PAR ERIC BULLIARD
«C’est une véritable exécution à laquelle il s’est livré, ne laissant à sa victime aucune chance de s’expliquer ou de s’échapper», affirme le Tribunal cantonal (TC). Présidée par Michel Favre, la Cour d’appel a condamné à onze ans de prison, hier à Fribourg, l’homme qui avait abattu l’amant de sa femme à Riaz, en mars 2011. En première instance, le Tribunal de la Gruyère l’avait condamné à huit ans.
Défense et Ministère public avaient tous deux fait recours, la première demandant six ans, le second douze. Au cœur du débat: la personnalité du meurtrier et les deux expertises psychiatriques contradictoires. Pour le procureur Philippe Barboni, «la culpabilité de [Roger*] n’est pas lourde. Elle est extrêmement lourde: il a décidé de supprimer en toute conscience son rival, un jeune homme de 23 ans qui avait osé toucher à son épouse.» Pourquoi? Parce qu’il est «égoïste, jaloux, égocentrique et narcissique, sous ses airs de quinquagénaire charmant et cool».
«Ce portrait au vitriol ne correspond pas du tout à la personne» de [Roger], a répliqué son avocat Me Bruno Charrière. Son acte était égoïste? «Tous les meurtres, toutes les infractions ont des motivations égoïstes.» Quant à ses traits narcissiques, «ils ont joué un rôle dans l’intensité de l’émotion» ressentie le soir du meurtre. Mais, «avant ce drame, c’était lui la victime».
Pour son défenseur, la culpabilité de Roger découle d’une «longue descente aux enfers», débuté en juin 2010, quand il découvre un «SMS ambigu» sur le portable de son épouse, en provenance d’un cuisinier de leur établissement bullois. Elle nie toute relation, même quand son mari la trouve chez le jeune homme. Avant de tout avouer en février 2011. «Elle est responsable de cette situation», selon Me Bruno Charrière, pour qui l’acte de son client «n’est pas admissible ni excusable, mais humainement compréhensible». La nuit du drame, Roger veut s’expliquer après une bagarre survenue dans la soirée. Chez les parents de son épouse, il la trouve avec son rival, retourne chercher une arme et revient pour l’abattre.
Le meurtrier l’a répété hier: au moment de cet acte «abominable», il s’est senti «déconnecté de la réalité»: «Je n’étais pas moi-même, c’était une réaction totalement étrangère à ma personnalité.» Sa responsabilité est-elle pour autant diminuée? Les deux expertises psychiatriques se contredisaient sur ce point, la première relevant un «état dissociatif» qui entraînait une «diminution moyenne» de la responsabilité. La seconde, suivie par le Tribunal de la Gruyère et le TC, rejetait cette diminution.
Me Bruno Charrière a bien tenté de relever que cette deuxième expertise a été effectuée de manière plus rapide que l’autre. Et que l’un des experts suivis était celui qui, après la première affaire Claude D., avait conclu à l’absence de risque important de récidive. Mais la Cour a estimé que Roger «a été en proie à une vive émotion», qui «n’était toutefois pas excusable: il ne saurait rejeter la responsabilité de son geste sur autrui. Il n’a pas agi spontanément à la suite de cette vive émotion.» Elle a admis une légère diminution de la responsabilité, en raison de l’état alcoolisé du meurtrier. Sans quoi, «la peine qu’il se justifierait de prononcer serait de l’ordre de quatorze ans».
*prénom fictif
Ajouter un commentaire