En 2015, Chloé Kolly a développé un syndrome de Lyell, une allergie aux médicaments rare, extrême et souvent mortelle. Récit d’une rapide descente aux enfers et d’un lent retour parmi les vivants.
XAVIER SCHALLER
En Suisse, une personne sur un million souffre chaque année d’un syndrome de Lyell. Une réaction allergique extrême qui survient à la suite d’un traitement médicamenteux. Pour Chloé Kolly, en 2015, c’était de simples anti-inflammatoires.
La jeune femme de 27 ans a grandi à Bulle et a étudié la physiothérapie. En janvier 2015, elle est engagée par un cabinet du chef-lieu. Mais, après six mois d’activité, elle est mise en arrêt de travail à cause d’épicondylites à répétition. «Un coude, puis l’autre. Dans ce métier, c’est un problème courant en début de carrière. On ne dose pas bien sa force et on ne prend pas assez de repos. J’étais prise dans un rythme de vie à 100 à l’heure. Je travaillais à 100% et je faisais du sport tous les soirs.»
On lui prescrit des traitements anti-inflammatoires. Deux fois du Voltaren, à un mois d’intervalle. «La deuxième fois, je suis passée au Novalgin après une semaine, à cause notamment de brûlures d’estomac.» L’un de ces médicaments va provoquer une réaction allergique grave, un syndrome de Lyell.
«Ça a commencé assez bizarrement, se souvient la jeune femme. Un bouton de fièvre sur la lèvre, puis des symptômes grippaux (fatigue, maux de tête, bouffées de chaleur), alors qu’on était au mois de juillet.»
Ces symptômes durent quatre jours, puis ses yeux deviennent rouges. Comme son ophtalmologue, qu’elle consulte le 16 juillet, elle soupçonne une conjonctivite. Sauf que les gouttes pres- crites ne font pas effet.
Des démangeaisons
Le soir même, elle ressent aussi des démangeaisons génitales. «Cela commençait à faire beaucoup. Vers minuit, je suis allée aux urgences à Riaz. Comme ils n’ont pas de service gynécologique, ils m’ont donné une crème contre les mycoses et m’ont dit de consulter mon gynécologue le lendemain.»
A 3 h, Chloé Kolly est de retour chez elle. Elle se sent toujours mal, a très chaud et commence à respirer difficilement. «A 6 h, j’étais de retour aux urgences avec mon copain. Là, ça a été la panique.»
Des cloques se forment sur sa peau qui commence à s’ulcérer. Elle a 39 degrés de fièvre et sa saturation en oxygène n’est plus que de 92% – contre 98-99% pour une personne en bonne santé. Et malgré une injection d’adrénaline, son état ne s’améliore pas.
«Le docteur Firmann a envoyé des photos de mes muqueuses à un dermatologue, le docteur Poffet. Celui-ci a immédiatement identifié le problème et m’a envoyée à Berne, au service dermatologique de l’Hôpital de l’Ile.» Toujours véhiculée par son ami, elle effectue un détour par son appartement. «Il fallait récupérer tous les médicaments que j’avais pris pour pouvoir établir une chronologie.»
La peau se décolle partout
A son arrivée à Berne, sa peau se décolle sur tout le corps. «Avec de nouveaux points rouges, qui ressemblaient à des boutons de varicelle. En fait, c’étaient des trous qui s’ouvraient dans mon épiderme.» De nombreux médecins viennent la voir, mais elle reste en chambre normale. «Je pensais encore que ma situation n’était pas trop grave et sous contrôle.» L’allergie médicamenteuse dont elle souffre connaît plusieurs types. Elle est en fait victime du plus aigu, le syndrome de Lyell.
Ensuite tout empire et devient flou dans l’esprit de Chloé Kolly. Elle se souvient de son transfert aux soins intensifs: «J’étais mal et hyperfaible. Ça me brûlait, je ne pouvais plus me déplacer. J’avais d’énormes cloques partout, qui s’ouvraient et saignaient. Mes poumons se remplissaient d’eau, j’avais un masque à oxygène sur le nez.»
Sa famille a été prévenue de son hospitalisation. Quand elle intègre les soins intensifs, ses parents, en vacances en France, décident de rentrer dans la nuit.
Le corps médical, lui, semble démuni. «Personne n’était sûr du diagnostic. Quelque chose d’auto-immun, mais quoi?» Certains parlaient même de sida tant ses défenses s’étaient effondrées rapidement.
«Il y a eu un moment assez difficile. Devant tous mes proches réunis, les médecins ont annoncé que mon pronostic vital était engagé. Moi, je n’avais pas cette impression. Je leur ai dit: “C’est bon, je ne vais pas laisser cette cochonnerie m’avoir!” J’étais en mode combat et j’avais confiance.»
