Les avancées technologiques permettent désormais d’effectuer des tests sur des sportifs hors des laboratoires, en situation réelle. A la Haute Ecole du sport de Macolin, des scientifiques travaillent avec des fédérations, notamment l’Association suisse de football.
PAR KARINE ALLEMANN
La technologie a fait son entrée dans le monde sportif depuis longtemps: matériel sophistiqué, préparation physique ultra-informatisée, elle est incontournable dans le sport de performance, où les athlètes sont étudiés, mesurés et scrutés dans le détail en laboratoire. Désormais, les avancées technologiques comme la miniaturisation des senseurs placés sur les sportifs permettent de sortir de ces labos pour une prise de données sur le terrain, à l’entraînement ou en compétition. Ces informations ont valeur de mine d’or pour les entraîneurs, mais aussi pour les médias comme la télévision, qui s’en servent pour diffuser des statistiques en temps réel. Et qui dit mine d’or dit marché fructueux. Selon une étude, le marché de la saisie et de l’analyse de données sportives était évalué à 125 millions de dollars en 2014 et il devrait atteindre les 4,7 milliards de dollars en 2021.
La prise de données, c’est le domaine du Fribourgeois Martin Rumo. Collaborateur scientifique à la Haute Ecole fédérale du sport de Macolin – il est détenteur d’un master en informatique et en neurosciences – il est l’un des responsables du Centre technologies en sport et médecine, créé il y a deux ans par divers instituts et hautes écoles, dont celle de Macolin. «Ce Centre fonctionne en réseau et nous permet de faire de la recherche et du développement. En tant que responsable de la partie sport, je fais le lien entre les ingénieurs, les scientifiques du sport et les fédérations, avec qui nous travaillons. Nous développons de nouveaux produits avec eux, et ensuite ils peuvent en profiter.»
Senseurs sur les joueuses
Ce matin-là, les joueuses de l’équipe féminine de football, en stage de préparation pour l’Euro 2017 qui se tiendra aux Pays-Bas du 16 juillet au 6 août, étaient testées sur leurs capacités au sprint. Il faut dire que l’Association suisse de football (ASF) est l’un des grands partenaires du Centre avec toutes ses équipes nationales, excepté la Nati.
Martin Rumo et son équipe ont placé des senseurs – une antenne sous forme de petit gilet triangulaire, maintenu par velcro sur un T-shirt débardeur – sur les épaules des joueuses. Ces capteurs envoient des ondes aux dix stations de base qui entourent le terrain synthétique de Macolin. Ces données sont transmises aux ordinateurs de l’informaticien qui, dans son bureau, suit les événements sur deux écrans: un sur lequel les joueuses sont des points rouges qui se déplacent, affublés de leur nom, et un autre qui diffuse les images filmées par les caméras qui encadrent également le terrain.
«Chaque joueuse va effectuer quatre sprints, à chaque fois avec une vitesse initiale différente, explique le Fribourgeois. On cherche à déterminer leur capacité maximale d’accélération, dans le but de juger une accélération en prenant compte sa vitesse initiale. Par la suite, sur une action en match, en pourra déterminer si une joueuse a donné les 100% ou les 80% de sa capacité. Ou alors, sur l’ensemble du match, combien de fois elle est allée au-delà de 75%. Bien sûr, il est normal que certaines actions ne requièrent pas d’être à fond. Mais, en mettant en relation les actions de jeu avec la capacité maximale d’accélération, on peut déterminer leur niveau d’intensité.»
Des informations ensuite transmises à l’entraîneur et à son staff. «Quand il ou elle prépare un tournoi, un coach aimera connaître la charge d’entraînement subie par les joueurs, et quel a été l’impact d’un match sur leur corps. Pour ainsi déterminer le temps de repos. C’est notamment intéressant pour un athlète qui revient de blessure. Cela permet d’individualiser les programmes, pour bien préparer les joueurs, sans les brûler avant la compétition. Il y a une grande part d’intuitivité dans le travail d’un entraîneur, qui voit et qui sent des choses. Mais, quand il discute avec un joueur, c’est intéressant pour lui d’avoir un chiffre à poser sur la table. Il peut lui dire: “Tu vois, tu es tout le temps à 70% de tes capacités, j’en attends plus.”»
Si, pour le public, la supériorité technique d’un joueur est celle qui saute aux yeux, l’informaticien détecte d’autres qualités. Notamment chez Lara Dickenmann, star de l’équipe nationale et deux fois vainqueur de la Ligue des champions. «Elle est incroyable, s’enthousiasme Martin Rumo. On voit à ses accélérations et à l’intensité qu’elle met en match à quel point elle est au-dessus des autres aussi sur le plan physique. Il n’y a pas que dans les aspects techniques ou tactiques qu’un athlète domine un autre.»
Décoder des infos
Analysés par le spécialiste, les chiffres deviennent des indicateurs, transmis aux entraîneurs. «Si moi je récolte des données, les coaches veulent des informations claires et
immédiatement compréhensibles. Le rapport, succinct, contient les kilomètres parcourus en match, et les kilomètres ou les mètres parcourus à haute intensité, ce qui est plus relevant. On mentionne aussi le nombre d’accélérations. Le joueur, on le compare toujours à la moyenne des autres joueurs sur la même position. Car on n’attend pas la même chose d’un ailier, qui doit effectuer beaucoup de sprints, ou d’un défenseur central.»
Pour l’instant, seules des données sur les charges et l’intensité sont fournies. «Mais, notre projet est de pouvoir fournir des données tactiques et techniques.» Cela est encore de la musique d’avenir. Un avenir qui n’est pas loin d’approcher à une vitesse maximale d’accélération… ■
Lire la totalité du dossier dans La Gruyère de jeudi 27 juin 2017
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