Horsform réalise des trailers et des spots publicitaires. Avec une dose de cinéma à chaque fois. Cofondée par le Gruérien Thanassis Fouradoulas, la société est active depuis 2006. La Gruyère est allée sur le tournage de son nouveau clip.
PAR YANN GUERCHANIK
Dans quelques jours, Christian passe des examens à la Haute Ecole de gestion. Il est loin d’être prêt. Il verra ça plus tard. Dans l’immédiat, il lui faut étrangler ce mec. Christian déboule dans le motel pour en découdre avec Bobbit, un tatoué longiligne, nerveux comme un lance-pierres. Les deux hommes se prennent à la gorge, les veines de leur front gonflent et menacent d’exploser.
«Coupez!» A l’injonction de Thanassis, les bagarreurs retrouvent instantanément le sourire. Christian se penche vers nous: «Oui, des examens à l’HEG, parce que, dans la vie, je suis consultant fiscaliste.» Sur le plateau de tournage, fiction et réalité jouent les autos tamponneuses.
Mardi 24 janvier, les six membres de Horsform tournent au Motel des sports de Martigny. L’agence fribourgeoise, spécialisée dans la vidéo, y a planté le décor de son nouveau clip. Un film de 3 min 45, commandé par le groupe de blues rock valaisan The Last Moan.
Mais aucune trace de chanteur sur le plateau. Pas une guitare, pas un micro. «On a pris le contre-pied, explique Marie Riley, l’assistante du réalisateur. Come to me, la chanson, parle d’une femme victime. On a proposé un vrai court métrage, dans lequel une femme monte ses trois gars les uns contre les autres.» Du cinéma, plutôt que du clip de hit-parade.
Complémentaires
En débarquant l’après-midi, on s’en était vite rendu compte: l’équipe tournerait le prochain David Lynch que ce serait pareil. Caméra à l’épaule, Thanassis Fouradoulas manœuvre avec le sérieux qu’exige sa passion. «OK, on attend que le soleil tombe, informe le réalisateur. Dites-moi dans combien de minutes environ. Après, on passera au 135.»
Derrière nous, Marc Luthy a dû remarquer que nos épaules dessinaient un point d’interrogation, parce qu’il nous chuchote à l’oreille: «Le 135 mm… c’est une focale plus gracieuse pour les portraits serrés. Elle tasse un peu les perspectives.» Marc, c’est le producteur exécutif. Sur le plateau, il «résout les problèmes», il fait respecter le timing. C’est aussi lui qui dissuade de faire la séquence de trop, celle qui plomberait le budget.
Question finances, pas de quoi flatter les comptes cette fois-ci. Horsform varie les plaisirs. Capable de gérer des campagnes visuelles pour la RTS, la Loterie romande ou le Montreux Jazz festival, comme de se plonger dans des projets plus confidentiels. «Un investissement», lance Marc Luthy. Comprenez: un mandat qui paie peu, mais sans limite créative. Une occasion de montrer ce que l’on sait faire.
Et, de l’écriture à la postproduction, Horsform sait tout. Chacun a son domaine de prédilection, mais les casquettes changent de tête. Quand ce n’est pas l’œil de Thanassis dans le viseur, ça peut être celui de Matyas Kiss, de Gianni Maranzano ou de Loïs Rouge.
Une complémentarité qui s’exerce à chaque instant. Parfois, ils sont trois sur la caméra: Matyas shoote, Thanassis ajuste la netteté, Gianni contrôle le rendu sur le moniteur. Un plateau tout en douceur, tout à l’horizontale. Pas de tyran qui crache ses ordres de son piédestal. On se dit les choses avec ménagement.
Avec Noémie Schmidt
Come to me occupera la bande-son tout entière, alors les comédiens n’ont pas de répliques. Ils s’expriment sans paroles. Les expressions du visage laissent deviner les pensées intérieures. Horsform a casté des tronches. Trois comédiens amateurs qui se donnent corps et âme.
Il y a Samuel Vaney, qui joue les ténébreux, Pierre-Yves Mauron, qui campe les bad boys quand il n’enseigne pas au Centre de langues de l’Université de Fribourg, et Christian Mukuna, en amoureux vengeur. Christian, vainqueur en 2015 du concours Talents pour rire du Festival Morges-sous-Rire. Un humour délié dans un corps de catcheur poids lourd. Et fiscaliste avec ça.
