, c’est tout. Ils sortent d’Ebullition mais vont rentrer sous peu. Le temps de remplir un petit creux.
A l’entrée sont installés un père et son fils. Fluos, pour le moins lumineux! C’est qu’ils sont en route vers Thyon. Il paraît que le 1er janvier, c’est idéal sur les pistes. Peu de monde dans les stations et sur les terrasses. Tous ne goûtent pas l’obligation de s’amuser le 31 décembre. Certains préfèrent assurer le 1er.


Maquillage passé
Sur ce, entrent deux jeunes filles ébouriffées au maquillage passé. Au «bonjour» chaleureux de Marie-Jo, la serveuse, elles lancent un «bonsoir» pâteux. L’une souhaite une bière, l’autre «au moins trois litres d’eau». Elle se contentera de trois décilitres d’Henniez. Et regardera autour d’elle, stupéfiée de voir des gens déjà levés (entendez: de leur plein gré!) «Il y en a qui bossent», lui répond sa copine. «Mais pas les vieux, là! J’comprends pas comment c’est possible…»  
Marie-Jo adore cette ambiance. Depuis dix ans qu’elle assure les ouvertures du tea-room, elle ne relève aucun problème. «Ce n’est pas comme d’habitude, les gens sont plus décontractés, de tous les âges, j’aime bien.» La boulangerie de la Grand-Rue est d’ailleurs l’une des seules enseignes ouvertes si tôt, voire ouverte tout court, le 1er janvier. Chez Philipona par exemple, on n’ouvre plus à 6 h. Deux ans de suite, quelques jeunes éméchés ont causé des dégâts, ont été malhonnêtes, confie Bertha, la serveuse du matin. «Plus de mal que de bien.»
Ici, les deux mondes cohabitent gentiment. Et ces deux mondes, on croyait pouvoir les identifier bien vite et bien facilement. D’un côté les paumés: peau souple. De l’autre les matinaux: peau ridée (ou combi de ski). Sur ces quatre-là, on va royalement se planter. Comme un rappel à l’ordre: méfions-nous des clichés.  Cheveux gris, bien apprêtés, ils s’installent. On se demande comment ces lève-tôt vont appréhender la faune des couche-tard. Amusés comme la plupart ou agacés comme la guindée? Ces dames commandent leur café, le monsieur demande une bière. Une bière? Seraient-ils de la communauté des paumés du petit matin? Oui… La fratrie a gueuletonné chez l’une des sœurs et la nuit a blanchi. C’est ainsi chaque Nouvel-An.


Lieux vidés des fatigués
Il est 8 h. Les lieux lentement se sont vidés des fatigués. Des matinaux aussi d’ailleurs. Les deux communautés se rejoindront à nouveau à l’heure du berger, où les premiers se réveilleront et les seconds se coucheront.

Commentaires

Bravo pour le ton humoristique ! Bel article !

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