PAR KARINE ALLEMANN
Life is on a wire. The rest is just waiting. La citation est du grand funambule germano-américain Karl Wallenda: «On vit sur un fil. Le reste du temps, on ne fait qu’attendre.» Depuis le début des années 2000, des funambules d’un genre nouveau ont fait leur apparition, notamment en haute montagne. Parce que «au milieu du vide, la sensation de liberté est magique».
Le Gruérien Hugo Minnig fait partie de la douzaine de spécialistes européens de highline invités à faire le show au sommet du Moléson le week-end dernier. Trois slacklines (sangles de 2,5 cm) étaient tendues entre l’arrivée de la télécabine et le sommet. Avec, pour les participants, entre 70 et 126 mètres à effectuer au-dessus du vide. Il y avait quelque chose de magique et de poétique à voir ces hommes marcher dans les airs.
Le propos réfléchi, le charisme séduisant et la décontraction de ses 21 ans rafraîchissante, Hugo Minnig raconte le plaisir de gagner son combat contre la peur. «J’ai commencé la slackline en 2012. J’ai pratiqué une année et demie près du sol avant de me lancer sur une highline. La première fois, c’était avec trois copains. On a installé la ligne, mais personne n’a osé monter dessus. On a tout enlevé. Et puis on l’a réinstallée et on s’est décidé à la traverser. On était tout tremblants.»
Ce sport est apparu aux Etats-Unis dans les années 1980 déjà. Mais ce n’est qu’entre 2004 et 2006 que les premières lignes ont été franchies en France et en Suisse. Pour pratiquer, il faut être souple, gainé, et en bonne forme physique. Mais, pour le charpentier de Marsens, tout se passe dans la tête: «Il faut faire le vide pour oser se lever. Une fois en haut, tu écoutes la sangle pour marcher en fonction de ce qu’elle te dit. Pour ne pas tomber, c’est un vrai combat mental.»
Pas question de se laisser perturber par une bourrasque de vent ou un avion qui passe au-dessus de sa tête. Pour se préparer mentalement, à chacun son rituel. «Je me tape les pieds l’un contre l’autre et je les essuie. Certains vont marcher dix minutes. On a tous nos tics ou nos TOC. Pour moi, la respiration est super importante. Je la travaille avec la course à pied. C’est pour cela que je n’écoute jamais de musique sur la sangle. J’ai besoin d’écouter ma respiration.»
Grand-maman à l’arrivée
Quand le slackeur est en action, le corps montre-t-il des signes de stress? «La clé, c’est de contrôler son cerveau. Quand tu te lèves, tu es forcément crispé. Mais si tu arrives à te décontracter dans ta tête, le corps se détend aussi. Le but est de marcher de manière douce et souple sur la ligne, tout en gardant un tronc en béton.»
Ces équilibristes ressentent-ils la peur? «Oui, il y a des lignes vachement plus impressionnantes que d’autres. A Moléson, ça va. Elle ne t’aspire pas vers le fond. On marche vers le Mol, ça rassure. Bon, la ligne la plus haute fait quand même un peu peur.»
Même pour des spécialistes, il arrive que la peur prenne le dessus. «C’est le cas quand tu n’as plus pratiqué pendant un moment. J’ai connu ça après mon service civil. Je n’avais plus la confiance nécessaire. J’ai commencé à douter de moi, de mon nœud de sécurité… Alors je suis redescendu et j’ai recommencé sur une ligne plus courte.»
Hugo Minnig était au milieu d’une ligne, dimanche matin, quand il a aperçu ses grands-parents à l’arrivée de la télécabine. Sa famille voit-elle ses activités d’un bon œil? «Je crois que ma grand-maman n’a pas trop regardé. Mon grand-père, ça va. Quant à mon père, c’est lui qui m’a donné le goût de la montagne et de l’escalade. Et maintenant, il s’est même mis à la slackline.»
