De l’empathie, mais pas de réparations pour les sorcières

| sam, 05. avr. 2014
Un procès fictif a opposé jeudi soir l’Etat de Fribourg à l’Université qui l’accusait d’avoir jugé pour sorcellerie quelque 500 personnes entre le XVe et le XVIIIe siècle.

PAR MICHELINE HAEGELI

L’Etat de Fribourg l’a échappé belle: il a failli être condamné à doubler le budget de l’alma mater pendant cinq ans pour s’être rendu coupable de violations répétées des règles de droit intemporel et universel en pratiquant des procès en sorcellerie durant trois siècles. Après deux heures et demie d’audience, le Tribunal était divisé. Deux juges voulaient la condamnation de l’Etat de Fribourg, deux autres pas. Le président du Tribunal, alias le juge cantonal Christian Pfammatter, s’en est remis au public.
Ce dernier s’est prononcé par applaudissements en faveur de l’acquittement: les murs de l’aula Magna en ont tremblé. Près de 800 paires de mains ont claqué dans une atmosphère chauffée à blanc et dans une bonne humeur flagrante.


Sérieux n’est pas ennuyeux
Le sujet était grave, le représentant de l’accusation, le vice-doyen de la Faculté de droit Pascal Pichonnaz, l’a souligné. Mais les intervenants ont manié avec maestria les arguments juridico-théologiques et une bonne dose d’humour, faisant rire aux éclats une assistance très intéressée et ravie.
Les étudiants étaient évidemment majoritaires dans l’hémicycle, mais les notables n’étaient pas absents, loin de là. Ils n’ont pas boudé leur plaisir non plus. Au hasard des travées, le directeur de l’ECAB Jean-Claude Cornu en pleurait quasi de rire. Le conseiller d’Etat Erwin Jutzet n’en était pas loin. Le préfet de la Gruyère Patrice Borcard non plus.
La preuve est faite que juges et professeurs peuvent aussi manier la plaisanterie lors de procès fictifs. A l’occasion, la blague de potache n’était pas loin. L’avocat de l’Etat et organisateur du procès, le professeur de droit public Jacques Dubey n’y est pas toujours allé avec le dos de la cuillère, ne craignant pas de lancer dans sa brillantissime plaidoirie un vibrant: «Les sorcières n’étaient pas les premières féministes, mais les féministes sont les dernières sorcières».


Aucun folklore
Les choses sérieuses n’ont pas manqué. Le Tribunal n’a cédé à aucun folklore. Les juges n’étaient pas en habits d’époque. Seul un glaive et quelques ouvrages anciens posés au sol sur la tribune rappelaient le passé. L’acte d’accusation a été implacable, tant ce canton a eu la main lourde.


Gouverner par la terreur
Or, l’Etat ne pouvait pas se cacher derrière l’Eglise: depuis 1440 au moins, il portait seul la responsabilité de la chasse aux sorcières. Le procureur explique cette pratique avant tout par des raisons politiques. Les procès ont surtout concerné les territoires dont Fribourg n’était pas sûr du loyalisme. La Broye et la partie germanophone des Anciennes Terres ont payé le prix fort. Sur le plan social, la répression s’est concentrée sur des individus faibles, isolés, pauvres et sans relations utiles. Les hommes n’ont représenté que 20 à 30% des victimes, a indiqué l’historienne Martine Ostorero, citée comme témoin.


Encerclée par la Réforme
Egalement citée comme témoin, l’historienne et archiviste Katrin Utz Tremp a rappelé qu’après la Réforme, Fribourg était entièrement entouré de terres non catholiques. Pour défendre ses territoires nouvellement acquis et asseoir sa souveraineté, la Ville-Etat a exercé sa haute juridiction surtout dans les régions frontalières. A son avis, bien que l’Etat et l’Eglise soient très unis, cette dernière n’avait pas grand-chose à voir directement dans ces procès, les fantasmes autour du Diable et de la sorcellerie imprégnaient la société.
Le juge Pfammatter s’est demandé si tous ces gens qui croyaient à la sorcellerie étaient fous ou idiots. «Un peu des deux», lui a répondu le professeur et psychologue Philip Jaffé. Selon ce dernier, la peur et en particulier la peur de la question pouvait très bien mener à la folie.
Après avoir entendu les témoins et les experts, le cas était clair pour le procureur. Toutes ces souffrances et ces morts atroces relevaient du quasi-génocide et ne pouvaient être qu’imprescriptibles. L’Etat devait être condamné pour avoir failli à protéger ses concitoyens.
Officiant comme juge assesseure, la professeur Isabelle Romy a suivi la thèse de l’accusation. En condamnant l’Etat, le Tribunal donnerait un signal fort à ceux qui pratiquent la chasse aux sorcières.
Tout autre son de cloche du côté de la défense. Le professeur Jacques Dubey a enjoint la cour à ne pas se tromper de procès. Les tribunaux pratiquant les procès en sorcellerie ont agi de manière compatible avec le droit de l’époque. Il s’agissait d’une société prise de vertige oscillant entre naturel et surnaturel. Son absence de connaissances la poussait à chercher les causes de ses malheurs dans le surnaturel: «Il fallait qu’il y ait des sorciers.» Le défenseur de l’Etat a ironisé et critiqué un procès contradictoire: «On a peur de juger d’autres cultures, mais on pourrait juger d’autres époques? a-t-il lancé. La justice était fondée sur la foi et c’était une foi fondée sur la peur.»


Le travail de mémoire
Officiant comme juge assesseur, le professeur émérite Francis Python a suivi la défense. «Je refuse une justice rétrospective», a-t-il affirmé avec force. Selon lui, la tâche de l’historien n’est pas le devoir de mémoire, mais le travail de mémoire.  L’histoire de Fribourg a connu plusieurs ruptures importantes. En 1848, Fribourg a été le premier canton suisse à supprimer la peine de mort, a-t-il rappelé. A nouveau pionnier, mais cette fois-ci pour la bonne cause.

 

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Cinq cents procès en sorcellerie
L’Etat de Fribourg a mené environ 500 procès pour sorcellerie; dans plus de la moitié des cas, ceux-ci se sont soldés par des condamnations à la peine de mort, suivies d’exécutions par le feu. Fribourg a été un pionnier de la répression judiciaire de la sorcellerie dans l’espace helvétique et européen. Des condamnations sont attestées depuis 1429 au moins. Fribourg n’a été précédé que par le Dauphiné en 1420, et le Valais en 1428. Cette politique a été poursuivie jusqu’en 1731, alors même qu’elle était abandonnée de droit ou de fait, dans les Etats environnants, a souligné le procureur ad hoc. Ce dernier a mis l’accent sur la durabilité de cette répression et sur son caractère cruel. Les enfants n’étaient pas épargnés. La question, c’est-à-dire la torture, était fréquente. MH

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