PAR FRANK-OLIVIER BAECHLER
«Cette initiative nous fait peur. Dès le moment où des pôles touristiques sont définis et inscrits comme tels dans le Plan directeur cantonal, arrêtons de leur mettre des bâtons dans les roues! Une mise sous tutelle de ces régions serait catastrophique.» Jean-Pierre Doutaz, syndic de Gruyères, ne mâche pas ses mots. L’objet de son courroux? L’initiative «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires», au menu de la votation populaire du 11 mars.
Lancée par l’écologiste vaudois Franz Weber, soutenue notamment par Pro Natura, le WWF, l’Association suisse des locataires et les partis de gauche, elle entend plafonner à 20% la part des résidences secondaires dans chaque commune du pays (La Gruyère du 4 février).
Problème: avec 150 logements temporaires comptabilisés sur 650 au total, la commune de Gruyères – qui comprend la station de Moléson-Village – dépasse largement le quota. Et elle n’est pas la seule. Dans le Sud fribourgeois, les villages de Cerniat, Bellegarde, Charmey et Crésuz franchissent eux aussi la barre des 20%, tandis que Châtel-sur-Montsalvens et Hauteville s’en approchent dangereusement (voir infographie). A l’échelle du canton, des localités comme Planfayon, Cheyres, Font, Greng ou Delley-Portalban sont également visées par le texte.
Des dents qui grincent
Les partisans de l’initiative, pour l’instant, tiennent la corde (lire ci-contre). Si le camp du «oui» devait finalement l’emporter, les effets du nouvel article constitutionnel entraîneraient l’arrêt immédiat de toute nouvelle construction de résidences secondaires. Sans pour autant toucher aux lotissements existants, épargnés par le texte.
«Un habitant du village, par exemple, ne pourrait même plus construire pour son fils, expatrié à Lausanne ou à Genève», peste Jean-Pierre Doutaz, qui relève le développement touristique «tout en douceur, sans projet pharaonique», de sa commune.
Il n’est pas le seul à grincer des dents. «Le canton nous interdit déjà de bâtir là où la desserte en transports publics n’est pas suffisante. Si on nous limite aussi au niveau des résidences secondaires, on ne pourra bientôt plus construire du tout!» s’emporte Jean-Marie Castella, syndic d’Hauteville.
A Charmey, où le pic cantonal de 363 résidences secondaires est atteint, le syndic Félix Grossrieder se montre plus mesuré. «Des problèmes se posent, en matière fiscale et d’utilisation parcimonieuse du terrain, et il s’agit de maîtriser cette évolution. Mais ces logements, ne l’oublions pas, étaient le point de départ des activités touristiques. Ils alimentent aussi l’industrie et le commerce de la région.»
Même son de cloche à Cerniat. «Ces gens paient une taxe immobilière, font du sport dans la vallée, fréquentent les commerces et s’intègrent parfaitement bien. Une limitation légale serait un problème pour plusieurs communes du district. A commencer par la nôtre. Depuis l’arrivée des Bains de Charmey, les demandes de nouveaux logements sont régulières», relève le syndic Pascal Andrey.
Didier Bütikofer, son homologue de Crésuz, associe lui aussi l’essor du tourisme à celui des résidences secondaires. «Sans elles, on en serait encore à deux paysans et trois chèvres.» Mais dans le petit village gruérien, champion cantonal du pourcentage de lits froids, la tendance est en train de s’inverser. «Les propriétaires de logements temporaires s’y installent de plus en plus souvent à l’année. Les nouvelles constructions sont rares.»
Un outil excessif
Malgré l’accueil glacial qu’ils réservent au projet, les exécutifs concernés admettent volontiers l’existence du problème. «Une prise de conscience est nécessaire. Mais tablons plutôt sur des mesures incitatives, comme une taxe sur les habitations, qui encourageraient les gens à louer. Là, ça va trop loin», souligne Jean-Marie Castella, appuyé par Jean-Pierre Doutaz. «Sur le fond, je comprends les initiants. En Valais, où la part des résidences secondaires dépasse parfois les 80%, les abus sont évidents. Or, la nouvelle loi sur l’aménagement, avec tous les outils qu’elle introduit, doit nous permettre de rendre ces lits froids moins froids. L’initiative proposée, complètement excessive, n’est pas la solution.»
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Un sondage explosif
Les milieux touristiques et immobiliers sont tombés de haut. Vendredi, le premier sondage SSR sur les votations du 11 mars s’est fait l’écho d’un résultat marqué et inattendu. Le plafonnement à 20% par commune de la part de résidences secondaires, en effet, a recueilli 61% d’avis favorables au sein d’un panel de 1208 électeurs. Parmi les personnes sondées, 27% ont manifesté leur désaccord, tandis que 12% se montraient indécises.
Le soutien est élevé chez les partisans de toutes les tendances politiques. Les Verts (73% de oui) devancent le PS (70%), le PDC (64%) et l'UDC (55%). Seule la base du PLR semble partagée, avec 48% de oui contre 45% de non.
Le fait que les initiants fassent la course en tête, toutefois, ne laisse en rien présager d’un succès dans un mois. Les opposants fourbissent leurs armes et la campagne ne fait que commencer. FOB
Commentaires
alfid (non vérifié)
jeu, 09 fév. 2012
Ludovic (non vérifié)
dim, 12 fév. 2012
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