«Pas mon truc»
Et puis, si le jeune homme a quelques coups d’éclat à son actif, comme la traversée du pont de la Poya en construction avec une sangle tendue entre les deux piliers, il n’est pas un inconscient pour autant. Jouer avec la mort en marchant au-dessus du vide sans aucune sécurité, «ce n’est pas mon truc. J’aime trop ça pour que ça s’arrête. Certains le font parce qu’ils ont l’impression d’aller puiser plus profondément dans leurs ressources mentales. D’autres ont fait parler d’eux avec ce genre “d’exploit”, ce qui leur a permis de décrocher des sponsors.»
Le Gruérien préfère le plaisir au risque: «Quand, au-dessus du vide, je sens que je marche aussi bien que sur une ligne tracée sur un trottoir, c’est juste l’extase. Je n’ai pas envie que ça s’arrête et, en même temps, je suis content d’arriver au bout de la ligne, de taper dans la main du copain qui va se lancer.»
L’entretien se termine, Hugo Minnig mangerait bien quelque chose. Mais il y a foule, ce jour-là, au restaurant du Moléson. Il se contentera d’un sandwich et de son incontournable Snickers. Pour retourner sur la ligne sans attendre. Parce qu’on ne vit vraiment que sur un fil.
-----------------------
«Sans sécurité, c’est un choix personnel»
La communauté du highline était représentée par des spécialistes suisses, français, allemands, tchèques et hollandais. «On est super solidaires, apprécie Hugo Minnig. En partant, on ne va pas lister ceux qui ont réussi telle ou telle ligne. On a la chance d’être tout au début de ce sport. Si on se comporte bien, j’espère que l’ambiance restera cool encore longtemps. Par contre, on s’entraîne énormément. Sur tous les gars présents, aucun de nous ne travaille à 100%. On vit de petits boulots.»
Le Gruérien l’assure, la plupart ont l’envie de mettre en avant la sécurité et la prévention. «Avec la Fédération suisse de slackline, on profite de ces événements pour distribuer des flyers avec, par exemple, des explications pour protéger les arbres quand on installe notre slack. L’éthique est très présente chez nous. Même sur internet d’ailleurs. Quand quelqu’un poste un truc sur un projet pas très sécurisé, il se fait vite reprendre.»
Comme pour d’autres sports extrêmes, les meilleurs – ou les plus frondeurs – vivent de leurs activités. C’est le cas de Lukas Irmler, présent à Moléson. Soutenu par des sponsors et rétribué pour des démonstrations et des events dans le monde entier, l’Allemand de 26 ans est professionnel depuis quatre ans. Comment trouve-t-il le site de Moléson? «Ce qui est vraiment génial, c’est qu’il combine les aspects urbains, comme l’accessibilité super facile et un restaurant juste à côté, et en même temps les éléments de montagne. Par contre, le vent est un gros problème. Non seulement il fait bouger la ligne, mais en plus il nous pousse de côté.»
L’Allemand aussi parle de challenge mental. «Tout le monde peut marcher sur une slackline près du sol. Mais, dès que tu la mets en hauteur, tu as peur du vide, peur de tomber, peur de commettre une erreur. Au début, je ressentais même de la panique. Maintenant, je dirais que c’est plus une peur naturelle. Je sais que je peux faire confiance à mon corps, à mon mental et à mes copains qui ont installé la ligne avec moi.»
Lukas Irmler l’admet, il a tenté la traversée sur une highline sans aucune sécurité. Pas à Moléson bien sûr. Cela se fait plutôt en petit comité. «Je l’ai fait pour l’expérience mentale. Et parce que la ligne me suppliait de le faire. Mais c’est un choix tout à fait personnel. Personne ne peut dire à un autre de le faire.»
Quel a été son sentiment, seul et sans attache sur une ligne suspendue dans le vide? «Tu ne le fais que si tu es sûr à 100% que tu vas réussir, que tu es capable de le faire. Se sentir à ce point dans le contrôle est une superbe sensation. Tu expérimentes le monde d’une nouvelle manière, tes sens sont plus aiguisés. Toutefois, je n’en ferais pas la promotion. Parce que, évidemment, le risque est immense.» KA
Commentaires
Caro M (non vérifié)
jeu, 23 oct. 2014
Ajouter un commentaire