Un mois de coma artificiel
Elle a néanmoins de plus en plus de mal à respirer et demande à être intubée. Ensuite, elle est plongée dans un coma artificiel. Elle se réveillera au CHUV, au Centre romand des brûlés, un mois plus tard.
Avant de la réveiller, les médecins ont attendu que ses plaies externes soient refermées. «On m’a raconté que j’étais passée par tous les états, notamment très bas, avec des infections pulmonaires.»
L’hôpital a recensé l’ensemble de ses traitements dans un livre. «Mes nombreuses visites y avaient aussi laissé un mot. C’était chouette de voir tout ce soutien et de pouvoir retracer cette histoire. Il y avait aussi un panneau de photos dans ma chambre, quand je me suis réveillée. Ça m’a touchée.»
Chloé Kolly a l’impression de n’avoir passé que quelques jours à l’hôpital. «Je n’avais conscience ni de la gravité de mon état ni des traitements subis. Mais, après un mois d’alitement, je n’avais plus un muscle qui fonctionnait. Je n’arrivais pas à parler, pas à bouger, pas à m’asseoir. Lorsqu’on m’a désintubée, je devais même penser: inspire, expire.»
Elle reste deux mois et demi à l’hôpital. Dès qu’elle réussit à se lever et à marcher quelques mètres avec de l’aide, elle quitte les soins intensifs. «Quand je suis passée à l’étage de la chirurgie reconstructive, comme le font tous les grands brûlés, j’étais un moineau.» Elle a perdu douze kilos et est encore nourrie par sonde gastrique.
«Au niveau du moral, cela a été en dents de scie pendant très longtemps.» Ses yeux l’inquiètent et la font énormément souffrir. Durant son coma, le Lyell a continué dans cet organe, jusqu’à détruire complètement la cornée. «Je voyais, mais mes yeux n’étaient plus protégés. Je restais dans le noir tout le temps, car la lumière me faisait mal.» En plus de ses nombreux traitements, elle se rend presque tous les jours à la Clinique ophtalmologique, en ambulance.
Rentrer à la maison
Fin octobre 2015, la jeune femme peut rentrer à la maison, à Bulle. «Cela a été une des périodes les plus difficiles pour moi. Je quittais le cadre rassurant de l’hôpital et la routine des soins. Mes parents étaient, eux aussi, extrêmement fatigués et je sentais leur inquiétude.»
Sa vue se péjore toujours. Elle ne voit plus que des ombres ou des silhouettes. «J’étais comme tétanisée. Je restais là où on me posait. J’avais peur de casser des choses ou de me taper et j’étais physiquement très faible.» Elle se demande parfois si elle trouvera encore la force de se battre. Mais elle se ressource auprès de ses proches, dans la nature, avec les chevaux ou durant les balades en tandem.
Avec l’aide de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants, elle apprend à surmonter son handicap: cuisiner, prendre ses médicaments, marcher avec une canne blanche, prendre le bus.
Sa cornée finit par cicatriser, mais comme elle ne contient plus assez de cellules souches, elle se reconstitue avec du tissu qui n’est pas transparent. «Le paradoxe, c’est que plus je guérissais et moins je voyais. Ma vision se bouchait, de l’extérieur vers l’intérieur.» En janvier 2016, elle ne voit pratiquement plus.
«A un moment donné, j’ai dû me poser la question: est-ce que je reste sur mon lit à pleurer sur mon sort ou est-ce que je continue à avancer?» Elle se force donc à planifier au moins une activité par jour. Si ce n’est pas possible, tant pis, au moins elle aura essayé. «Aujourd’hui encore, je suis parfois complètement à plat. Pendant un ou deux jours, je ne peux même pas faire des choses simples comme débarrasser la vaisselle.»
Chloé Kolly n’a jamais été révoltée par ce qui lui est arrivé. Elle a rebâti sa vie, petit à petit. En août 2016, elle s’est installée à Pringy avec son copain. En février, on lui a implanté une prothèse oculaire. Aujourd’hui, elle voit à 100% d’un œil et rêve de travailler à nouveau, de faire du sport, de voyager pour voir toutes ces choses qu’elle a failli ne jamais voir.
«C’est fou de penser que la médecine m’a détruite et reconstruite. L’opération qui m’a redonné la vue est incroyable, mais rien ne serait arrivé sans le système médical. Je n’en veux pas aux médecins, un peu plus à l’industrie pharmaceutique.»
Commentaires
Serge Mendel (non vérifié)
jeu, 11 mai. 2017
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