Trois amateurs et une pro: Noémie Schmidt. A notre arrivée, l’actrice doit beurrer un toast. Une scène qui n’a l’air de rien, mais qui se joue au regard près. Noémie vous fait comprendre d’emblée que la photogénie n’est pas donnée à tout le monde. Et qu’elle en a à revendre. Aux Journées de Soleure, deux jours plus tôt, elle recevait le prix de meilleure interprète principale dans un film de télévision (La lumière de l’espoir). Et la voici qui se donne sans compter. Les prises se multiplient. Il faut emmagasiner les champs-contrechamps, les plans larges et serrés, faire attention aux raccords, puisque les plans ne sont pas enregistrés dans l’ordre où ils seront montés.
Pause. Noémie délaisse son toast et s’en va feuilleter Le Nouvelliste en attendant que la technique s’installe. Elle fulmine en tombant sur une pleine page de pub UDC contre la naturalisation facilitée. Puis, elle se remet à jouer. De la colère au regard ingénu, en un clin d’œil.
La scène est dans la boîte, on passe à la suivante. Il faut configurer la caméra pour le Ronin, une sorte de nacelle portative qui stabilise l’appareil sur trois axes. Marc désosse méticuleusement. A l’étage, on prépare la chambre pour la scène d’étranglement. Et l’on se rend compte à quel point faire du cinéma ça commence avant de dire «moteur»!
L’art d’éclairer
Grande différence entre votre film de vacances et leur film à eux: la maîtrise de la lumière. Ici, chaque source lumineuse est examinée. On change les ampoules du lieu, on rajoute un panneau LED dans un coin, un éclairage non dirigé dans un autre, on évalue la température de couleur, on dompte le moindre reflet. L’image finale est à ce prix.
Dans les images que tourne Horsform aujourd’hui, il y a du clair-obscur, des airs de film noir. Le personnage principal manipule son monde, le scénario organise les faux-semblants. Les scènes baignent dans l’étrangeté. Thanassis dévale Mulholland Drive. Lost highway le hante depuis des années.
Un jour de tournage plus tard, retour à Fribourg, dans le bureau route de la Fonderie. Sur son ordinateur, Gianni peaufine le montage. Il se calque sur le rythme de la chanson. Les collègues approuvent. Encore quelques retouches et ce sera parfait. Des heures de boulot pour quelques minutes de film. Mais le prochain pourrait durer plus longtemps. Horsform a le cinéma chevillé au corps. Et des envies de long métrage.
Le clip est visible dès le 8 février à 10 h sur www.horsform.com
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En place depuis plus de dix ans
Thanassis Fouradoulas et Matyas Kiss se sont lancés en indépendants en 2005, à la sortie de l’Emaf (aujourd’hui eikon). Une coloc avec leur bureau dedans: «On restait enfermés à bosser du matin au soir.» L’année d’après, ils fondent Horsform et ont pignon sur rue. «L’époque des trois-huit! Quand l’un finissait la journée, l’autre prenait le relais et y passait la nuit.»
Les efforts ne tardent pas à payer. Dès 2006, un mandat pour le Montreux Jazz festival leur donne de l’élan. Leur trailer plaît et les portes du chalet de Claude Nobs s’ouvrent. Suivront d’autres commandes pour le festival: l’habillage des écrans, des clips de présentation.
«A ce moment-là, on pensait animations 3D, capsules vidéo sur des écrans dans les manifestations, explique Matyas, 33 ans. Beaucoup de clients ne comprenaient pas.» Thanassis, 35 ans, se marre en l’écoutant causer comme un vieux de la vieille. Faut dire que 2006 c’était encore l’âge de pierre. L’iPhone n’était même pas sorti. Aujourd’hui, sur tous les supports visuels, on voit des œuvres animées, du motion design. Ce n’était pas le cas il y a dix ans. Et personne ne filmait les émissions de radio.
En 2016, Horsform a travaillé pour une quarantaine de clients. Ils sont désormais six dans l’équipe, dont le Bullois Marc Luthy. L’agence est principalement active à Genève, à Lausanne et en Valais. Ses prestations en communication sont larges: de l’image en mouvement, mais encore du web ou de l’affiche. Horsform fait aussi dans le corporate, capable de définir et de promouvoir l’univers d’une marque ou d’une entreprise.
Son site internet donne un aperçu des clips réalisés: pour la RTS, Label Suisse, le Festival Images Vevey, le Béjart Ballet Lausanne, le Musée de l’Elysée, la Loterie romande, le Festival de films de Fribourg, Rado, BNP Paribas Cardif, UBS.
Financièrement aussi, ça tourne. «Une situation saine, un chiffre d’affaires ascendant.» De quoi s’investir davantage dans la fiction et se lancer dans un long métrage? YG
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